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jeudi, 25 janvier 2018 10:15

Question mapuche. Au coeur d'une injustice

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drapeau mapucheLe message que le pape François a prononcé le 17 janvier à Temuco, lors de son voyage au Chili, était très attendu par le peuple mapuche. Les épisodes de violence enregistrés ces dernières années en relation avec la question mapuche, y compris les incendies d’églises, catholiques et évangéliques, ont pour effet de saboter toute prise de responsabilité sérieuse dans les problèmes posés. «Toute l’attention des Chiliens risque de se concentrer sur ces violences et non sur la situation d’injustice, aux racines profondément enfoncées dans le passé, que vivent les Mapuches jusqu’à nos jours.» Ce cri d’alarme est lancé par le jésuite chilien Fernando Montes Matte, ancien recteur de l’Université Alberto Hurtado.

Actuellement au Chili, un débat est engagé autour de la nature des actes de violence perpétrés et revendiqués autour de la cause mapuche. Certains se demandent s’ils peuvent être lus comme des actes de terrorisme ou s’il s’agit de gestes isolés de criminalité de droit commun. Différents procès ont été ouverts par les autorités judiciaires. «Il est vraiment déplorable, a indiqué le Père Montes à l’agence Fides, que l’attention se concentre sur les mesures répressives qui doivent être adoptées et sur la présence de la police, plutôt que sur les problèmes de fond qui sous-tendent ces actes isolés et certainement exécrables. C’est un fait que la violence provient de groupes minoritaires et qu’elle ne peut être attribuée au peuple Mapuche en tant que tel. Certes, il est important de s’opposer à la violence, mais il est aussi essentiel de ne pas détourner l’attention de ce qui devrait représenter une priorité, à savoir l’extrême pauvreté des lieux, les droits foulés aux pieds des peuples autochtones et le manque de respect de leur culture.»

Entreprises forestières

Dans les années récentes, de grandes entreprises forestières se sont installées dans la région. À cause du type de plantations réalisées, elles ont eu de graves effets sur l’écologie. Ainsi la violence des Mapuches a en grande partie été exercée contre ces entreprises forestières. Pour le Père Montes, l’Église, elle aussi, doit contribuer à mettre en évidence la condition réelle du peuple Mapuche en prenant au sérieux leurs requêtes de restitution -au moins partielle- des terres revendiquées. Elle doit aussi rappeler le nécessaire développement social de l’ensemble de la zone. «Si l’on veut réellement intégrer les citoyens mapuches au Chili, fait-t-il remarquer, il est également essentiel qu’ils acquièrent des niveaux de participation appropriés au sein de la conduite de l’ensemble du pays.» Il faut donc «défendre les victimes des actes de violence», mais sans oublier que  «ceux qui ont été foulés aux pieds dans leurs droits» sont également victimes de violence. Les chrétiens peuvent contribuer à faire se lever un regard tenant compte de tous les facteurs en jeu au sein de la question mapuche, afin de favoriser «une relation justice, fraternelle et pacifique avec l’ensemble du peuple originaire de cette zone».

L'intervention du pape

Âgé de 78 ans, figure présente dans le débat public du pays, le Père Montes a dirigé l’Université jésuite chilienne de sa fondation, en 1999, à 2016. Il a été un compagnon d’études du pape François au début des années 1960. Dans ce contexte, on comprend à quel point le choix du pape de choisir au nombre des étapes de son court voyage au Chili la ville de Temuco, située sur le territoire ancestral du peuple Mapuche, est important pour lui comme pour nombre de Chiliens. «Nous avons tous compris lorsque cela a été annoncé, se souvient le Père Montes, que ce choix exprimait l’intérêt du pape pour les problèmes existant avec le peuple originaire de notre pays.» Le pape «peut nous dire une parole importante à cet égard. Il pourrait nous aider tous à demander pardon, avec humilité, des choses dont nous avons été responsables. Sa présence devrait nous aider à ne pas détourner notre attention du problème de fond.»

Cet espoir a trouvé une réponse. Le pape François a célébré mercredi 17 janvier la messe pour le progrès des peuples sur la base aérienne de Maquehue qui, sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), avait été une prison et un lieu de torture, et il a offert la cérémonie à ceux qui y ont souffert et y sont morts. En signe de soutien avec les peuples indigènes, il a commencé son homélie dans la langue des Indiens Mapuches, le mapudungun. Devant près de 200’000 fidèles, il a appelé les fidèles à être des artisans d’unité et à rejeter la tentation de la violence. L’unité parmi les hommes, a noté le souverain pontife dans son homélie, a été une des dernières prières du Christ lors de sa Passion. L’unité, a-t-il expliqué, n’est pas une uniformité “asphyxiante”, créée par un “simulacre d’intégration forcée”. Il s’agit au contraire d’un “art délicat”, qui a besoin d’artisans qui renoncent aux attitudes similaires à “la lave du volcan qui rase tout”. Des tentations qui concernent tant les peuples marginalisés que les autorités officielles. Les premiers doivent résister à la tentation de la violence et de la destruction qui finit par faire “mentir la cause la plus juste”. Et de leur côté, les autorités étatiques doivent s’engager véritablement pour l’unité et la réconciliation. Elles ne peuvent se “contenter de belles paroles” qui n’ont jamais de suite concrète, a lancé le pape. C’est aussi une violence, a-t-il insisté, car cela “déçoit l’espérance” et contribue à renforcer la division. Comme à plusieurs reprises lors de l’homélie, cette déclaration a suscité les applaudissements de l’assemblée.

Les jésuites et la question mapuche

Les jésuites disposent d’une communauté au cœur du territoire mapuche. Le lien entre les fils spirituels de saint Ignace et les vicissitudes historiques des Mapuches a des racines profondes. «Les Mapuches, qui avaient été en mesure de résister à l’Empire Inca, posèrent une résistance sans trêve aux Espagnols. Le découvreur espagnol du Chili, Diego de Almagro, dut abandonner l’entreprise et retourner au Pérou. Lorsque les espagnols revinrent, les Mapuches tuèrent le premier gouverneur et un de ses successeurs. Ensuite, les jésuites apprirent la langue des Mapuches et allèrent parler au roi d’Espagne pour lui dire qu’il n’était pas possible d’imposer la foi par la force et pour le convaincre à abandonner la guerre offensive contre ce peuple.» Déjà en 1620, la Compagnie de Jésus, au cours de sa Congrégation générale provinciale, attirait l’attention sur la nécessité de mettre fin au travail d’esclave et de favoriser d’autres conditions. «Il s’agissait, rappelle l'ancien recteur de l’Université Hurtado, d’un document social de premier ordre, qui atteste d’une conquête intervenue de manière honteuse.»

Visionner l'intégralité de la messe à Maquehue (Vatican News):

Cet article est écrit à partir des informations fournies par les agences Fides / cath.ch / Vatican News)

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