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vendredi, 06 janvier 2012 11:00

Théologiens libanais

Fleyfel 43573Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe. Modèle libanais, Paris, Harmattan 2011, 330 p.

Franco-libanais né à Beyrouth en 1977, Antoine Fleyfel est un homme aux multiples talents : musicien, journaliste, polyglotte, traducteur, enseignant, il est docteur en philosophie et en théologie. Il enseignera d'ailleurs ces deux branches dès cette année à l'Université catholique de Lille.

Cet ouvrage est sa thèse de doctorat sur quelques théologiens libanais. Il donne des informations précieuses sur l'histoire, la théologie et la vie des communautés chrétiennes au Liban, sous ses aspects humain, culturel, politique, oecuménique et interreligieux. L'auteur y montre aussi les nombreux défis auxquels devraient faire face les chrétiens au Moyen-Orient.

En prenant la théologie libanaise comme modèle de la théologie contextuelle, Antoine Fleyfel présente « un nouveau paradigme de la théologie qui opère un changement dans le monde de la théologie, au niveau de sa pratique, de son élaboration et de son rapport à l'Ecriture, aux traditions et au contexte ». La théologie contextuelle, qui tient compte de l'expérience subjective, doit permettre d'éviter de confondre christianisation et occidentalisation.

Les penseurs dont les idées sont présentées et analysées ici ont trois éléments majeurs en commun : le souci de l'oecuménisme, le soin de proposer des critères pour un dialogue interreligieux novateur évitant tout prosélytisme et une position claire sur la question palestinienne. Tous, selon Fleyfel, s'opposent au sionisme, tout en respectant le judaïsme.

Quelques noms

Michel Hayek veut trouver à l'islam une place dans l'histoire du salut. Rattachant l'islam à Abraham, il affirme qu'il n'est ni anti-juif, ni anti-chrétien, mais anté-juif et anté-chrétien. Pour lui, le Liban chrétien - et les maronites en particulier - a une grande responsabilité en Orient : il doit rendre accessible le Christ aux musulmans. Le message de Hayek n'est pas seulement spirituel, mais aussi humaniste. Il touche à la liberté et au pluralisme. Ce penseur s'oppose au confessionnalisme (égalité des représentants chrétiens et musulmans dans les pouvoirs publics), souvent considéré comme la cause du problème libanais et de la guerre et qui « empêche les Libanais d'être libres au sein de leur patrie et d'être des hommes ».

Farouche défenseur de la cause palestinienne, Youakim Moubarak, pour sa part, veut que le dialogue islamo-chrétien aborde des questions dogmatiques et non pas seulement éthiques et culturelles. Pour lui l'islam n'est pas une dérive chrétienne sectaire, mais une réactualisation arabe de la foi d'Abraham. Il voit dans l'islam une religion universelle. Un axe important de sa pensée est celui de l'appartenance des chrétiens d'Orient au monde arabe.

Archevêque de Beyrouth entre 1965 et 1975, Grégoire Haddad a été démis de ses fonction par le Synode parce qu'il ne correspondait pas au standing de son rang, qu'il était trop humble. Surnommé « l'évêque rouge », il est connu pour son engagement social. Il aspire à une « recherche religieuse radicale », « parce que la religion est une dimension de l'homme et de la société, dimension non provisoire, mais fondamentale et inhérente à l'homme ». Sans nier le rôle de l'Ecriture, de la Tradition et du Magistère, Haddad considère que seuls le Christ et l'Homme sont les critères absolus de la recherche religieuse. Il veut libérer le Christ des représentations traditionnelles, pour « faire parvenir le Christ vivant à l'homme vivant ».

Concernant le Liban, Haddad milite en faveur d'un engagement chrétien en politique et pour un régime politique laïc : une laïcité globale doit pouvoir viser l'intérêt général.

Antoine Fleyfel montre comment la conception de Haddad rencontre des difficultés de la part des musulmans, pour qui les interprétations du sacré sont intransigeantes alors que le christianisme de Haddad repose sur une liberté herméneutique et exégétique.

Présentant encore la pensée de Georges Khodr, l'auteur le voit comme un évêque orthodoxe qui « pense aux voies de rencontre possibles avec l'islam ». Quatre axes articulent cette vision : le mouvement de réforme du monde arabe, l'engagement pour la cause palestinienne, la dénonciation du sionisme et la réflexion sur la situation au Liban, au Moyen-Orient et dans le monde entier à partir de la foi chrétienne.

Khodr reprend le concept développé par Jean Corbon d'une « Eglise des Arabes ». Il dissocie arabité et arabisme, laïcité et laïcisme ou sécularisme, pour faire ressortir la nécessité de séparer la religion et la politique. La théologie politique de Khodr lie intimement arabité, laïcité et cause palestinienne.

Quant à Mouchir Aoun, jeune penseur libanais, il « propose des solutions aux impasses du dialogue interreligieux, pense les potentialités du renouveau du discours théologique arabe et suggère une laïcité modérée qui est supposée délivrer le Liban des impasses du confessionnalisme ». Il considère le pluralisme religieux comme l'antidote à la violence dans son pays.

Une voie d'avenir

Antoine Fleyfel voit dans la théologie contextuelle un progrès dans la pensée et des voies pour l'avenir de la cohabitation des religions en milieu arabe. Il déplore cependant que les tentatives élaborées par ces penseurs n'aient pas encore eu de suite dans les faits.

Ouvrage de fine analyse et de questionnements multiples, ce livre constitue une excellente approche du milieu théologique, politique, culturel et social du Liban et de la place de ce pays comme modèle possible pour l'établissement d'une paix durable au Moyen-Orient.

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