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lundi, 10 mai 2021 08:00

L’héritage spirituel de saint Pierre Canisius

Delgado grd CFLe professeur Mariano Delgado, doyen de la Faculté de théologie de l'Université de Fribourg, était invité par les jésuites à prendre la parole le 27 avril dernier à l'église Saint-Michel lors de la célébration du 500e anniversaire de la naissance de Pierre Canisius qui marquait aussi la fondation de la nouvelle Province d'Europe centrale. L'intervention du Prof. Delgado a porté sur la spiritualité du saint patron de cette nouvelle province. «Je suis très heureux de le faire, car dans cette spiritualité, je trouve aussi des impulsions importantes pour le présent», a-t-il relevé en préambule. «Selon la pratique rhétorique des jésuites», il a concentré ses propos sur trois points de réflexions.

Première réflexion

Pierre Canisius, si «actif» dans les événements politico-religieux de son temps et dans la mise en œuvre de la réforme tridentine, avait une nature encline au mysticisme et à la contemplation. En témoigne le fait qu'avant de rejoindre la Compagnie de Jésus, il était attiré par la spiritualité des Chartreux et par la théologie mystique du dominicain Johannes Tauler.

La chartreuse de Cologne s'inscrit dans la tradition de la devotio moderna, c'est-à-dire qu'elle se caractérise par un christocentrisme prononcé, par la dévotion au cœur de Jésus et par le cheminement mystique vers l'intérieur. Cela convenait au jeune Pierre Canisius, qui cherchait Dieu sur le chemin intérieur augustinien. Déjà son mentor spirituel Nicholas van Essche, qui n'avait pas pu devenir chartreux en raison de sa mauvaise santé, avait familiarisé Canisius avec cette tradition mystique. Pendant ses études à Cologne, Canisius a également été influencé par le mystique chartreux Johannes Justus von Landsberg.

Landsberg avait écrit en 1539: Le Cœur de Jésus est «le trésor de toutes les grâces célestes, la porte par laquelle nous nous approchons de Dieu et Dieu descend vers nous». Nous savons que Canisius cultivait une dévotion prononcée au Sacré-Cœur, qu'il exprimait dans ses prières quotidiennes. Avant de prononcer ses vœux entre les mains d’Ignace, il a vécu à Rome, le 4 septembre 1549, une expérience mystique, une vision, qu'il a exprimé dans son testament comme une prière au Sacré-Cœur qui rappelle les paroles du chartreux von Landsberg: «Tu m'as ouvert alors d'une certaine manière le cœur de Ton corps si saint, à l'intérieur duquel j'ai eu l'impression d'être autorisé à regarder. Tu m'as dit de boire à cette fontaine, m'invitant à puiser à Ta source l'eau qui me donne le salut, ô mon Sauveur. ... Parce que j'ai osé m'approcher de Ton Cœur si doux, pour que mes désirs les plus profonds y soient comblés, Tu m'as alors promis de couvrir mon âme nue d'une robe de paix, d'amour et de persévérance. Cela servira à renforcer ma vocation dans la Compagnie de Jésus.»

Deuxième réflexion

PierreCanisius tableauCollegeStMichel photoCFQue Canisius n'entre pas pour autant dans la Chartreuse de Cologne, mais dans la nouvelle Compagnie de Jésus, c'est-à-dire un Ordre éminemment ouvert au monde avec la devise «le monde est notre maison» ... c'est le mérite de Pierre Favre, qui comme lui était enclin à la mystique et à la dévotion au Sacré-Cœur. Canisius dit dans son testament que, par l'intermédiaire de Pierre Favre, il a reçu «le plus grand de tous les bienfaits dont j'ai fait partie sur terre.» Car Canisius a appris comment l'institution de la Compagnie de Jésus était «bien adaptée pour me guider vers une vie bonne, pieuse et au service de Dieu», c'est-à-dire que ce serait un bon endroit pour sa propre perfection spirituelle dans l'imitation de Jésus. Grâce à Favre, Canisius a découvert qu'avec le «trouver Dieu en toutes choses» ignatien il pouvait aussi être un mystique dans l'unité de l'action pastorale et de la contemplation. Favre a pu inciter Canisius à rejoindre la Compagnie de Jésus parce que les premiers jésuites avaient également une compréhension mystique de base – et voyaient dans les Exercices spirituels du fondateur Ignace de Loyola un pont vers la tradition mystique de l'Église. Alors que la tradition mystique des Chartreux mettait l'accent sur la vie religieuse individuelle, Ignace a engagé ses jésuites dans la «primauté de l'expérience spirituelle personnelle». Ce n'est pas un hasard si Ignace avait aussi sérieusement envisagé de devenir chartreux au début de sa biographie religieuse. Il y avait une profonde parenté entre l'esprit ignatien et l'esprit chartreux.

Dans ses lettres et mémoires personnels, on remarque chez Canisius d'une part la fidélité à la mystique chartreuse et d'autre part l'enthousiasme pour la synthèse ignatienne de l'action et de la contemplation. Par exemple, dans une longue lettre écrite à la demande de son général Claudio Acquaviva sj, il souligne combien il est important pour un jésuite «de voir Dieu comme présent en toutes choses, et non seulement d'élever son âme vers le ciel dans la prière, mais de mettre chaque chose et chaque action en contact avec Dieu. De cette façon, nous ne faisons pas moins l'expérience de la dévotion dans le travail que dans la méditation – comme Ignace l'a si merveilleusement illustré et enseigné.» Canisius se réfère ainsi aux paroles de Jésus:

«Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit» (Jn 15,5).

Pendant ses études à Cologne, Canisius a également été influencé par la théologie mystique du dominicain Johannes Tauler, qu'il appellera plus tard "un précieux trésor de l'âme". Tauler a donné ce conseil aux chercheurs de Dieu: «Laissez-vous tomber sur votre néant et saisissez votre néant et tenez-vous à lui et à rien d'autre.» Cela aussi sera formateur pour Canisius tout au long de sa vie: la reconnaissance de son indignité et de son néant devant Dieu – combinée à la confiance dans la seule grâce et miséricorde de Dieu, dans laquelle il a pu se laisser tomber.

L'empreinte de Tauler, qui a bien sûr également convergé avec le mysticisme ignatien, est claire dans la deuxième expérience mystique de Canisius en juin 1568 dans la cathédrale d'Ancône. Il a compris d'un seul coup qu'il devait fonder toutes ses intentions et ses actions «sur le seul fondement vrai et solide». Mais ce fondement était «la connaissance de mon propre moi, de ma propre misère et de mon propre néant». Ce n'est qu'à partir de cet «abîme de mon propre néant» que Canisius pouvait alors, comme il l'écrit, s'approcher encore de Dieu et se laisser tomber dans «l'abîme de Ta sublimité suprêmement digne». Un biographe de Pierre Canisius note que même la sélection des citations bibliques dans ce récit de son expérience mystique est basée sur un sermon de Tauler (Mathias Moosbrugger).

Canisius devient entièrement «jésuite», voire un «modèle jésuite» en combinant action et contemplation. Mais l'empreinte de la mystique chartreuse et de la théologie mystique de Johannes Tauler est également présente. Elle aide «l’infatigable» (Pierre Emonet) Canisius à ne pas tomber dans l'activisme et à devenir un «maître de la prière intérieure».

Troisième réflexion

Canisius associera toujours l'engagement jésuite dans le monde en faveur des autres à une contemplation intense. Il n'y a pas de contradiction entre l'engagement envers les autres et le perfectionnement de sa propre imitation du Christ par la prière intérieure. De nombreux jésuites des premiers temps pensaient également de la sorte, à commencer par Ignace, Pierre Favre et François de Borja, sans oublier Baltasar Alvarez, le fameux confesseur de Thérèse d'Avila.

Mais sous les généraux Mercurian et Acquaviva, le cap est mis à l'époque de Canisius en faveur d'une distinction nette entre la tradition mystique et contemplative à la manière des «chartreux» ou des carmes déchaussés et la manière de prier d'un jésuite. Dans une lettre circulaire du 8 mai 1590 à tous les jésuites, Acquaviva dit que la contemplation ne doit pas être dédaignée ou interdite «aux nôtres». Mais il a insisté sur la différence entre la prière contemplative d'un chartreux ou de tout autre religieux et celle d'un membre de la Compagnie de Jésus, à commencer par le temps utilisé. Le premier pouvait prier et méditer aussi longtemps qu'il le souhaitait, puisqu'il n'avait rien d'autre à faire, tandis que le second devait penser à son activité apostolique et ne pouvait pas laisser l'amour de la prière de repos l'empêcher de se précipiter au secours de son prochain; parce que les membres de la Compagnie de Jésus devaient interrompre la prière de repos pour le bien de l'apostolat, le bienheureux Ignace souhaitait

«qu'en tout lieu et en toute activité, les nôtres élèvent l'esprit vers Dieu par de fréquents soupirs, et qu'ils le gardent toujours présent»

par exemple, dans le sens de trouver Dieu en toutes choses. Acquaviva a ainsi clairement formulé la manière de prier de la Compagnie de Jésus, mais a en même temps mis la contemplation au service du zèle apostolique.

College Saint Michel

Il me semble que Canisius n'aurait pas pu être d'accord avec ce rejet vigoureux de la primauté de la contemplation comme voie de la perfection individuelle. Dans une lettre datant de son séjour à Fribourg et adressée à un prêtre suisse inconnu, probablement un membre du chapitre de Saint-Nicolas, mais aussi valable pour les jésuites de son époque, Canisius donne quelques conseils pratiques tirés de sa propre expérience de la prière, car le pire dans le travail pastoral c'est, «si le sel devient fade». Il ne faut donc pas «survoler superficiellement la Liturgie des Heures, la terminer négligemment et rapidement [...] avoir l'habitude de débiter les prières prescrites [...] Les uns sont gênés par le souci excessif des choses temporelles, les autres par la distraction des études; ainsi ils ne réfléchissent qu'à contrecœur sur eux-mêmes et sur le service de Dieu, et ne peuvent s'occuper calmement du spirituel». Canisius exhorte essentiellement à combiner la prière orale avec la prière intérieure et à accorder suffisamment de temps à la contemplation.

Canisius a été élevé au rang de docteur de l'Église en 1925, suivi en 1926 par son contemporain et carme déchaussé Jean de la Croix, qui dans sa jeunesse voulait aussi devenir chartreux avant que sa rencontre avec Thérèse d'Avila ne l'incite à réformer le Carmel. Il observe d'un œil critique l'activisme missionnaire ou pastoral de son temps, notamment celui des jésuites, et s'exprime à ce sujet vers 1590 d'une manière similaire à celle de Canisius: «Ceux qui sont très actifs et veulent embrasser le monde par leur prédication et leurs œuvres extérieures peuvent considérer ici qu'ils seraient plus utiles à l'Église et plairaient beaucoup plus à Dieu [...] s'ils employaient au moins la moitié de leur temps actif à demeurer avec Dieu dans la prière [...]. Sinon, ce n'est qu'un martelage bruyant qui ne sert pas à grand-chose, parfois à rien, et qui fait souvent du tort. Que Dieu fasse que le sel ne devienne pas fade (Mt 5,13); car même s'il ressemble encore à du sel à l'extérieur, il ne sera d'aucune utilité. Nous savons que les bonnes œuvres ne peuvent être accomplies qu'avec l'aide de Dieu.»

«Que Dieu fasse que le sel ne devienne pas fade» – disaient les docteurs de l’Église Pierre Canisius et Jean de la Croix. Il s'agit d'un message très opportun pour les ouvriers de la Vigne du Seigneur de notre temps. Car ce primat de la contemplation, de DIEU SEUL, est amèrement nécessaire dans l'ombre de la crise actuelle de l'église, qui est aussi une crise de l'expérience de Dieu.

Il me semble que les jésuites d'aujourd'hui, en accord avec les débuts mystiques de la Compagnie de Jésus, auxquels Canisius appartient également, ont clairement reconnu cela. C'est pourquoi je souhaite aux membres de la nouvelle Province d'Europe centrale de rester contemplativement unis à la Vigne dans toute leur activité, car sans Lui nous ne pouvons «rien faire» (Jn 15,5).

Mariano Delgado, doyen de la Faculté de théologie de Fribourg
Fribourg, le 27 avril 2021, pour le 500e anniversaire de St. Pierre Canisius

Bibliographie recommandée

Mathias Moosbrugger, Petrus Canisius. Wanderer zwischen den Welten, Innsbruck 2021.
Pierre Emonet, Pierre Canisius: l’infatigable (1521-1597), Lessius, Bruxelles 2020.
Mariano Delgado, Peter Canisius als Seelsorger in Freiburg – Oder: Drei Modernisierungsschübe Ende des 16 Jahrhunderts. In: SZRKG 104 (2010) 289-306.

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