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lundi, 13 décembre 2021 15:51

Mariage, sous quel patronyme?

Mariage civile, signature des registres par le temoin © Sebastien Desarmaux/GodongDepuis 1988, la question du changement de nom -ou pas- des fiancés au moment de leur mariage et du nom de naissance que recevront leurs futurs enfants fait objet de débats à Berne. La dernière réforme du Code civil en 2013 a été suivie d’une nouvelle initiative parlementaire, sur laquelle la Commission juridique du National planche encore. Pourquoi tant de lenteurs, de difficultés à trouver une formule rassembleuse, claire et si possible simple? Parce que les questions qui se jouent autour du nom reflètent à la fois celles des identités personnelles et des valeurs d’une société, et qu’elles sont donc éminemment émotionnelles.

Le nom était encore considéré au XIXe siècle comme relevant de la sphère privée. En Suisse, il faut attendre 1907 et le premier Code civil (CC) du pays pour qu’il fasse l’objet de dispositions légales, pour des raisons d’ordre et d’identification, notamment en ce qui concerne les effets du mariage. Y est inscrite l’obli­gation pour la femme de pren­dre le nom de son époux.

Il devient ensuite évident pour le législateur des années 80 que cette vision traditionnelle du mariage et du rôle des époux n’est plus adaptée aux mœurs de la société. La révision de 1988 corrige le tir, en permettant notamment à la femme d’adopter un dou­ble nom légal.

Très vite cependant l’édifice se lézarde, car la loi ne respecte pas l’égalité des sexes imposée par la Constitution. Mais les réponses tardent à venir. Il faudra un arrêt de la Cour européenne, une révision de l’Ordonnance sur l’état civil, deux initiatives parlementaires, trois projets de réforme du droit du nom, dont deux rejetés après des débats parfois houleux au Parlement, pour que soit adoptée, plus de 20 ans plus tard et pratiquement sans débat, la dernière révision du CC.

Depuis 2013, on a ainsi une nouvelle loi parfaitement égalitaire, mais qui, pour introduire l’immuabilité du nom aussi pour la femme, a sacrifié le principe d’un nom de famille commun aux époux et à leurs enfants et aboli, dans la foulée, le double nom légal. Reste la possibilité de se rabattre sur le nom semi-officiel d’alliance. [Pour une meilleure compréhension du déroulé des faits et des précisions sur les termes juridiques, voir l’encadré à la fin de l'article.]

Le nom des enfants

Il ressort de ce serpent de mer la douloureuse impression d’un texte légal manquant de nuances et de sensibilité. Le législateur est passé à côté du désir très ancré des parents d’exprimer leur union par leur nom et surtout de porter le même nom que leurs futurs enfants.

La réforme de 2013 oblige en effet l’un des époux (au choix) à abandonner son nom pour prendre celui de son conjoint s’il veut pouvoir porter le même nom que ses futurs enfants. Les législateurs ont pensé que le choix porterait à parts plus ou moins égales entre le nom de naissance de la femme ou celui de l’homme. La réalité est tout autre: les statistiques 2013-2020 indiquent que près de trois-quarts des couples choisissent un nom de famille commun à la conclusion du mariage, et que celui-ci est pratiquement toujours celui du mari.

Reste qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tous les cas de figure. Comme les débats dans les Chambres et dans le public l’ont montré au cours de ces trente dernières années, les positions personnelles sur le nom peuvent être très différentes. Et la fourchette des opinions s’est probablement encore agrandie depuis 2013. Chacun a un attachement ou détachement différent par rapport à son nom, selon son vécu familial, matrimonial et parental. Pour l’un, le nom de célibataire résonne douloureusement et la perspective de pouvoir en chan­ger est libératoire. Pour l’autre, il fait partie de son identité professionnelle construite en tant que jeune adulte. Telle femme aura une mémoire très heureuse d’un premier mariage et souhaiterait pouvoir garder ce nom qu’elle s’est pleinement approprié et avec lequel elle a construit sa vie. Et c’est sans parler du casse-tête des familles recomposées, où on arrive parfois à des situations rocambolesques, comme celles d’époux partageant un toit avec des enfants nés de différents mariages précédents… sans qu’aucun de ceux-ci ne porte l’un de leurs noms.

Pour une libéralisation du droit du nom

La question est éminemment complexe. La loi doit jongler entre l’égalité des droits des hommes et des femmes et la protection de l’identité de chacun des époux et des enfants. Elle doit, en outre, suivre l’évolution de la société, mais sans imposer de changements radicaux. Le retour au double nom légal -pour l’homme et pour la femme- résoudrait une partie du problème. De même que l’adoption d’un dou­ble nom de famille commun pour les enfants, comme cela se fait au Portugal, qui inscrirait l’enfant dans la filiation de ses deux parents, ce qui permettrait aux femmes (puis­qu’il s’agit d’elles concrètement) de garder leur nom d’avant mariage. Cette option a toujours été catégoriquement rejetée par le législateur, malgré de nombreuses demandes de parents dans ce sens. Le contenu du nouveau droit du nom en élaboration n’est pas connu à ce stade, mais il paraît peu probable que le double nom des enfants soit envisagé.

Reste qu’au final, il est probable que seule une approche plus libérale du droit du nom solutionnerait tous les problèmes actuels et futurs. Elle laisserait à chacun la possibilité, au moins au mariage, de choisir le nom qu’il veut porter, que ce soit son nom de naissance, celui d’un précédent mariage, celui du nouveau ou de la nouvelle époux·se ou d’un double nom de famille. Dans le cas contraire, il faut s’attendre à ce que de nouvelles complications administratives et procédures judiciai­res surgissent pour corriger la loi au fur et à mesure. 

Margareta Baddeley a été vice-rectrice de l’Université de Genève en charge, entre autres, de la promotion de l’égalité, de 2011 à 2015. Elle est l’auteure de «Le droit du nom suisse: état des lieux et plaidoyer pour un droit ‹libéré›», in La pratique du droit de la famille, vol. 22, n° 3, 2020, Stämpfli Verlag AG, pp. 613-643.


Pour y voir (un peu) plus clair

Nom légal: nom inscrit au registre de l’état civil, qui permet d’identifier une personne à des fins légales, administratives et autres.

Principe de l’unité du nom de famille: il obligeait jusqu’en 2013 les époux et leurs enfants à avoir tout ou une partie de leur nom légal en commun. Il n’est plus applicable depuis, sauf si les époux choisissent expressément de porter un nom commun. Il s’agit alors obligatoirement du seul nom de naissance (nom de célibataire) de l’un d’eux. Les enfants des époux sont enregistrés à l’état civil sous ce nom commun (quand il existe) ou sous le nom d’un de leurs parents (choisi par les époux).

Double nom légal: la réforme du droit matrimonial du Code civil (CC) entrée en vigueur en 1988 visait à instituer l’égalité des droits et des obligations des époux. L’exigence d’un nom de famille commun étant maintenue (celui du mari) à l’époque, possibilité a été donnée à l’épouse d’adopter un double nom légal, composé de son nom d’avant le mariage et du nom de famille de son mari (sans trait d’union entre eux). Les fiancés pouvaient toutefois demander, par le biais d’un changement de nom, à porter le nom de la femme comme nom de famille, mais sans que le mari ne puisse adopter un double nom légal.
Cette inégalité de traitement a été dénoncée à la Cour européenne des droits de l’homme, qui a donné raison au plaignant (affaire Burghartz). Pour corriger ce biais, l’adoption par le mari d’un double nom légal a été rendue possible dès 1994 via la modification de l’Ordonnance sur l’état civil, mais sans modification du CC.
S’en ont suivies deux initiatives parlementaires visant à modifier le CC dans le sens de plus d’égalité entre les époux quant au choix du nom de famille, déposées respectivement par les conseillères nationales Suzette Sandoz et Susanne Leutenegger Oberholzer en 1994 et 2003. Après six ans de préparation environ dans chaque cas, les deux projets de réforme du CC ont été rejetés par le Parlement. Un troisième projet a enfin été accepté par les Chambres en septembre 2011. Mis en œuvre depuis 2013, il ne prévoit plus de double nom légal.
Le 15 décembre 2017, le conseiller national Luzi Stamm a déposé une initiative parlementaire demandant la réintroduction de celui-ci. Un projet de loi est en voie d’élaboration depuis février 2020.

Nom d’alliance: le nom d’alliance résulte du droit coutumier. Il n’est pas inscrit dans le registre de l’état civil, mais peut être utilisé au quotidien et figurer sur certains documents officiels, en particulier sur la carte d’identité. Pour remplacer le double nom légal, il est composé du nom de famille légal, suivi du nom abandonné lors du mariage, tous deux séparés par un trait d’union. Il ne concerne pas les enfants des époux.

Principe de l’immuabilité du nom: il établit que le nom ne peut plus être modifié une fois inscrit au registre de l’état civil, sauf à certaines conditions fixées par la loi. Ce principe a inspiré les législateurs de la loi de 2013 et a remplacé celui de l’unité du nom de famille. Il explique l’importance accordée dans le droit actuel au nom de naissance (nom de célibataire).

Changement de nom sur autorisation officielle: toute personne peut être autorisée à changer de nom si elle fait valoir des motifs légitimes auprès de l’autorité compétente. Étant donné que le droit actuel mène parfois en matière de nom à des résultats qui paraissent injustes ou insoutenables, la loi de 2013 se veut plus souple que la loi antérieure. Elle permet à l’autorité de tenir compte de la situation personnelle, familiale et sociétale des personnes.

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