Chaque année, les œuvres d'entraide suisses invitent une personnalité à s’exprimer sur le thème de la Campagne œcuménique pour y apporter un éclairage spirituel. Elles donnent la parole cette année à Ivonne Gebara. Voici sa réflexion.
La vie humaine étant en étroite interdépendance avec toutes les autres formes de vie, nous sommes nombreuses et nombreux à nous interroger sur la manière dont nous interagissons avec le climat de notre pays ou de la planète, voire avec les sources d’énergie de la Terre, et à nous demander dans quelle mesure il nous incombe de veiller à leur renouvellement. Voilà des siècles que notre conduite et nos relations sont centrées sur l’être humain. Guidés par le précepte de l’amour du prochain, les chrétiennes et les chrétiens s’efforcent depuis toujours de porter aide et assistance aux personnes qui souffrent et qui subissent l’oppression, qu’il s’agisse de proches ou d’étrangers et étrangères. Toutefois, notre amour ne s’est pour ainsi dire jamais étendu aux êtres vivants non humains ou aux sources d’énergie de la Terre.
Aujourd’hui, les relations empreintes d’amour humain sont intimement liées à notre rapport à la Terre, car nous avons de plus en plus conscience que nous dépendons des autres formes de vie existantes. Nous vivons grâce à la diversité de la vie qui caractérise notre planète. Si la Terre tombe malade, nous le deviendrons nous aussi et nous disparaîtrons avec elle.
Incontestablement, à cause de notre «progrès» sans limites, dévorant et dangereux, nous causons non seulement la mort prématurée de nombreux êtres humains, mais nous rendons aussi les sols, l’air et l’eau malades et provoquons l’extinction des espèces et des forêts. Sans nous en rendre compte, nous négligeons et détruisons la biomasse de la Terre, qui compte pourtant aussi parmi nos prochains. Nombre d’entre nous objecteront certainement: «Je n’ai jamais fait ça! Je ne saurais être tenu·e responsable de la crise mondiale de l’eau! Je n’ai jamais détruit de forêt tropicale! Je n’ai provoqué aucune guerre!». Ces affirmations révèlent cependant à quel point la pensée cloisonnée inculquée par notre éducation nous coupe des autres habitant∙e∙s du globe, à quel point nous nous considérons comme le centre de la Terre, comme des êtres rationnels invités à dominer la planète tel un objet voué à l’exploitation et à la consommation. Sans nous en apercevoir, nous sacrifions la Terre à notre voracité. Nous ne nous employons pas à mieux comprendre les liens d’interdépendance qui nous unissent à notre planète ni à reconnaître la nécessité de repenser et de revoir notre rapport à la Terre, dont nous ne constituons qu’une facette.
«Ce n’est plus sur l’aumône aux pauvres, mais sur une refonte des principes économiques régissant la cohabitation sur notre planète que doit se focaliser notre amour.»
Il y a une urgence qui tire aussi son origine de la tradition chrétienne, c’est celle d’élargir notre conception de la notion de prochain à la lumière du principe d’interdépendance. Sont en effet à considérer comme nos prochains, et donc à traiter avec respect, autant notre milieu de vie naturel que nous appelons nature, que les mendiant∙e∙s qui vivent pauvrement dans nos rues, les communautés indigènes qui habitent dans l’hémisphère Sud et les personnes qui meurent chaque jour de sous-alimentation dans de nombreux pays. Figurent également parmi nos prochains les personnes dans le besoin qui ne se perçoivent pas comme telles, lesquelles vivent principalement dans les pays riches. De même, les personnes qui manient les leviers du système capitaliste de notre monde et créent de la richesse en causant la mort et la pauvreté sont aussi nos prochains. Par amour pour ces prochains, nous devons les empêcher de continuer à pratiquer l’exploitation et de semer ainsi davantage le malheur. Ce n’est plus sur l’aumône aux pauvres, mais sur une refonte des principes économiques régissant la cohabitation sur notre planète que doit se focaliser notre amour. Nos prochains nous poussent à nous interroger: «Qu’avons-nous fait subir à nos frères et sœurs? Qu’avons-nous fait subir à notre planète?»
En réalité, nous réservons souvent les mots «frère» et «sœur» à nos pairs. Lorsque nous ne connaissons pas le visage ni l’histoire de ces frères et sœurs, il ne s’agit que de numéros statistiques qui ne méritent au mieux qu’une aide ponctuelle. Nous pourrions parler de nous-mêmes comme de «guides d’aveugles aveugles», en référence à notre façon d’agir et aux projets qui promeuvent le progrès élaborés dans les hauts lieux du pouvoir politique, économique et même religieux.
Il n’est peut-être pas trop tard pour retrouver notre bon sens. Nous avons encore des chances d’éviter un nouveau déluge susceptible d’être bien plus grand et dévastateur que la pandémie actuelle de coronavirus ou de nombreux autres désastres!
Il est essentiel que nous nous défassions de notre naïveté sociale et théologique.
Nos divinités sont à l’image et à la ressemblance de nos propres intérêts. Personne parmi nous ne serait porté à croire à une divinité qui serait à l’image et à la ressemblance des opprimé·e·s ou des victimes de notre ordre ou désordre social. Nous avons beau proclamer le Dieu unique, nous avons de nombreuses divinités!
Le fait de nous considérer, nous-mêmes et notre pays, comme celles et ceux aptes à donner l’aumône nous fait parfois négliger l’immense richesse culturelle des autres, qu’elles et ils soient pauvres, mendiant∙e∙s, réfugié∙e∙s ou expulsé∙e∙s de leur pays. Comme si leur histoire n’existait pas! Même si nous faisons preuve de bon cœur et partageons les miettes qui tombent de notre table, nous ne changerons rien à cette situation tragique. Il en va ainsi dans les pays de la Terre entière, car nous maintenons toutes et tous une hiérarchie économique, une idée du développement, une puissance militaire et d’autres éléments que l’ordre mondial actuel a érigés au rang de valeurs et nous contribuons à asseoir l’hégémonie exercée par certains au détriment des autres.
Qui est notre Dieu? Quels sont ses intérêts?
J’ose espérer que le Dieu patriarcal qui légitime le pouvoir est sur le point de disparaître. N’étant que de passage sur cette Terre, peut-être serons-nous amené∙e∙s à abandonner notre modèle de Dieu tout-puissant, maître de l’Univers.
L’humanité peut soit s’autodétruire soit, poursuivre sa route au sein de la mystérieuse et merveilleuse Création, ce cheminement extraordinaire de tous les êtres qui sont animés du même souffle et sont capables, désormais, de témoigner leur gratitude en ce moment unique de coexistence sur notre Terre.
Le gaspillage fait des ravages
Pour la deuxième année consécutive, la Campagne de Carême 2021 des œuvres d'entraide suisses -EPER, Action de Carême, Être Partenaires-, qui démarre le 2 mars avec le mercredi des Cendres, a pour thème la justice climatique, et plus particulièrement cette année l'accès à l'énergie. Elle aborde cette problématique à travers des faits et invite à adopter un mode de vie porteur de sens pour envisager l’avenir. Les œuvres d'entraide promeuvent ainsi à travers leurs projets des modèles d’énergies renouvelables de proximité qui satisfont à des critères sociaux et qui associent la population locale et les communautés autochtones à leur gestion. La Campagne 2022 traite également de la dimension symbolique de l’énergie: qu’est-ce qui nous donne de l’énergie? Et comment puis-je transmettre une énergie positive?