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dimanche, 06 février 2011 11:00

L'économie au-delà des certitudes

Perrot 42841Etienne Perrot, Franc-parler en temps de crise. Les assurances trompeuses, Bayard, Paris 2010, 190 p.

Maria Nowak, L'espoir économique. De la microfinance à l'entrepreneuriat social : les ferments d'un monde nouveau, JC Lattès, Paris 2010, 300 p.

Dans la marée d'écrits consacrés à la crise, l'ouvrage du jésuite Etienne Perrot[1] détone parce qu'il met le doigt sur une condition nécessaire à la sortie de crise, qui est aussi une condition essentielle du bon fonctionnement de la démocratie : il s'agit de « l'assurance face aux contradictions, la libre parole fondée sur l'intuition de la vérité, le parler vrai... fait de lucidité sur soi-même et de sollicitude pour la société ».

Au fur et à mesure que nos connaissances se sont accumulées, a diminué la place laissée par nos sociétés dans le débat public à cette parole libre, ancrée sur une « conviction assurée », la parrhèsia des Grecs. En mettant à mal nombre de certitudes, la crise est en fait une opportunité unique pour régénérer la démocratie qui, en oubliant l'importance du franc-parler dans la délibération, a glissé vers la technocratie.

En prenant pour trame la triple tentation du Christ au désert, l'auteur décrypte les mécanismes de cet abandon et en souligne la menace à la fois pour la personne humaine et pour la démocratie. En fin économiste et moraliste, il sait à la perfection mettre le doigt là où cela fait mal - même très mal - au prestige de la science économique. C'est ainsi qu'il démontre comment les lois, les certitudes et les modèles que cette science a mis au point avec tant de peine reposent, en fin de compte, sur une ambiguïté irréductible : « Je crois savoir, mais je ne sais pas que je crois. »

La première tentation se traduit dans le refus obstiné d'admettre que la conviction (le « je crois ») du chercheur imprègne la science qu'il produit. Cette attitude a conduit la science économique à donner au monde la fausse et mensongère assurance de sa toute-puissance, aujourd'hui malmenée par la crise.

E. Perrot rattache la deuxième tentation du Christ au sentiment d'assurance selon lequel pour tout risque ou événement, il y aurait si ce n'est une « prise en charge », du moins un responsable. L'illusion d'une telle société sans risques repose sur une double erreur que l'auteur dénonce : le fait que l'événement contraire puisse être prévu au sens statistique et le fait que l'argent puisse compenser toute perte ou tout dommage. La crise a montré que nous dépendons tous de risques que personne ne maîtrise. Au lieu de s'illusionner à « couvrir des risques », nous ferions mieux, d'une part, de les mettre à jour pour en prendre conscience et, de l'autre, de consolider les solidarités qui permettent de leur faire face : « La mise à jour des risques communs est un des ressorts du parler vrai », rappelle E. Perrot.

L'auteur met en rapport la troisième tentation du Christ avec le recours systématique à la bureaucratie - ou sa forme privée, la procédure. Avec la science et l'assurance, la procédure est en effet la troisième méthode qu'utilise la modernité pour conjurer l'imprévu et cimenter le sentiment de contrôle et de domination. Cette manière conduit à nier toute extériorité et débouche sur la déresponsabilisation de l'acteur individuel.

Pour sortir de l'ornière des tentations dans laquelle notre époque s'est enfermée, il faut d'abord l'identifier. Le grand mérite de ce petit ouvrage est donc de nous ouvrir les yeux, pour ensuite nous mettre en marche. Ce n'est pas pour rien que les pages conclusives sont intitulées « envoi ». « Si face au pur inconnu, mon comportement assuré ne s'abrite pas derrière les procédures bureaucratiques et les expertises ignorantes de la complexité du monde, alors ma peur se changera en crainte d'être infidèle à l'esprit qui m'inspire. Me sera donnée ainsi cette sagesse qui, face au pharisien de tous les temps, sait parler vrai. »

Sortir des ornières

L'ouvrage de Maria Nowak, L'espoir économique, se lit comme une mise en oeuvre naturelle de l'injonction d'Etienne Perrot à sortir de l'ornière et à redonner vie à notre démocratie moribonde.

Fondatrice et présidente de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), Maria Nowak se bat depuis des décennies pour permettre à l'homme de se mettre debout. En vingt ans d'existence, l'ADIE a aidé plus de 85 000 micro-entrepreneurs en France à aller jusqu'au bout de leur projet par le micro-crédit et par l'accompagnement. Au coeur du credo de l'ADIE et de sa fondatrice, il y a la conviction qu'« il est urgent d'exploiter le champ de l'initiative des plus pauvres car cette initiative est le meilleur moyen de combattre l'exclusion et le désespoir ».

Tout au long de ces 300 pages, Maria Nowak décrit et démonte pièce par pièce la prison de nos certitudes théoriques (elle est économiste), financières et bureaucratiques qui empêchent l'efficacité du marché de servir la justice sociale. Le combat d'une vie se résume à cette conviction : la mesure de la démocratie est le degré de maîtrise que les individus ordinaires exercent sur leur propre sort. Ce faisant, elle rappelle à l'ordre notre époque tant de fois tombée dans la tentation de soumettre, de limiter ou d'enfermer l'homme au nom de l'efficacité.

A l'instar d'Etienne Perrot, Maria Nowak appelle à agir, à sortir de nos certitudes pour aller à la rencontre des laissés-pour-compte et sauver ainsi le trésor premier dont les sociétés occidentales sont dépositaires : la liberté. C'est au nom de la liberté que le capitalisme doit être apprivoisé et la crise actuelle nous en donne une occasion unique. Elle termine son ouvrage en disant : « La démocratie économique, c'est le capitalisme apprivoisé par la démocratie, tous deux au service de l'homme. C'est une chance d'échapper à l'enfer, dont Hobbes disait qu'il était la vérité perçue trop tard. »[2]

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