Nous étions plus de trois cents jésuites réunis à Rome, à l’Institut pontifical oriental, à la fin de novembre, pour visionner l’avant-première du film Silence et nous entretenir avec son réalisateur Martin Scorsese. Le grand cinéaste américain, accompagné de sa femme et de sa fille, avait souhaité partager avec nous ce récit émouvant parce que «c’est une histoire qui parle de la foi dont les jésuites sont les porteurs».
Le film, qui se base sur le roman du même nom de Shusako Endo, paru en 1966, raconte les vicissitudes par lesquelles passent deux prêtres jésuites portugais, Sebastião Rodrigues et Francisco Garpe, qui s’embarquent à Macao en 1633 et mettent le cap sur Nagasaki, au Japon, pour prendre en charge les chrétiens persécutés et retrouver celui qui fut leur mentor et leur maître le Père Cristovão Ferreira. Ils refusent d’ajouter foi aux informations selon lesquelles il aurait renié sa foi et coupé tous les ponts avec son passé.
Il s’agit d’une fiction, mais qui repose sur des faits authentiques. En effet, Ferreira était un jésuite portugais qui passa une grande partie de sa vie au Japon. En 1633, après avoir été torturé cinq heures durant, il renia sa foi. Aujourd’hui, les historiens mettent en question la crédibilité des récits qui soutiennent qu’à la fin il se serait repenti de son apostasie et serait mort en martyr.
Ce que l’on sait en revanche, c’est que le catholicisme s’était répandu de manière prometteuse au Japon après l’arrivée de saint François Xavier, au siècle précédent. On estime que les chrétiens étaient entre 300 et 400 mille autour de 1613. C’est précisément à la fin de cette année que commença la persécution qui atteignit son point culminant en 1632 et qui les décima considérablement. Des groupes de chrétiens persévérèrent néanmoins pendant deux siècles dans leur pratique, sans l’aide de prêtres, dans la clandestinité. Une scène du film montre des paysans entonnant des chants dont l’origine remonte à ces petits groupes. Ce sont des textes qui mêlent le latin, le portugais et le japonais. Martin Scorsese a voulu les inclure non seulement pour leur qualité esthétique, mais aussi en hommage à cette fidélité impressionnante.
Une obsession
En 1988, après avoir commenté La dernière tentation du Christ, un évêque anglican de New York offrit à Scorsese le roman d’Endo. L’année suivant, le réalisateur en termina la lecture au Japon, où il s’était rendu pour interpréter le personnage de Vincent Van Gogh dans le film Rêves du grand réalisateur Akira Kurosawa. Depuis lors, il tenta plusieurs fois de porter le roman à l’écran. Mais 28 ans passèrent avant qu’il puisse achever son film, ce qui ne fut fait que le vendredi précédant sa projection à Rome devant les jésuites. Pendant tout ce temps, il ne cessa jamais de travailler à ce projet ; il s’était même mis à dater les notes qu’il prenait dans les marges du livre.
Plusieurs jésuites ont collaboré à la réalisation du film, et Andrew Garfield, l’acteur qui incarne le Père Rodrigues, a fait les Exercices spirituels alors qu’il préparait son rôle. Comme le dit Scorsese, Silence traite de la foi et du conflit intérieur de ce prêtre.
Endo, qui s’est converti au catholicisme en même temps que sa mère, qui venait de divorcer, a déclaré un jour au Père Adolfo Nicolás sj, supérieur général des jésuites jusqu’à récemment, que le catholicisme lui était inconfortable «comme un habit hérité d’un mort». Il a aussi raconté à Martin Scorsese que le curé qui avait été son mentor avait quitté le sacerdoce. Un jour, sans que celui-ci le voie, il avait observé cet homme attablé seul dans un restaurant et avait été impressionné de le voir réciter les grâces avant de manger.
Le fait est que Silence aborde le mystère de la foi et de la faiblesse humaine (thème récurrent dans les œuvres de l’auteur). Ce film intéressera certainement nos lecteurs car il stimule la réflexion et pose de nombreuses questions. Il ne manquera pas de susciter des discussions intéressantes sur le sens de la souffrance, le mystère du mal, la trahison, la crainte, la violence et le silence de Dieu face à la persécution, la torture, la faim et la mort.
Fragilité humaine
L’un des personnages, Kichijiro (Yôsuke Kubosuka), s’embarque en qualité d’interprète avec les Pères Rodrigues et Garpe, un homme qui trahit et apostasie à maintes reprises. Et pourtant, il ne cesse de chercher le pardon. Au cours du film, ce personnage alcoolique et poltron demande: «Y a-t-il dans ce monde où nous sommes un endroit pour les faibles? Pourquoi ne suis-je pas né en un lieu où il n’y a pas de persécution?» Et ailleurs, il s’interroge: «Comment Dieu peut-il aimer un misérable comme moi?» Endo a suggéré à Scorsese que l’on pouvait discerner dans ce mendiant crasseux et traître le sens de l’action de Jésus.
Silence nous amène à nous interroger sur ceux qui ont succombé à la torture, ceux qui se brisent face aux épreuves qu’ils doivent affronter. En parlant de son film, Scorsese nous dit que la violence, la peur et le secret faisaient partie de la vie du quartier de New York dans lequel il a grandi. C’est peut-être la raison pour laquelle la violence est si présente dans ses films (notamment Raging Bull et Taxi Driver). Et il ajoute qu’en la constatant chez les autres, on en vient à reconnaître celle qui est en soi-même. À cet égard, les dialogues entre le Père Rodrigues et l’inquisiteur qui tente de le convaincre d’apostasier sont d’un très grand intérêt. Au cours de la confrontation, l’inquisiteur Inoue le provoque en lui disant: «Leur souffrance est le prix de ta gloire!»
Silence aborde donc les grands thèmes de l’existence. Le film a été tourné à Taiwan, le photographie est remarquable et les interprètes de grande qualité: outre des acteurs célèbres comme Adam Driver, Andrew Garfield et Liam Neeson, il faut aussi mentionner des artistes japonais moins connus chez nous, au nombre desquels Issei Ogatae, qui incarne l’inquisiteur, se distingue particulièrement.
Scorsese espère toucher le grand public par son film. Nous ignorons si ce sera un succès commercial, mais il offre assurément du drame, de la violence, de grandes interprétations et de magnifiques décors naturels. Pourtant, il s’agit d’une histoire complexe, à multiples facettes, à la fois fascinante et oppressante.
Silence, Etats-Unis, Taiwan, Italie, Mexique (2016) / Réalisation: Martin Scorsese / Interprètes: Adam Driver, Andrew Garfield, Liam Neeson / Script: Jay Cocks, Martin Scorsese / Durée: 159 minutes.
Cet article est paru dans la revue culturelle jésuite du Chili, Mensaje, n° 656, janvier-février 2017, pp. 51-53. Traduction française, Claire Chimelli. A lire aussi sur notre site à propos du film Silence, l'analyse de Patrick Bittar.