Évidemment, tous les mères et pères ne réfléchissent pas comme ce couple que je rencontrais cet été pour préparer le baptême un mois avant l’accouchement déjà, l’épouse ronde comme un ballon de l’Euro 2021. Certains pensent plus à eux-mêmes qu’au bien de leur futur∙e petit∙e et se laissent tenter par les propositions mirobolantes, souvent anglo-saxonnes, d’applications spécialisées, ce qui peut donner en Valais par exemple: «Scarlett Mariéthoz» ou «Kevin Héritier» (il s’agit là bien sûr de dénominations fictives).
C’est comme pour les modalités des funérailles, si je puis me permettre ce parallèle un peu audacieux: les familles restent totalement libres de leurs décisions. Comme agents pastoraux, nous pouvons seulement leur faire prendre conscience que de privilégier un ensevelissement dans «la plus triste intimité» va priver les amis et connaissances du défunt de la possibilité de lui dire adieu, de poser des gestes et d’entendre et prononcer des paroles à l’occasion des rites communautaires, et ainsi de pouvoir entamer « correctement » leur processus de deuil.
De même pour les prénoms, nous pouvons peut-être, en amont de leur choix définitif, attirer l’attention des futurs parents sur le poids symbolique de l’appellation de leur enfant. Voire même les amener à prendre en compte non seulement des critères esthétiques ou people, mais aussi des éléments attachés à l’étymologie ou à l’origine des prénoms et, pourquoi pas, aux liens à établir avec le saint patron ou la sainte patronne. Cela m’est arrivé, comme curé de paroisse, de signaler aux conjoints cette dimension -à laquelle ils n’avaient pas pensé- et de les conduire à un choix plus signifiant et harmonieux avec le contexte sociétal.
Appelés et uniques
Car le prénom dit l’être, comme dans l’Écriture, il manifeste l’unicité de la personne. C’est pour cela qu’il est symboliquement prononcé par les parents (et les frères et sœurs) au début de la célébration du baptême, pour bien manifester que Dieu appelle par son nom le ou la baptisé∙e dès le commencement de sa trajectoire de vie, qu’il veut lui donner son Esprit saint et faire de lui son fils ou sa fille, un membre de sa famille qu’est l’Église.
L’existence est vocation, nous sommes précédés. Bien entendu, nous ne sommes plus à l’époque où le curé de la paroisse s’arrogeait le droit de refuser un prénom baptismal retenu par l’entourage, au prétexte qu’il ne correspondait à aucun∙e saint∙e du calendrier. Désormais -et c’est bien ainsi-, ce rôle est dévolu à l’officier d’État civil et ce dernier, au nom de l’autorité politique, peut protéger un nouveau-né contre l’extravagance de ses parents et refuser un prénom impossible à porter. Cela montre bien, puisque les règlements publics s’en mêlent, que le prénom n’est pas une étiquette superficielle ou extérieure, mais qu’il touche le cœur et l’âme de l’être humain qui le porte.
Que faire si nous n’aimons pas le prénom que nous avons reçu? La pratique du double (ou triple) prénom peut s’avérer utile, en laissant la possibilité de jeter son dévolu plutôt sur le deuxième ou le troisième. Sinon, nombre de personnes s’attribuent un surnom ou se voient affubler d’un diminutif ou d’un autre prénom affectif, ce qui leur permet de bien survivre.
Emma, le retour
Reste que ces dernières années ce sont plutôt des prénoms courts et anciens (Emma, Léa, Julie, Théo, Luca, Nathan, Enzo) qui ont trusté les podiums des prénoms préférés, notamment par les Romands, signe que le lien avec la racine biblique ou le saint en question n’est pas totalement distendu.
Pastoralement je préconise, en catéchèse en tous cas, que nous valorisions le sens étymologique des prénoms des petits et que nous ne manquions jamais de leur raconter l’histoire de leur patron∙ne. Plus que l’évocation de son caractère, que beaucoup d’ouvrages ou de recueils attachent de manière prédéterminée à tel prénom (je ne crois guère à cette forme de prédestination, il y a autant de tempéraments différents que de Louise), c’est une voie de sainteté possible qui est ainsi ouverte pour le petit garçon ou la petite fille. Cela peut lui donner envie de cheminer en compagnie du Christ, dans l’Esprit. Rien de préétabli dans nos prénoms reçus, mais une ligne spirituelle de fidélité créatrice à l’Alliance que le Seigneur établit avec chacun∙e de nous.
François-Xavier Amherdt dirige les collections Perspectives pastorales et Les cahiers de l’ABC. Il est l’auteur de nombre d’ouvrages, en particulier de pastorale. Dernier en date, Ce que dit la Bible sur… le sport.