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lundi, 12 septembre 2022 11:42

La valeur de la foi pour Charles III

Sculpture de la reine Victoria, cathédrale St-Paul, Londres, 2010 © Philippe Lissac/GodongQuelle valeur le nouveau roi Charles III accorde-t-il à la foi dans une société séculaire et plurireligieuse? Se souvenant d'une rencontre avec celui qui était alors le prince de Galles, Michael Barnes sj, un jésuite de la province britannique qui a enseigné et écrit abondamment sur les relations interreligieuses, se dit confiant. Doté d'une bonne formation, avec à la clé l'exemple de sa mère, la défunte reine Elizabeth II, mais aussi d'une sensibilité marquée à l'égard des autres confessions et religions, le nouveau monarque assumera à sa façon, sans nulle doute plus moderne, son rôle de "défenseur de la foi".
Cet article est paru sur le site de la revue culturelle jésuite britannique Thinking Faith.

Si je me souviens bien, la première fois que j'ai vu la Reine, c'était dans un cortège qui progressait majestueusement dans le sud de Londres. C'était probablement peu de temps après le couronnement, et j'étais paré d'une casquette grise et agitais un minuscule Union Jack ⌈drapeau du Royaume-Uni⌋ au passage des limousines. Des années plus tard, je me suis approché un peu plus près lors d'une réception pour les responsables religieux au palais de Buckingham pour marquer le jubilé d'or (2002). Conformément au protocole, Sa Majesté n'a pas répondu au discours prononcé par l'archevêque de Canterbury au nom de ses invités. Au lieu de cela, elle a pris un bain de foule -ou plutôt, elle a disparu dans une mer de prêtres, d'imams et de moines. Je n'avais pas réalisé à quel point elle était petite.

En 2010, je vivais à Southall au moment de la visite papale au Royaume-Uni. J'étais chez le dentiste et je regardais le journal télévisé dans la salle d'attente. J'ai été profondément ému d'assister à la rencontre du pape Benoît et de la reine Elizabeth à Holyrood. Accueillir les invités, les grands, les bons et les moins bons, était le genre de chose qu'elle faisait avec une immense gracieuseté. Le son était coupé et je n'ai pas compris ce que disaient les commentateurs. Puis, soudain, l'image s'est déplacée vers un visage que je connaissais, un leader sikh réputé pour ses initiatives sociales et interconfessionnelles créatives. Immédiatement, la salle d'attente s'est réveillée et tout le monde a écouté ce qu'il avait à dire. L'intervieweur fit une remarque facile sur le problème de la présence de tant de religions dans une nation laïque comme le Royaume-Uni. Le sikh a caressé sa longue barbe et a souri, en disant qu'il ne devait pas y avoir de concurrence entre les religions et que tant que nous avions un monarque attaché à sa foi et prêt à parler à tout le monde, il n'y avait pas vraiment de problème.

La question, bien sûr, est beaucoup plus complexe que cela, comme nous le rappelle la tristement célèbre "affaire Rushdie". Mais le point de vue du Sikh sur la place du monarque dans une société pluraliste et multiculturelle ne doit pas être juste perçu comme un air de romance religieuse vide, et à ce titre rejeté. Je n'ai rencontré le roi Charles III qu'une seule fois, mais j'ai été impressionné par le sérieux avec lequel il parlait de l'importance de la foi. J'enseignais dans un centre interconfessionnel du nord de Londres. Le prince de Galles de l'époque devait visiter une école musulmane située à côté de chez nous, puis passer brièvement chez nous. Avec l'un de mes élèves, j'ai été placé au bout d'une "ligne de réception" et j'avais dûment répété quelques mots sur l'enseignement des relations interconfessionnelles. Lorsqu'il nous a rejoints, il a regardé par la fenêtre, a désigné l'école et a déclaré: "Vous savez, ce qu'ils font là-bas est tout à fait remarquable." Ce fut le début d'une conversation très différente, sur la foi, la culture et les valeurs religieuses. En sortant, le directeur a remercié le prince d'être venu et lui a demandé timidement s'il avait un ou deux mots à dire. Quinze minutes très spontanées plus tard, il était en route. Il ne s'agissait guère d'un manifeste minutieux sur la place de la foi dans une société laïque, mais nous avons tous été impressionnés par sa maîtrise des questions, ainsi que par la liberté et la sincérité avec lesquelles il s'est exprimé. Il a également un très bon sens de l'humour.

Alors que je n'avais que cinq ans lorsque le cortège de sa mère était passé en trombe, j'ai maintenant presque exactement le même âge que le nouveau roi. Nous avons vu notre société traverser des transformations politiques et culturelles sismiques. Le roi Charles est la même personne que le prince de Galles; il apporte avec lui, dans son rôle de chef d'État, l'histoire de sa vie et de ses interventions dans l'arène publique. Il devra être discret et prudent dans ses propos, et devra travailler dans le cadre des normes et des procédures traditionnelles qui marquent notre constitution non écrite, comme l'a si brillamment fait la défunte reine. Mais il ne sera pas une figure de proue vide. Lorsqu'un chef d'État meurt, en particulier un chef d'État aussi aimé et vénéré, nous prenons profondément conscience que nous sommes tous mortels, tous sujets à la fragilité et à la faiblesse, tous des êtres humains ordinaires ramenés dans le grand mystère unique de la vie en Dieu.

La reine Élisabeth avait sa propre vision de ce mystère. Au fil de son règne -qui semble avoir duré une éternité- elle n'a cessé de revenir, dans un message de Noël après l'autre, sur sa fervente foi chrétienne. Les paroles du roi Charles, dans les occasions formelles comme informelles, seront scrutées pour leur précision théologique autant que pour leurs implications politiques. Il aura sans doute du mal à se faire comprendre. Mais il n'est pas sa mère. La défunte reine était un merveilleux exemple du pouvoir des vertus simples -dont le travail acharné et la dignité personnelle- face au cynisme et au désespoir. Le nouveau roi hérite de la bonne volonté qu'elle a suscitée à l'égard de la monarchie. Mais il est issu d'une génération différente, qui a grandi dans un monde post-moderne caractérisé non seulement par les guerres culturelles et le pluralisme en tous genres, mais aussi par une crise plus insidieuse quant à l'avenir de la démocratie et de l'État de droit que l'Occident tient pour acquis depuis si longtemps. Il est évident qu'il s'agit d'un être humain comme nous tous, avec un esprit propre et des réactions très humaines à ce qui se passe autour de lui. Il dira ce qu'il pense -et cela signifie accepter un monarque qui prend le risque de s'exprimer dans l'arène publique. Sa mère lui en a donné des exemples. J'écris ces lignes depuis Dublin où, lors de sa visite d'État en Irlande en 2011, elle s'était adressée aux invités d'un dîner d'État en gaélique, alors qu'on lui avait apparemment conseillé de ne pas le faire. Elle avait prononcé son discours sans faute et, contrairement aux craintes de ses conseillers, elle s'était faite aimer des personnes présentes et du public irlandais, qui se souvient de cette visite avec beaucoup d'admiration.

La défunte reine a agi comme un roc immuable et toujours fiable. Charles apporte sa propre histoire, mais aussi ses propres vertus, parmi lesquelles une capacité incontestable à ouvrir et à entretenir des conversations sur des questions de valeur ultime. Règnes différents, vertus différentes.

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