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lundi, 13 décembre 2021 16:04

Lorsque la vie et la mort se côtoient… de près

Les fausses couches tardives et les naissances d’un enfant en fin de vie ou déjà mort sont des expériences traumatisantes. Des efforts ont été entrepris en Suisse pour gérer de façon plus délicate et sensible les problèmes et conflits qui surgissent lors de ces circonstances. L’attribution à ces enfants d’un nom légal en fait partie.

Alberto Bondolfi est un théologien catholique, professeur honoraire de la Faculté de théologie protestante de Genève. Il a été membre de diverses associations et commissions d’éthique, dont le Comité national d’éthique dans le domaine de la médecine humaine.

Toute grossesse constituait autrefois un danger important, tant pour la femme enceinte que pour l’enfant à naître. Les fausses couches étaient à l’ordre du jour et les femmes vivaient leur désarroi et leur douleur le plus souvent dans la solitude, avec une participation fort discrète de leur mari. Aujourd’hui, le nombre des mortinaissances, soit les fausses couches se produisant à partir de la vingt-deuxième semaine de grossesse et les mises au monde d’enfants mort-nés, a fortement diminué en Suisse (plus de 300 par an tout de même). Cela principalement grâce aux moyens de surveillance et aux possibilités de diagnostic de la médecine moderne.

La médicalisation systématique de la grossesse, parfois décriée, a ainsi rendu cette expérience plus joyeuse et plus sereine pour les couples, même si la peur n’a pas complètement disparu de leur horizon. Les parents, du coup, vivent les expériences directes de fausse couche tardive ou les naissances d’enfants déjà morts ou en fin de vie de manière encore plus dramatique, dans un con­texte fortement marqué par l’apparat technique, qui ne connaît ni le silence ni l’intimité.

Après le constat du décès, survien­nent les interventions du droit et des traditions religieuses instituées. Pour les couples concernés, qui ont de la peine à s’orienter et à agir, ces étapes et leurs exigences spécifiques peuvent être ressenties comme des éléments de dérangement ultérieurs, voire des intrusions.

Inscription à l’état civil

Depuis une dizaine d’années, des progrès ont été réalisés autour de la gestion des mortinaissances, mais aussi des enfants nés sans vie suite à une fausse-couche survenant avant la vingt-deuxième semaine de grossesse. En novembre 2014, la conseillère nationale Marianne Streiff-Feller (Parti évangélique, Berne) déposait un postulat par lequel elle demandait au Conseil fédéral d’améliorer la situation juridique de ces enfants nés sans vie, qui ne bénéficient pas du même statut juridique que les enfants dits morts-nés, issus pour leur part d’une gestation d’au moins vingt-deux semaines et pesant au moins 500 grammes.

Cette différence de définition se révèle d’une importance cruciale pour les parents. En effet, les enfants nés sans vie ne peuvent bénéficier ni d’une sépulture ni d’une inscription au registre de l’état civil (et donc d’un nom légal). Ils se voient ainsi délester du statut de personne et de toute inscription publique dans une lignée familiale. Il existe également des inégalités au niveau de l’obtention du congé maternité et de la prise en charge des frais médicaux.

Lors de sa session de printemps 2015, le Conseil national a accepté le postulat, permettant ainsi une meilleure acceptation des enfants nés sans vie et une reconnaissance du statut de parents de leurs géniteurs. Le Conseil fédéral, pour sa part, a réagi en 2017 par la publication d’un rapport détaillé préconisant une procédure de reconnaissance des en­fants nés sans vie.[1] Dorénavant, les parents peu­vent faire enregistrer leur enfant issu de fausse couche auprès de l’Office de l’état civil, en lui attribuant un prénom et un nom de famille. En con­séquence, il leur devient aussi pos­­sible d’organiser des obsèques qui correspondent à leurs convictions philosophiques et/ou religieuses.

Cette solution pragmatique, assez typique de la mentalité suisse, laisse encore ouverte la discussion, toute théorique, touchant au statut juridique et moral de l’enfant né mort, indépendamment de la durée de la grossesse. Cette discussion peut et doit se poursuivre, afin que le cadre juridique soit cohérent et solide sur le plan des arguments prônés.

Le travail de deuil

Notre regard doit toutefois se tourner en priorité vers ceux qui en souffrent davantage: les parents et les proches, bien évidemment, mais aussi les soignants qui ont accompagné la femme qui vient de vivre une grossesse si douloureuse et, plus largement encore, le milieu hos­pi­talier où le drame s’est produit. Toutes ces personnes, avec leurs spécificités, doivent faire le deuil d’une perte qui ne ressemble pas aux dé­cès habituels et qui ne bénéficie pas de la même visibilité sociale.

Ce travail de deuil ne concerne plus tellement le droit et fait plutôt entrer en scène les représentants des instances religieuses, notamment les aumôniers des institutions hospitalières. Ceux-ci peuvent proposer aux parents des rites appropriés - même si les livres liturgiques ne prévoient pas de déroulement ad hoc. On ne peut qu’espérer que les souhaits des parents soient honorés dans ces circonstances, même s’il reste difficile d’appréhender les besoins spirituels des personnes touchées par cette douleur, voire par le désespoir.

Le fait que ces enfants n’ont pas pu être baptisés pourrait constituer un handicap ultérieur. Il faut espérer que les représentants des Églises chrétiennes ne se cachent pas dans l’absence juste au moment où leur présence, discrète et empathique, serait un signe de la crédibilité de leur message.  

 

En savoir plus
Michael Montavon, «La dignité humaine de l’enfant mort-né», in Jusletter, 27.08.2012.
Frédérique Granet, «Les droits européens et le décès périnatal», in Études sur la mort, n° 119, pp. 163-169, Begles, L’esprit du temps 2001.

[1] Améliorer le traitement à l’état civil des enfants nés sans vie. Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 14.4183 Streiff-Feller, consultable auprès de www.ejpd.admin.ch

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