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jeudi, 27 février 2020 08:27

Ainsi soient-elles

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"Ainsi soient-elles", un film de Maxime FauréAinsi soient-elles est un film-documentaire (2019) d’un homme, jeune, sur des femmes, âgées et féministes, les sœurs auxiliatrices du Québec. Sa justesse de ton prouve que quand une personne sait se mettre à l’écoute, au service, il peut capter l’essentiel, même quand celui-ci se situe à des années lumière de sa propre vie.

C’est en sillonnant le Québec que le français Maxime Faure, 30 ans, rencontre les sœurs auxiliatrices du Québec. Cette congrégation religieuse féminine a été fondée à Paris en 1856, et est aujourd’hui implantée dans 22 pays. Ses constitutions sont rédigées selon celles de la Compagnie de Jésus.

Axé sur la recherche de justice et sur l’accompagnement tant spirituel que social, le champ de la mission de ces sœurs est large: éducation, travail social, santé, aumôneries, engagements dans l’Église… L’aventure québécoise a débuté en 1949. Depuis, les auxiliatrices de cette province canadienne n’ont eu de cesse de s’engager publiquement (politiquement?) pour la justice: droits des minorités, des femmes (y compris dans l’Église, une institution qu'elles aiment mais qu'elles jugent patriarcale), solidarité internationale, etc. Mais aujourd’hui, faute de relève, elles doivent accepter l'inévitable: la disparition de leur communauté. C’est ce délicat passage, qui passe par un travail de deuil, que Maxime Faure a choisi de présenter dans Ainsi soient-elles. «Que reste-t-il d’une vie de luttes? Avec ce film, j’ai souhaité parler de l’inéluctable, à travers une double disparition: celle programmée de la fin de la communauté des Sœurs auxiliatrices au Québec, et celle, charnelle et inexorable, de ses femmes. Ces deux dimensions ont stimulé l’écriture du film, et sa construction narrative au montage», commente le réalisateur.

Le film est loin d’être triste pour autant, car il est habité par des femmes solides, pratiquant la sororité et habituées à l’action, au combat collectif. Celui-ci, leur dernier sans doute, est probablement aussi le plus difficile: «J’appréhende la mort, avoue Sœur Marie-Paule. Je n’ai pas envie d’arrêter de respirer.» Durant le tournage, la communauté devra d’ailleurs vivre le décès de «la belle Rachel, comme la nomme une de ses sœurs, partie vivre dans son monde à elle». Elles ne sont de fait plus que huit aujourd’hui.

L'importance des mots pour le dire

Le rythme de ce film accroché au réel est lent, comme le sont dans leurs gestes les personnes âgées. Des silences le ponctuent régulièrement, quand les sœurs se plongent dans leurs souvenirs ou méditent. Il n’y a pas chez elles de volonté affichée de se mettre en avant, peut-être parce qu’elles ont pris l’habitude de prendre la parole pour défendre des causes, des gens, plus que pour parler d’elles-mêmes.

«Quand tu es venue, tu as posé des mots sur ce qu’on vivait», déclare à Sœur Gisèle, 82 ans, une femme indigène dans la soixantaine. «Tu n’as pas juste dit on veut t’aider. Tu as dis des mots pour comprendre la politique, pour comprendre ce qu’on voulait dire. C’est ce dont on a besoin quand on vit une situation de pauvreté. Je veux te dire merci pour tout ce que tu m’as enseigné. Ça m’a aidé à reprendre du pouvoir sur moi mais aussi collectivement.»

Tout en mettant de l’ordre dans leurs affaires en vue de leur déménagement, les auxiliatrices se remémorent, seules, en communauté ou avec des amis, autour d'un verre de vin ou d'une tasse de thé, les causes qui les ont habitées et nourries. Et se disent heureuses de ce qu’elles ont accompli, de leur vocation. C’est une grâce lorsqu’on peut regarder en arrière et se dire qu’on aime le chemin parcouru. Et c’est peut-être une clé pour aborder avec plus de sérénité l’avenir: «D’autres prendront le relais des luttes, à leur façon», affirme avec confiance l’une des sœurs.

 

AINSI SOIENT-ELLES (2019) | bande-annonce from Les films du balibari on Vimeo.


Affiche du film Ainsi-soient-elles de maxime Fauré (2019)Ainsi soient-elles est le premier long-métrage de Maxime Faure, réalisateur d’autres portraits de femme. Celui d’une jeune artiste de rue anarchiste (Masquée, 2014), et celui d’une jeune ukrainienne en résilience dans son pays post-révolution (Intranquille, 2016).

Production Estelle Robin You & Audrey-Ann Dupuis-Pierre / Les Films du Balibari et Metafilms
Musique originale du film : Camille Poliquin / Kroy

Pas de projection pour l'instant programmée en Suisse, mais cela peut venir!

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