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mercredi, 28 juin 2017 10:59

Nature et photographie: du XIXe siècle à la fiction verte contemporaine

garcia uriburu 2En 2010, l’artiste Nicolas Garcia Uriburu et Greenpeace colorent les eaux du Riachuelo en vert - l'un des cours d'eau les plus pollués de la planète, qui sépare le sud Buenos Aires de sa banlieue - pour réclamer le nettoyage du bassin. © Greenpeace«Objectif, objectif, dis-moi qui est le plus beau?» Depuis l’avènement de la photographie, le paysage se pare de ses plus beaux effets pour sublimer la réalité et flatter l’œil de celui qui le regarde. Plus rien d’objectif pourtant dans la démarche du photographe qui traduit la nature plutôt que de la refléter dans ses moindres détails. Les représentations paysagères évoluent donc de pair avec notre vision de la nature, influencée par le développement de l'écologie. Près de deux cent ans de clichés passés sous la loupe par Anaïs Belchun, doctorante en arts plastiques au sein du laboratoire LARA-SEPPIA de l’Université de Toulouse Jean Jaurès. Elle signe une thèse sur «L’écologie à l’œuvre dans les arts du paysage».

Si la photographie n'est plus considérée comme image objective du monde, elle reflète pourtant la vision que nous en avons: l'évolution de notre vision de la nature et celle des représentations paysagères sont donc liées.
Les premières photographies de paysage, documentaires ou artistiques, reflètent une vision de la nature héritée de l'époque classique: représentation figurative, frontale, distanciée. La nature est vue de l'extérieur, étudiée par les scientifiques et représentée par les artistes, comme un ensemble d’objets posés les uns à côtés des autres.
Les représentations illustratives culminent dans la carte postale, qui reprend les codes picturaux de paysages bucoliques ou pittoresques, mettant en scène une nature humanisée et idéalisée. Émerge ensuite l'idée d'une nature sauvage et sacralisée, incarnée dans le «Wild West» américain et une nouvelle esthétique paysagère: le sublime.

Nouvel air
Mais au XXe siècle, l'écologie fait évoluer notre vision de la nature. À l'origine discipline scientifique, elle est vite utilisée dans des discours politiques ou marketing. Des images stéréotypées de la Terre et de la Nature, réduite à la végétation puis à la couleur verte, deviennent les symboles d'un ensemble flou se rapportant à la nature, l'environnement et l’écologie.
Les codes paysagers classiques se retrouvent dans des «clichés» publicitaires, dans les deux sens du terme. Bucolique: prairie d’herbe verte avec un arbre solitaire sous le ciel bleu; ou pittoresque, sublime, spectaculaire: forêt foisonnante, montagne enneigée, coucher de soleil sur la mer, etc.

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Ces images ne présentent pas un lieu réel et singulier, et ne sont pas représentatives de la diversité naturelle, ni de l’écologie. Elles sont des représentations fictionnelles, utilisées pour leur pouvoir suggestif. Cet effet-écologie s’érige en récit sociétal: la «fiction verte».

Écologie et paysage au XXe siècle: une nouvelle vision du monde
L'essor de la science écologique, «étude des relations entre les êtres vivants et leur milieu», fait émerger une autre vision. La notion de milieu, qui inclut des éléments vivants et non-vivants, remplace l'environnement figé par un système d'organisation fonctionnel: l'écosystème.
L’écologie s’intéresse à l'organisation et aux interactions entre les constituants de la nature. Celle-ci est redéfinie comme «un système dynamique global, ensemble de processus et de relations» (Loïc Fel, L'esthétique verte, éditions Champs Vallon, Ceyzérieu 2009), dont la science révèle l’unité systémique. Une vision holistique du monde à l'échelle planétaire.
Face à la nature ainsi redéfinie, «l’expérience esthétique ne se réduit plus à la contemplation frontale d’un objet, elle s’étend à l’expérience de phénomènes complexes interdépendants», note Loïc Fel. Le paysage devient un ensemble dynamique dont nous faisons partie. Des philosophes tels Alain Roger ou Augustin Berque mettent aussi en avant la dimension culturelle du paysage, considéré comme construction artistique ou relation entre l’Homme et le monde. L’esthétique paysagère passe alors d’une représentation du lieu à une présentation des liens: relations écosystémiques ou relation homme-nature.

Nouvelles orientations de la photographie de paysage
À la fin du siècle, urbanisation, tourisme et prise de conscience écologique entraînent un intérêt nouveau pour le paysage, qui devient «un écrin de vie à préserver». Le paysage documentaire évolue, avec les missions photographiques observant les dynamiques paysagères (notamment en France pour la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) entre 1963 et 2014, Observatoire des Paysages1) et l'écologie du paysage (prises de vue aériennes permettant d'appréhender les relations entre écosystèmes à grande échelle). Intégrant les relations entre l'humain et le milieu, ces images présentent la nature sans l’idéaliser.
Des artistes réutilisent les savoirs et démarches scientifiques. The lagoon cycle, œuvre de Helen Mayer et Newton Harrison, présente l'écosystème d’un lagon sous forme d'un récit constitué de photos, croquis, cartes et textes. La photographie de paysage opère le passage entre le site réel, le concept scientifique et le territoire de l’imaginaire.

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 Parties de l'installation de photographies relatant l'histoire d'un lagon -The Lagoon cycle (1978)- de Helen Mayer et Newton Harrison ©theharrisonstudio.net

Autre orientation de l'art du paysage: l'art in situ. Des installations de Land Art aux promenades d'artistes, l'œuvre est réalisée dans et pour un lieu singulier. Le spectateur est en situation d'immersion, faisant appel à tous ses sens. «Il ne s’agit plus de contempler le paysage, mais de l’habiter », témoigne Loïc Fel. Cette approche fait écho à la vision écologique de la nature, comme système global dont l'homme fait partie. La photographie permet de représenter l’œuvre hors-site (exposition ou livre): il ne s’agit plus de représenter un paysage, mais une œuvre dont le paysage fait partie tout en la dépassant.

La problématique écologique peut être explicite. Pour donner à voir et dénoncer la pollution, Nicolas Uriburu colore des fleuves avec un pigment vert fluo, rendant directement visible dans le paysage les flux de matières chimiques dans l'eau.
Capture decran Andy GoldsworthyLe Britannique Andy Goldsworthy est l'un des principaux artistes du Land art.

De la prise de conscience écologique découle aussi une éthique et une esthétique de la simplicité, évoquant la relation homme-nature de manière plus personnelle et sensible. Ainsi Andy Goldsworthy travaille avec le paysage, cherchant un contact instinctif en harmonie avec la nature. Ses photographies d'installations éphémères, constituées d'éléments naturels, encensent la beauté de la nature: lignes de feuilles en dégradé de couleurs, jeux de lumières sur des sculptures de glace, etc.

Enjeux de société
Cette évolution de notre manière de voir et représenter la nature entraîne le développement de nouvelles pratiques et esthétiques paysagères. La représentation du réel par la fiction artistique permet alors de mieux le comprendre. Car l'importance de ces photographies réside dans l'expérience partagée de la nature comme un ensemble qui nous englobe et nous dépasse. Participant à l'invention d'une nouvelle manière d'habiter le monde, ce développement culturel répond ainsi à des enjeux de société cruciaux, ouvrant la voie à une relation plus harmonieuse avec la nature.

Anaïs Belchun,
LARA-SEPPIA, Université de Toulouse, UT2J, Toulouse, France

1 En France, l'observatoire photographique du paysage dispose d'un fonds photographique numérisé (en haute définition et en basse définition), avec des points de vue géoréférencés dans la base cartographique de données CARMEN et devant être accessibles via le portail du système d’information documentaire de l’environnement (SIDE)3.

NDRL: Les liens associés à Andy Goldsworthy ne sont pas des sites officiels, mais des pages qui répertorient son travail et/ou proposent les liens vers les galeries qui représentant l'artiste.

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