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jeudi, 14 janvier 2016 14:29

Nostra aetate. Plaidoyer pour l’interreligiosité

Il y a 50 ans, un 28 octobre, la déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate était adoptée par le concile Vatican II, à 2221 voix contre 28. Beaucoup parlèrent d’une « révolution d’en haut ». Pour la première fois dans l’histoire, l’Eglise se prononçait en faveur d’autres traditions religieuses.

Jusqu’à la publication de Nostra aetate, l’Eglise considérait le non chrétien comme une personne pour le salut de laquelle elle tremblait et qu’elle voulait baptiser. Désormais, l’Eglise « ne rejette rien de ce qui est vrai et sain » dans les autres religions. Elle ouvre le dialogue, mais continue cependant de croire que Dieu s’est révélé à travers l’histoire du salut rapportée par la Bible. Par cette déclaration, l’Eglise cesse de se situer au centre. Il en va de Dieu qui s’est manifesté en plénitude à travers Jésus et l’ensemble de la création, et qui œuvre à travers toutes les cultures.

« A notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent... » : Nostra aetate s’ouvre sur ces mots ; ils signifient que dans notre société mondialisée, une vie en commun dans la paix et la justice n’est possible que dans la mesure où les communautés religieuses se rencontrent avec bienveillance. Plus encore, l’Eglise est convaincue que les chrétiens ne vivent pas uniquement pour eux-mêmes, mais qu’ils sont au service de l’humanité. Le Concile a d’ailleurs fait un autre pas dans ce sens en publiant la déclaration Dignitatis humanae, qui fonde le principe de liberté religieuse sur celui de la dignité de la personne humaine.
C’est ainsi qu’il sera question, lors du congrès organisé par l’Université pontificale grégorienne pour le 50e anniversaire de Nostra aetate, non seulement de théologie des religions au sens strict, mais aussi de la liberté des convictions religieuses. Cette célébration s’inscrit de fait dans la longue tradition des initiatives interreligieuses que les papes successifs ont lancées depuis le Concile : les rencontres interreligieuses d’Assise, inaugurées par le pape Jean Paul II en 1986, sont celles qui ont le plus retenu l’attention ; la confrontation entre l’Eglise et l’Islam provoquée par le discours de Benoit XVI à Ratisbonne, en 2006, a été pour sa part à l’origine de nombreuses et fructueuses rencontres entre théologiens catholiques-romains et musulmans ; le Vatican ainsi que les conférences épiscopales de tous les continents ont mis en place des commissions et publié des documents à propos des diverses traditions religieuses, en vue d’encourager l’engagement commun pour la vérité et les valeurs.

Les jésuites impliqués
A souligner que l’Ordre des jésuites s’est particulièrement engagé en faveur du dialogue interreligieux. Au moment du Concile déjà, avec le cardinal Augustin Bea sj qui a joué un rôle de premier plan dans la genèse mouvementée de Nostra aetete. Un décret de la 34e Congrégation générale de l’Ordre (1995) aborde même cette question : « Etre religieux aujourd’hui, c’est être interreligieux, en ce sens qu’une relation positive avec les croyants d’autres confessions est une exigence dans un monde de pluralisme religieux. »
Marqué par une longue tradition missionnaire, l’Ordre va à la rencontre des personnes issues de religions et de cultures différentes. Le dialogue lui est si naturel, que, dans sa manière d’évangéliser, il s’en tient au principe d’inculturation qui respecte les valeurs culturelles. L’évangélisation et le dialogue sont les deux axes sur lesquels reposent les relations extérieures de l’Ordre et de l’Eglise. Beaucoup en ont fait l’expérience : le dialogue permet d’approfondir la foi, tout en étant un travail exigeant. La joie de la découverte et de l’enrichissement en fait partie, au même titre que la contrariété et l’incertitude.
De nombreux autres mouvements religieux récents montrent que le dialogue n’édulcore pas la foi : la Communauté des Béatitudes entretient une relation particulière avec le judaïsme, tandis que les Focolari et la Communauté de Sant’Egidio organisent régulièrement des manifestations interconfessionnelles. Nostra aetate n’est pas restée lettre morte, même si beaucoup doit être fait encore.
L’idée naïve que toutes les religions tendent vers la même fin, peu importe laquelle, me semble être une réaction de défense en vue d’éviter la confrontation : il est évident que les religions ont forgé différemment nos cultures. La peur est généralement causée par la méconnaissance, comme pour les Occidentaux vis-à-vis de l’Islam. Pourtant, un islam populaire rural d’Anatolie centrale, par exemple, n’est pas si éloigné d’un catholicisme rural. Par ailleurs, la perte de la foi chez le chrétien le pousse souvent à combler le vide par une peur de l’extérieur ; et l’extrémisme islamique, créé en parti suite à l’invasion américaine en Irak, n’est pas si éloigné du nihilisme occidental. Car l’extrémisme se nourrit du chaos et du vide.
Vivre dans un monde global et multiconfessionnel requiert une aptitude interculturelle et interreligieuse, qu’il est possible d’acquérir. L’onde de choc provoquée par la Shoah, par exemple, et le fait que le mépris du catholicisme à l’égard du judaïsme ait ouvert la voie à l’antisémitisme ont poussé l’Eglise à opérer un changement radical. C’est ce que Jean XXIII se proposait de faire à travers un document conciliaire sur le judaïsme (qui fut à l’origine de Nostra aetate). L’Eglise y reconnaît que la relation avec la communauté juive est inhérente au christianisme. A ce propos, l’archevêque italien Bruno Forte a un jour déclaré que les juifs étaient pour les chrétiens le « sacrement de l’Autre ». A n’en pas douter, l’élément déterminant pour la réussite du dialogue interreligieux réside dans le rapport des chrétiens à l’égard des juifs.

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