Au moment où plusieurs pays ouverts à la GPA reviennent sur sa légalisation après la révélation de plusieurs scandales, un travail de conscientisation des véritables enjeux est nécessaire. (lire dans choisir n° 688 Aliénation de femmes. La gestation pour autrui, par Lucetta Scaraffia). En France, des associations féministes avaient dénoncé, dès 2011, la GPA comme un pas de plus vers la marchandisation du corps des femmes. «Le public était alors saisi par la compassion en faveur des couples stériles ou gays incapables par définition de procréer», analyse Marie-Josèphe Devillers, co-présidente avec Catherine Morin Le Sech de CQFD lesbiennes féministes, association fondatrice de la CIAMS.1) Elle constate que les personnes ne sont pas informées, mais manipulées par des arguments compassionnels relayés par les médias.
Un acte d’abord commercial et non médical
Selon elle, «présenter la GPA comme une procréation médicalement assistée (PMA) est une escroquerie, car dans la GPA, seule la FIV (fécondation in vitro) est un acte médical. Tout le reste est commercial: sélection sur catalogue de donneuses d’ovocytes, de mères porteuses, de cliniques, de juristes pour assurer la filiation, signature de contrats, versements d’argent.» Or le label médical fait passer la GPA pour une avancée scientifique et la légitime. Le public, ainsi influencé, amalgame PMA et GPA qui sont pourtant bien distinctes. Dans la PMA, la mère porte son enfant et le garde à la naissance, alors que dans la GPA, un couple dispose du corps d’autrui dans un abandon programmé d’enfant.
Exploitation des plus pauvres
L’argent est souvent absent des débats. Aux États-Unis une GPA coûte environ 100'000 €, dont seulement 10'000 € vont à la mère porteuse. Dans une situation financière précaire, des femmes sont doublement mises à contribution pour améliorer le quotidien de leur famille, parfois sous la pression de leur mari et par les parents d’intention du futur bébé. Quant aux femmes des pays pauvres, on peut parler d’exploitation à grande échelle. La GPA est un marché lucratif de tourisme reproductif, avec de puissants lobbies économiques comme les laboratoires, où les réseaux mafieux peuvent prospérer. Les ressources médicales locales sont détournées pour ouvrir des usines à bébés. Une officine de Georgie a ainsi choisi le Kenya, pays peu cher et sans cadre juridique, pour proposer des mères porteuses locales, pratiquer la sélection du sexe et fournir le bébé clés en mains. «La gestation est un terme utilisé pour le bétail appliqué aux mères porteuses, et il est proche de la réalité», souligne Catherine Morin Le Sech.
La GPA éthique n’existe pas
Elle pointe l’escroquerie de la gestation dite éthique: «La GPA éthique n’est pas plus acceptable que l’esclavage éthique. Il s’agit d’un contrat inégal d’un dominant sur une dominée.» On ne voit pas de femmes défiler avec des banderoles laissez-nous porter les bébés des autres, ni de femmes riches porter les bébés pour des femmes pauvres. Au Royaume Uni, qui promeut une GPA sans versement d’argent autre que pour les frais médicaux, on manque de mères porteuses. Pour Jennifer Lahl, présidente du Center for Bioethics and Culture Network aux États-Unis, «les lois, les règlements et les contrats ne peuvent jamais protéger les femmes et les enfants des nombreux préjudices liés à la maternité de substitution.» Dans ces contrats, les parents d’intention dirigent presque tous les détails de la vie de la mère porteuse jusqu’au moment de la naissance: conditions de vie, déplacements, activités jusqu’à sa vie sexuelle.
Il s’agit d’une fausse conception de la liberté des femmes. Le slogan «un enfant si je veux quand je veux», né du mouvement en faveur de la contraception et de l’avortement dans les années 70, faisait appel à l’autonomie des femmes. Avec la GPA, on assiste à un retournement pervers de cette cause: un enfant par tous les moyens, en laissant croire que les mères porteuses auraient la libre disposition de leur corps.
Un détournement compassionnel
En réalité, cet «altruisme» exclusivement féminin est l’écran qui dissimule la liberté de disposer du corps d’autrui et de le marchander. Claire Quidet, porte-parole du Mouvement du Nid, parle à propos de la GPA de prostitution utérine: «La GPA est un obstacle à l’égalité femmes hommes. De quelle manière l’argent gomme-t-il la souffrance et les impacts liés à la GPA? Car les traumas, eux, ne s’effacent pas.» Les exemples médiatiques dits «altruistes» (telle sœur qui porte l’enfant pour sa sœur) ne sont pas réalistes mais restent l’exception, exception non significative pour le choix éthique nécessaire à faire. L’altruisme est une illusion. La mère porteuse fait le sacrifice de son bébé. Le sacrifice n’est pas équivalent à de l’altruisme et le désir d’enfant au prix du sacrifice de l’autre ne l’est pas davantage, qu’il y ait ou non achat du corps.
La GPA est une industrie qui rapporte beaucoup d’argent. On a de la compassion pour les couples stériles et la difficulté qu’ils ont à faire reconnaître leur enfant dans les pays où ce n’est pas légal. Mais leur enfant a en fait une autre nationalité et ce sont les parents qui l’ont placé dans l’illégalité. En revanche, qui a de la compassion pour les mères, leur famille et les bébés? interroge la Dr Catherine Dolto: «Peu de voix s’élèvent pour se soucier de la charge de souffrances qui accompagneront inévitablement de tels dispositifs. Celle de la mère qui doit abandonner, celle de ses autres enfants, celle de son compagnon et celle de l’enfant à naître, si poreux, dès la vie prénatale, aux souffrances de ceux qui l’entourent .» Les dernières études montrant qu'outre les liens génétiques de sang, un fœtus est marqué par sa vie intra-utérine, les premiers sons qu’il entend, les premières saveurs qu’il goûte, toute choses dont il sera privé lors de son abandon par sa mère porteuse.
Comme pour la prostitution, le trafic d’organes ou la traite d’êtres humains, la GPA s’inscrit dans des rapports de domination, ceux des hommes sur les femmes et des riches sur les pauvres. Pour Jennifer Lahl, «la maternité de substitution est un problème international qui a besoin d’une solution internationale. La solution ne peut être que d’interdire totalement ces grossesses sous contrat.» C’est l’espoir et le but de cette nouvelle structure qu’est la CIAMS.
1) La CIAMS a été fondée en France par trois autres associations : le CORP (Collectif pour le respect de la personne), la CADAC (Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception) et l'Assemblée des femmes.
Bibliographie
Sylviane Agazinscki, Corps en miettes, Paris, Flammarion 2009.
Myriam Szejer et Jean Pierre Winter, «Les maternités de substitution»
Jennifer Lahl, «Breeders : A Subclass of Women», film documentaire
René Frydmann
Muriel Fabre Magnan