«La première fois que je suis allé visiter les ‹lieux saints› à Jérusalem, je n’ai absolument rien ressenti. Mais lorsque je suis tombé sur un panneau qui indiquait ‹Nazareth 22 kilomètres›, cela a été un choc. J’ai pris conscience, au fond de moi, que Nazareth existait concrètement», se rappelle le jésuite Jean-Bernard Livio. Cet archéologue et bibliste de 81 ans pratique ce qu’il appelle la «géothéologie». Il s’agit d’aller voir, sur place, les lieux décrits dans la Bible. Par exemple, gravir le mont Sinaï, déambuler dans les rues de Bethléem, humer l’air de la Palestine pour saisir physiquement l’atmosphère des lieux.
Depuis plus d’un demi-siècle, Jean-Bernard Livio parcourt la Bible, en analysant le texte mais aussi à travers le sable et le vent. D’ailleurs, il emmène régulièrement des groupes dans les pays du Proche-Orient pour des voyages Bible en main. «Je n’appelle jamais ces voyages des pèlerinages, car le plus important est dans ce qu’on va voir, et non pas dans les temps de prières», précise le jésuite. Une activité à laquelle il a dû renoncer depuis le début de la pandémie. Toutefois, il continue de voyager depuis son bureau, à Villars-sur-Glâne, dans le canton de Fribourg. «J’ai la chance d’avoir une pièce ouverte sur le monde. J’aime commencer ma journée en regardant le Mont-Blanc illuminé par les premiers rayons du soleil ainsi que les Préalpes vaudoises et fribourgeoises. Malgré la pandémie, je voyage beaucoup avec les yeux.»
Les oasis du Sinaï
Dans son bureau, son «lieu de rêves» comme il se plaît à le qualifier, une multitude de livres ornent les rayons des bibliothèques et toutes sortes d’objets lui rappellent ses nombreux voyages. Sur un des murs de la pièce, on découvre une grande photo du désert, le Sinaï. Un endroit cher à Jean-Bernard Livio, qui s’y rend régulièrement. «On dirait que c’est mort, mais pas du tout. Au pied de cette montagne, il y a une petite oasis. Et dans cet îlot de granit rose, un arbre a poussé. Les Bédouins que j’ai rencontrés m’ont toujours dit: ‹Dieu existe, car il y a un arbre› et s’il y a un arbre, c’est qu’il y a de l’eau.» Cette expérience a permis au jésuite de prendre conscience que le désert du Sinaï comportait de nombreux points d’eau. Mais surtout, sa perception des choses en a été transformée. «Cette découverte a changé ma vie, car j’ai pris conscience que parfois là où je ne vois rien, il y a ce dont j’ai absolument besoin pour vivre.»
Si c’est la passion pour la nature qui a attiré le jésuite dans le désert, face au mont Sinaï, il ne peut s’empêcher de penser aussi aux textes bibliques qui disent que c’est sur cette montagne que Moïse a rencontré Dieu et reçu les Tables de la loi. «Ma vie a basculé quand mon regard de scientifique a été confronté avec le langage de la Bible. Les textes essaient justement de décrire des choses afin que nous, qui ne voyons rien, puissions voir.»
À la recherche des trompettes de Jéricho
Un peu plus loin sur le mur, à côté de la photo du Sinaï, est accrochée une carte de la Palestine. «On y voit les lieux que j’ai fouillés comme archéologue, mais aussi les villes que j’ai parcourues à pied, seul ou avec des groupes. Jérusalem, Bethléem, Hébron, la ville où selon la tradition sont enterrés Abraham, sa femme et ses enfants. Il y a aussi Jéricho, l’entrée dans la terre promise», explique Jean-Bernard Livio. Une ville où il a fait quatre années de fouilles avec la grande archéologue britannique Kathleen Kanyon. «Nous n’avons jamais trouvé les trompettes», plaisante-t-il. Dans l’Ancien Testament, Josué fait sonner les trompettes pour que tombent les murailles autour de la ville de Jéricho.
Si l’archéologue n’a pas trouvé les cuivres, ce voyage l’a amené à relire le texte biblique. «Le texte en hébreu ne parle pas de trompettes, mais de cornes de béliers.» Or, selon lui, ce genre de cornes n’était pas encore utilisé à cette époque. Il s’agit donc là d’un anachronisme. «Le texte que nous lisons dans la Bible n’a pas été écrit au moment des faits. C’est une relecture théologique qui signifie qu’une ouverture nous est donnée.»
De la Palestine à Genève
Sur son bureau, une petite Bible trône parmi les papiers et les livres empilés. Elle est recouverte d’une housse en tissu brodé de fil rouge. «Je la prends toujours avec moi en voyage. Ce sont des femmes palestiniennes qui ont réalisé cette fourre à la mesure exacte de ma Bible.» Un jour, une des responsables de l’aumônerie des Hôpitaux universitaires de Genève a aperçu ces broderies. Elle a acheté 600 pochettes à offrir la nuit de Noël aux malades seuls. «Nous avons demandé à une centaine de femmes de Palestine de réaliser ce travail. Et quand elles ont appris que les broderies étaient destinées à des malades, elles ont renoncé à un shekel de leur salaire (environ 30 centimes). C’était extrêmement touchant, car avec 20 ou 30 shekels ces femmes font vivre leur famille pendant toute une semaine.»
Entendre une parole et la vivre
Quand il guide des groupes en Terre sainte, le jésuite aime tout particulièrement mettre les gens en contact avec les habitants. Et s’ils vont visiter Jérusalem, ils dorment à Bethléem. «Le matin et le soir, nous passons le checkpoint avec les Palestiniens. C’est extrêmement enrichissant.» Une façon de s’imprégner totalement d’un lieu. «Nous allons entendre une parole et la vivre. J’aimerais que les gens que j’emmène là-bas apprennent à lire la Bible avec la plante des pieds», sourit Jean-Bernard Livio. Et d’ajouter: «Pour moi, c’est ça le voyage: être conscient qu’on vient de quelque part, ne pas savoir où on va, mais être convaincu qu’il faut y aller.»
Partir en voyage sans se déplacer
Une émission à écouter sur Hautes Fréquence RTS La Première, le 21 mars à 19h, puis en podcast ici. Deux spécialistes des voyages racontent leurs expériences à travers leurs souvenirs. Tout d’abord, le pasteur évangélique manouche, May Bittel, un homme qui appartient aux gens du voyage bloqués dans leurs quartiers d’hiver. Puis, le jésuite et archéologue Jean-Bernard Livio, spécialiste du Proche-Orient, qui organise depuis plus de 50 ans des voyages dans les lieux cités dans la Bible. Tous deux aiment particulièrement se rendre en Terre sainte. Les journalistes Gabrielle Desarzens et Laurence Villoz sont allées à leur rencontre.