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lundi, 04 janvier 2016 09:15

La Terre entendue

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Parmi les rares bonnes nouvelles de 2015, l’accord sur le climat, signé le 12 décembre à Paris, fait incontestablement du bien. L’état d’esprit qui a régné lors des négociations aussi. De l’avis des différents observateurs, la majorité des 195 pays participants étaient animés d’une réelle volonté d’engagement contre le réchauffement climatique et ont sincèrement cherché un compromis ambitieux. C’est là un exploit en soi. Mais peut-on parler pour autant de révolution politique, dans le sens d’une nouvelle manière d’appliquer l’art de gouverner ? Oui et non.

Les politiques ont du mal à décider sur la base de projections à long terme. Le fonctionnement humain est ainsi fait : le local et l’aujourd’hui agissent sur nos émotions et influencent nos décisions bien plus sûrement que l’outre-mer et l’après-demain. La Cop 21 n’a pas dérogé à la règle. En ce sens, elle n’a pas été révolutionnaire. La Conférence de Paris a été une réussite parce que les catastrophes climatiques ont déjà dépassé le stade de « scénarios ». Les négociateurs étaient réunis autour d’un objectif commun (arrêter la marche du réchauffement de la Terre), basé sur des projections scientifiques acceptées par tous (en dehors de quelques climato-sceptiques négationnistes), mais surtout sur des expériences douloureuses vécues en temps réel et n’épargnant aucun pays. Ce ne sont donc probablement pas les appels à la justice intergénérationnelle qui ont influencé les négociateurs, pas plus que la disparition des ours polaires ou des lointaines îles Marshall...

Plus cyniquement, que la Cop 21 ait eu lieu l’année où l’Occident a affronté sa plus grave crise migratoire depuis la guerre froide a sans doute provoqué un électrochoc autrement probant : les 250 millions d’écoréfugiés d’ici 2050 pronostiqués par les Nations Unies à cause du réchauffement climatique se font moins abstraits pour les Européens. S’y ajoutent : le retour sévère annoncé pour cet hiver du phénomène El Niño ; le brouillard toxique dû à la combustion du charbon qui a noyé les Pékinois durant la Cop 21 ; l’annonce que la Mer de Glace sur le massif du Mont-Blanc, fierté française, a perdu plus de trois mètres d’épaisseur en 2015 ; la hantise des habitants de Los Angeles de voir leurs côtes englouties par l’océan, et les digues qu’ils construisent pour se protéger...

L’accord de Paris a ceci de révolutionnaire néanmoins qu’il a mis en tête de la liste des crises mondiales celle due au changement climatique, tout en recherchant des solutions dans une optique de justice sociale, fondée sur les principes de solidarité et de participation. Toutes les parties ont accepté de rechercher activement, mais en fonction de leurs capacités respectives, « un équilibre entre les émissions dues aux activités humaines et celles absorbées par les puits de carbone » (par exemple les forêts). Les Etats les plus polluants (car plus développés) devront faire plus d’efforts, et les plus industrialisés aider financièrement les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. L’accord rejoint ainsi indubitablement l’esprit de l’encyclique Laudato Si’ du pape François, qui stipule qu’« une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS 49).

Cet accord fait encore des signataires des « révolutionnaires » puisque ceux-ci se sont montrés capables de devancer les mentalités des peuples. Les concepts de sauvegarde de la création et de développement durable ne sont pas intégrés par tous dans le monde,[1] loin s’en faut, même si les nombreuses marches pour le climat, les pétitions nationales et mondiales montrent que la conscience s’aiguise. Les politiques, qui n’aiment pas prendre des décisions impopulaires (même si la raison les y exhorte !) se sont dit prêts cette fois, à Paris, à imposer des mesures sérieuses qui impacteront le mode de vie des citoyens. Un imposant défi législatif et éducatif les attend. Ils auront besoin du soutien de toutes les personnes conscientes. Et donc, à double titre, de celui des Eglises locales, au travers des clercs appelés à s’impliquer à titre individuel, mais surtout d’une pastorale environnementale affirmée.

[1] • En Suisse, l’échec cuisant des Verts aux élections fédérales indique que pour nombre de citoyens, les préoccupations économiques priment sur les questions environnementales.

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