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mardi, 04 janvier 2011 16:00

Aide au suicide

Sobel 42518Jérôme Sobel, Michel Thévoz, L'aide au suicide. Contre l'acharnement thérapeutique et palliatif. Pour le droit de mourir dans la dignité, Favre, Lausanne 2009, 128 p.

Les auteurs expriment leur propos dans un registre qui est celui du manifeste. C'est ainsi qu'il nous est présenté par l'auteur de la quatrième de couverture. Un médecin, président de l'Association EXIT ADMD Suisse romande, et un ancien professeur d'histoire de l'art et conservateur de la Collection de l'art brut rendent compte, dans ce qui se présente comme un dialogue, chacun à sa manière et dans un style fort différent, de leur militance pour défendre le principe de « pouvoir choisir sa propre mort et de faire appel à l'assistance d'un spécialiste ».

Si le livre ouvre clairement un débat sur des questions fondamentales qui appartiennent à tout être humain, quelles que soient ses convictions philosophiques, religieuses et son environnement socioculturel, il le situe très vite dans des postures ou extrêmes ou singulières. Ces postures desservent l'essentiel de la problématique.

J'en relève quatre particulièrement significatives, souvent mêlées l'une à l'autre : une approche manichéenne du débat, une vision des soins palliatifs particulièrement tronquée, une conception stoïcienne respectable mais qui ne peut rester qu'une référence parmi d'autres et un raccourci « théologique » à l'égard des « institutions religieuses judéo-chrétiennes [qui] rejettent toutes le suicide euthanasique » (pp. 32-33).

Tout d'abord, une approche manichéenne dans les propos de Michel Thévoz. Il y aurait, d'un côté, celles et ceux qui souhaitent avec lui « que le suicide, ainsi que le recours aux moyens de le réaliser sans douleurs, soit inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme » (pp. 6 et 107), et de l'autre les obscurantistes, liberticides et fondamentalistes qui s'acharnent contre des agonisants en invoquant le caractère sacré de la vie humaine, tout en reconnaissant par ailleurs que cette position est « un point de vue personnel, une revendication individualiste et libertaire ».

Que faire avec une telle affirmation ? Le caractère subjectif d'une opinion, quand bien même est-elle extrême, n'empêche pas celle-ci d'être entendue et respectée comme telle. Elle reste néanmoins subjective et ne peut se déplacer dans le domaine du droit positif pour devenir principe de loi[1].

En ce qui concerne la vision des soins palliatifs, s'il est vrai, comme le soulignent les auteurs, qu'il ne faut pas craindre de les aborder aussi sous l'angle économique, ces derniers font trop facilement un raccourci entre les surcoûts de la santé et ce qu'ils dénoncent, d'ailleurs à juste titre, l'acharnement palliatif : « Quand je parle du coût des soins palliatifs, je vise plus précisément le surcoût exorbitant de l'acharnement palliatif? » (p. 19). Ce raccourci dénature le sens profond des soins palliatifs qui, précisément, sont dans une démarche totalement opposée à la logique de l'acharnement. Il y a là un contresens majeur qui entretient la confusion. Est-ce voulu ?

Par ailleurs, l'argument philosophique, en référence au stoïcisme que l'on se doit de respecter en tant que tel, s'inscrit dans une posture personnelle. Cette posture légitime l'acte singulier de celui ou celle qui décide de mettre fin à sa vie, mais en aucun cas elle ne peut s'imposer à une société - quelle qu'elle soit - au travers de ses institutions de soins. Il y a là un passage du singulier à l'universel sans recherche d'articulation?

D'une certaine manière, il en est de même pour le quatrième élément qui apparaît dans ce manifeste, en lien avec la position des institutions religieuses judéo-chrétiennes. Si celles-ci rappellent le caractère unique et hautement respectable de toute vie et tout particulièrement de la vie humaine qu'elle réfère à un Créateur, cette position reconnaît également l'autonomie de la personne et sa liberté de conscience. Dans le cadre de l'accompagnement spirituel d'une personne en fin de vie décidant de faire appel à une association pour l'aider à se suicider, quand bien même il y a désaccord sur la finalité de l'acte, aucun jugement n'est posé et la prière de l'Eglise est présente. Il y a là reconnaissance de l'autre dans sa spécificité et accueil d'une société sécularisée. Qu'en est-il de la réciprocité ?

Au-delà du militantisme

Les deux auteurs convoquent le lecteur à se poser des questions fondamentales sur le sens de sa vie et comment il pense pouvoir affronter les derniers moments de son existence au-delà même de toute situation médicale tragique. Mais comment se distancier d'idéologies et de démarches militantes pour se réapproprier « une réflexion profonde, humaine et nuancée sur le temps de la mort » ?[2] Là est probablement le seul intérêt de ce livre qui nous provoque.

Si certaines provocations ont un effet bénéfique, celle-ci nous conforte dans l'idée qu'une authentique démarche éthique en matière de fin de vie ne peut faire l'économie de chercher à articuler trois dimensions indispensables : l'universel, le particulier et le singulier... Privilégier l'une aux dépens des autres nous conduit à des impasses. Peut-être est-ce ce travail difficile d'articulation, jamais totalement acquis, qui nous aide à grandir en humanité ?[3]

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Dernier de Michel Fontaine o.p.