Dérapages : coup de poing et lapins
Lors de son voyage au Sri Lanka et aux Philippines en janvier 2014, le pape François aura fait fort. Dans l’avion qui le mène vers l’archipel philippin, interrogé sur la liberté d’expression, en réaction à l’attentat meurtrier contre le journal satirique Charlie Hebdo, il prononce cette fameuse phrase: si un ami « dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing ». La phrase provoque un torrent de réactions dans les médias français.
Le Père Federico Lombardi sj, porte-parole du Vatican, a à peine le temps de réagir qu’une autre bombe médiatique est à nouveau catapultée par le pape argentin. Dans l’avion qui le ramène vers Rome, il plaisante à propos des familles nombreuses: « Certains croient que - pardonnez-moi l’expression - pour être de bons catholiques, on doit être comme des lapins. » Cette fois-ci l’humour du pontife passe mal auprès des familles nombreuses catholiques. Il doit lui-même corriger le tir, deux jours plus tard à l’audience générale, assurant que les familles nombreuses sont « un véritable don de Dieu ». Ces couacs médiatiques ne semblent pourtant pas inciter François à davantage de prudence.
Donald Trump et les murs
En février dernier, le pape François crée une nouvelle tempête médiatique lors de la conférence de presse du vol retour du Mexique. Un journaliste lui demande si un catholique doit voter pour Donald Trump, lui expliquant que le candidat républicain à la présidentielle américaine souhaite construire un mur pour repousser les migrants à la frontière mexicaine. Le pape répond qu’un « homme qui pense seulement à construire des murs et non à faire des ponts n’est pas chrétien ». Donald Trump réagit en jugeant les propos du pape honteux, avant de calmer le jeu. Fait inédit: au lendemain, le Père Lombardi fait une longue mise au point sur les propos du pape.
Il en profite aussi pour clarifier sa pensée sur la contraception. A bord de l’avion papal, interrogé sur le virus Zika, le pape avait affirmé qu’ « éviter la grossesse n’est pas un mal absolu, dans certains cas ». Des journalistes y avaient vu, à tort, une ouverture du pape sur la contraception.
Le 1er mars, une énième polémique éclate après une nouvelle formule maladroite du pontife. Dans une conversation à huis clos devant une délégation du mouvement français des Poissons roses, le pape évoque une « invasion arabe » en Europe. Là encore, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège se sent obligé de clarifier les choses. « Le pape n’a pas parlé d’une invasion violente ou préoccupante », explique-t-il de manière un peu bancale.
Désacralisation de la papauté
Les polémiques, souvent, s’éteignent aussi vite qu’elles sont apparues. Preuve qu’en trois ans de pontificat, ce pape continue de bénéficier, globalement, d’un bon apriori dans la presse. Sa popularité, jugent certains vaticanistes, fait que les médias lui passent tout ou presque ! Si Benoît XVI avait parlé de « mal absolu » et de « crime » pour l’avortement, ou d’ « invasion arabe », ses propos auraient probablement provoqué une vraie déferlante médiatique. Avec le pape argentin, ses expressions pourtant très dures sur l’avortement, passent presque inaperçues. L’invasion arabe ? Une formule amoindrie, voire, excusée dans la presse généraliste !
Avant d’être un bon communicant, François est donc surtout un « pape normal ». Le Vatican, d’ailleurs, ne dispose pas de vrai service de communication et de marketing, explique Greg Burke, actuel vice-directeur du Bureau de presse du Saint-Siège.
Les clés de communication de François ? Ce sont son naturel et sa spontanéité, constate-t-il. S’il a conscience du poids des images et des vidéos dans ce monde ultra-connecté, le pape ne cherche pas à en abuser. D’ailleurs, il a horreur des caméras, assure Mgr Dario Edoardo Viganò, préfet du Secrétariat pour la communication. Lors de la signature d’actes importants, ou durant des visites de malades à l’hôpital, il demande expressément aux caméras de sortir.
« C’est le pape de la proximité, qui comme manifeste programmatique de son pontificat, a tout de suite dit : habituez-vous à la normalité », analyse encore Mgr Viganò. « Dépeindre le pape comme une sorte de superman (...) me paraît une offense, assurait le pape François lui-même au début de son pontificat. Le pape est un homme qui rit, qui pleure, qui dort bien (...). Une personne normale. »
Si le pape dérape ou se trompe, ce n’est pas grave. Cela fait partie de cette normalisation de la figure pontificale. Au risque de déstabiliser une partie des fidèles habitués à une certaine sacralisation de la papauté.
Au Vatican, Bénédicte Lutaud, I.MEDIA
(cath.ch-apic)