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mardi, 06 septembre 2022 09:29

Évangéliques en passe de dépasser les catholiques au Brésil

                                Dans la prochaine décennie, selon les données déjà disponibles qui devraient être confirmées par le recensement démographique 2022 mené par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), qui a débuté le 1er août 2022, les évangéliques au Brésil –toutes dénominations confondues– dépasseraient le nombre de catholiques. Le journaliste Jacques Berset se fait l'écho de cette croissance évangélique «qui se développe depuis 4 décennies».

Face aux idées reçues, le théologien laïc Faustino Teixeira, professeur invité à l’Université fédérale de Juiz de Fora, dans l’État du Minas Gerais, montre un paysage évangélique brésilien très diversifié sur le site Unisinos (IHU). L’influence des évangéliques au Brésil n’a jamais été aussi grande: formant déjà un tiers de la population, ils ont réussi à faire élire le président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, étendant leur présence dans tous les secteurs de l’État. Le Caucus évangélique, la bancada evangélica, est la troisième force du Congrès national du Brésil.

Avec la poussée évangélique lors des élections de 2018, le nombre des législateurs évangéliques à la Chambre des députés est passé à 112 (21% des 513 députés), tandis qu’à la Chambre haute ont été élus 15 sénateurs évangéliques, soit 18,5% des 81 membres de la législature. Un quart de siècle auparavant, à peine 4% des députés étaient évangéliques. C’est désormais une composante dominante du conservatisme au Brésil.

Un phénomène qui se développe depuis 40 ans

La croissance évangélique au Brésil est un phénomène qui se développe depuis quatre décennies. Elle a commencé fortement dans les années 1980 et a explosé dans les années 1990 avec la croissance des périphéries et des favelas. Souvent, leurs pasteurs, en prêchant «l’évangile de la prospérité» dans les zones défavorisées, leur font miroiter la réussite et un enrichissement personnels.

Les évangéliques dirigent depuis lors nombre d’entreprises, sont présents dans le secteur de l’éducation, s’impliquent dans le sport et la culture… et sont présents tant dans les bidonvilles et les zones les plus isolées et les plus inaccessibles du pays que dans les quartiers aisés des grandes villes. Ils ont également gagné des adeptes grâce à leurs puissants médias, radio et télévision, et à leur présence sur les réseaux sociaux.

Hôpitaux, universités, médias évangéliques

Dans les villes, on trouve également des hôpitaux évangéliques, des universités évangéliques, des écoles évangéliques, des médias évangéliques, des maisons d’édition évangéliques, des produits alimentaires évangéliques et même de la mode évangélique.

Tout comme les Églises traditionnelles, les congrégations religieuses évangéliques sont exemptées du paiement de l’impôt sur la propriété ou sur le revenu. Nombre d’entre elles, grâce à des techniques de collecte agressives auprès de leurs fidèles, qui leur versent la «dîme», disposent de ressources économiques considérables avec lesquelles elles ont bâti des empires médiatiques qui renforcent leur influence religieuse et politique.

Les temples poussent du nord au sud

Leurs temples poussent du nord au sud, dans les territoires ruraux et dans les zones métropolitaines, où le travail social qu’ils effectuent concerne des millions de personnes frappées par le chômage, la drogue, l’alcoolisme ou la violence familiale. Des zones qui, souvent, ne sont plus desservies pastoralement par l’Église catholique. La déferlante évangélique a en effet supplanté le catholicisme, notamment auprès des plus pauvres, spécialement dans les périphéries des grandes villes, particulièrement dans les favelas.

Dans le cadre d’une thèse de doctorat en théologie, Véronique Lecaros a étudié le même phénomène au Pérou. Dans son article Au défi des évangéliques, elle propose quelques réflexions autour des raisons et des modalités de cette transformation.

Lors des élections présidentielles de 2018, les principaux leaders évangéliques ont appelé à voter pour le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro. Bien qu’il soit à mille lieues d’incarner les valeurs de l’Évangile, il brandit à chaque occasion son slogan favori «Le Brésil avant tout, Dieu avant tout». Le président assiste régulièrement à des offices et à de grands événements évangéliques ou à l’impressionnante «Marche pour Jésus», qui a eu lieu à São Paulo et à Brasilia.

Bolsonaro, le chouchou des évangéliques 

Eglise universelle du Royaume de Dieu EURD Brésil Bel Fegore Flickr CC BY NC ND 2.0

Dans la zone métropolitaine de São Paulo, la plus grande ville du Brésil, les évangéliques sont déjà majoritaires dans la population, comme dans de nombreuses villes de Rio de Janeiro et d’Espírito Santo, des États de la région du Sud-Est, la plus riche et la plus peuplée du pays.

Le pays de 215 millions d’habitants est toujours le plus grand pays catholique au monde, mais sa religion dominante est en constant recul face à la poussée des congrégations évangéliques depuis les années 1970, où 92% des Brésiliens se disaient catholiques. En 2010, ils n’étaient plus que 64%. D’après les démographes, les deux courants devraient s’équilibrer en 2030. On n’a jamais vu nulle part un basculement aussi rapide dans un pays aussi important, notent les observateurs. Selon des données officielles, quelque 25 nouvelles organisations religieuses sont enregistrées chaque jour dans le plus grand pays d’Amérique latine.

Des riches aux plus pauvres

Des personnes riches aux maçons, en passant par les employées de maison, les fidèles évangéliques sont partout et vont là où l’État ne va pas. Ils travaillent dans les prisons, avec les familles des prisonniers, dans les orphelinats, organisent des soupes populaires, dirigent des maisons de retraite, des refuges pour les mendiants ou pour les femmes en danger.

Face aux positions critiques de l’Église catholique et de certains segments de la sociologie et de la gauche brésilienne dans l’évaluation des églises néo-pentecôtistes, le théologien Faustino Teixeira remet en question la vision traditionnelle des pentecôtistes, «au-delà de la position rigide d’une partie de la gauche qui ne voit dans les pentecôtistes qu’une aliénation».

Reconnaissance du travail social des pentecôtistes

Il cite diverses recherches dans le domaine des sciences sociales, notamment la thèse de maîtrise de l’anthropologue Regina Novaes sur les Assemblées de Dieu dans une municipalité du Nordeste qui montre la «proposition de vie» de la religion dans son expérience pentecôtiste qu’elle a trouvée chez les paysans. «D’une manière révolutionnaire, Regina a été une pionnière dans la reconnaissance du travail social des pentecôtistes, brisant le jargon selon lequel ils sont aliénés. Elle a montré par ses recherches l’engagement des noyaux pentecôtistes dans la lutte pour la terre», note Faustino Teixeira, collaborateur de l’Institut Humanitas Unisinos (IHU) à São Leopoldo, dans l’État du Rio Grande do Sul.

L’élément nouveau qu’elle a apporté, relève-t-il, est de souligner «la contamination par les catégories religieuses du domaine des droits du travail et des droits à la possession et à l’utilisation des terres». Ainsi les psaumes et les écritures saintes légitimeraient, voire sacraliseraient, en ce sens, la lutte pour ces droits. Il souligne que le travail de recherche Regina Novaes a été pionnier dans ce domaine pour relativiser le jugement globalement négatif hâtivement porté sur les pentecôtistes brésiliens.

La même Regina Novaes, dans un autre travail important publié dans le livre Religião e cultura popular (2001), relativise à nouveau le paradigme qui enferme le pentecôtisme dans l’univers conservateur. Elle souligne, avec une grande pertinence, note le théologien catholique, le rôle des pentecôtistes dans un réseau fondamental de sociabilité et d’entraide. Elle montre également la présence des pentecôtistes dans des endroits abandonnés qui n’ont pas été atteints par la pastorale catholique, là où se trouvent les plus pauvres des pauvres.

L’Église catholique n’atteint plus les plus pauvres

Faustino Teixeira constate que l’Église catholique, pour sa part, ne les atteint plus. Il estime qu’il y a beaucoup moins de prêtres disposés aujourd’hui à servir en milieu pauvre, et il y a aussi un problème d’accueil: les églises pentecôtistes, qui sont partout, sont ouvertes 24 heures sur 24, ce qui n’est pas le cas des catholiques.

«Plusieurs enquêtes ont déjà montré que ce sont les évangéliques qui touchent le plus les marges de la société. Ils atteignent des endroits dont aucune autre institution civile ou religieuse n’ose s’approcher. Les études montrent également que ce sont eux seuls qui –en donnant naissance à des dénominations nouvelles et indépendantes– provoquent des dynamiques agrégatives locales sans compter sur des ressources matérielles et symboliques extérieures».


Le protestantisme éclaté du Brésil

À part des Églises chrétiennes traditionnelles, implantées au Brésil dès le XIXe siècle, comme l’Église anglicane, les Églises luthérienne et adventiste en 1890, existent encore les Églises baptiste et méthodiste, ainsi que les Églises congrégationaliste (en 1855) et presbytérienne. Plus récemment, au début du XXe siècle, se sont implantés le pentecôtisme, notamment représenté par la Congrégation chrétienne au Brésil et les Assemblées de Dieu (20 millions de fidèles et 110’000 temples dans tout le Brésil) ainsi que la Convention baptiste brésilienne.

À partir des années 1950, le courant se diversifie par la création de nombreux autres mouvements, tandis que d’autres courants protestants traditionnels se tournent également vers le pentecôtisme. Les néo-pentecôtistes, plus visibles et plus puissants économiquement, ne représentent que 20% des évangéliques. C’est en 1977 qu’est fondée «l’Église universelle du Royaume de Dieu» par le pasteur évangélique charismatique Edir Macedo Bezerra, propriétaire du Record Group et de RecordTV, le deuxième plus grand diffuseur de télévision au Brésil. Il a fait construire le Temple de Salomon, à São Paulo, au Brésil, la plus grande église d’Amérique du Sud. (JB)

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