Désastres climatiques, terrorisme, guerres, déplacements en masse de populations… L’humanité n’est certainement ni plus belle ni plus sage qu’hier, mais bien plus interconnectée, avec les électrochocs que cela induit. L’Europe découvre que la Terre n’est pas si grande, qu’elle n’est plus à l’abri des malheurs et des fléaux qui frappent les autres continents, qu’ils s’appellent misère, CO² ou Daesh. Des centaines de milliers de migrants d’Afrique et du Moyen-Orient, seuls ou en famille, traversent ses routes et ses campagnes, envahissent ses gares et ses trains, patientent dans des abris de fortune et se révoltent parfois devant ses barbelés. Ils fuient des guerres alimentées par des puissances étrangères, des gouvernements autoritaires ou corrompus, des économies dévastées. Demain, ils traverseront les mers et les déserts, à la recherche cette fois d’un coin de terre fertile, loin de la montée des eaux, des typhons et des sécheresses résultant du réchauffement de la planète.
Cette vision catastrophique, pronostiquée depuis longtemps par les spécialistes du climat et des flux migratoires, fait son chemin dans nos sociétés, pourtant habiles à jouer du déni.[1] Le pape François est devenu l’un des maîtres d’œuvre de cette entreprise de conscientisation. Sans relâche, il appelle l’Église, les collectivités et les individus à affronter ces réalités. Ainsi, dans son encyclique Laudato Si’ sur l’environnement, il demande à chacun d’ouvrir grand les yeux. Mais comme une lucidité sans espérance ne conduit à rien de bon, il affirme sa conviction que le Bien est plus fort que le Mal et invite à une conversion écologique.[2] Face aux drames des réfugiés, là encore, il exhorte chacun à se déplacer, «pour exprimer la proximité de l’Évangile», et chaque paroisse à accueillir des migrants.[3]
Les appels du Saint-Père rejoignent dans leurs questionnements nombre d’Européens et de Suisses. La compassion et la solidarité pourraient bien se révéler plus fortes que la peur cette fois ! Car ce sont les cœurs des hommes et des femmes qui sont touchés, et beaucoup se demandent comment aider les migrants. Du milieu du chaos, nous serions en train d’assister à une révolution des mentalités, que d’aucuns appellent de leurs vœux. Une centaine de théologiens suisses, catholiques et réformés, dont le jésuite Christoph Albrecht, ont élaboré cet été une Charte de la migration, qui propose une alternative au postulat «réfugiés = problèmes» et qui évalue les mesures à prendre à l’aulne de la justice.[4] Sur son site internet, Caritas suisse déclare pour sa part que le meilleur moyen d’aider les migrants est de leur faire sentir avant tout qu’ils sont les bienvenus: «Cherchez le contact avec les gens. Faites preuve de courage civique. Contrez les messages xénophobes.» Et pour bien prendre la pleine mesure de cette mutation, il suffit de réécouter les propos tenus par Mauro Poggia, conseiller d’État genevois MCG,[5] dans le Journal du matin de la RSR, le 15 septembre dernier. Il affirme qu’il n’y a plus de choix, qu’il faut gouverner avec la perspective réfugiés et investir pour «leur donner un avenir».
Même s’il y a urgence, ces «révolutions culturelles auxquelles nous sommes appelés auront besoin de temps pour devenir effectives. Car pour être efficaces, comme l’a expliqué le Père général jésuite Adolfo Nicolàs lors d’une récente intervention, nos conversions intellectuelle, morale et religieuse doivent être spontanées et non raisonnées.[6] Elles doivent être accompagnées d’une conversion plus profonde, celle de notre subconscient. Tout un programme!
[1] • Voir l’article sur la Conférence de Paris, aux pp. 21-23 de ce numéro.
[2] • Voir l’article de Michel Maxime Egger, aux pp. 14-17 de ce numéro.
[3] • A la suite de cet appel, comme d’autres communautés de Suisse, le Centre spirituel jésuite Notre-Dame de la Route, à Villars-sur-Glâne (FR), a décidé d’accueillir provisoirement une quarantaine de réfugiés dans ses locaux momentanément inoccupés.
[4] • Voir www.jesuites.ch, page news/réseau jésuite.
[5] • Mouvement citoyen genevois, un parti populiste de tendance xénophobe.
[6] • Semaine de réflexion sur l’actualité de la vocation monastique ou religieuse, Taizé, juillet 2015. Lire cette intervention sur www.choisir.ch.