Plus impressionnant encore, ils ne se « contentent » pas de dénoncer les atteintes aux droits humains : ils dénouent sur le terrain des situations intolérables et sauvent des vies. Ces activistes sont de vrais héros, dont il faut saluer le courage. C’est ce qu’a magistralement démontré la dernière session du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH, Genève, du 4-13 mars). Y assister en tant que spectateur, c’est, inévitablement, avoir envie à un moment ou un autre de détourner le regard, et se demander « pourquoi s’infliger cela ? ». Par égard pour ceux qui ont vécu dans leur chair la barbarie et qui témoignent, par respect pour ceux qui ont réalisé ces documentaires dans des contextes dangereux, par admiration pour ceux qui s’engagent pour sauver des vies. Et parce que chacun peut, une fois informé, devenir à son tour un lanceur d’alertes. Le FIFDH, en effet, a ceci de profondément constructif qu’il éduque[1] et apporte des réponses au sentiment d’impuissance.
La plupart des œuvres présentées et des débats l’ont démontré : face au Mal, dont l’imagination paraît sans limites, le Bien agit. A l’internationalisation des circuits mafieux (gouvernementaux ou pas) et terroristes, répond une mondialisation de la résistance. Comme le dit dans ce numéro Benoît Orval : « Lorsque des militants ou des journalistes mettent au jour des affaires, ils participent à la délégitimation de régimes despotiques et contribuent, modestement mais chaque fois un peu plus, à assécher les circuits de prédation dont ces derniers ont impérativement besoin pour se maintenir au pouvoir. »[2] Le documentaire Escape from Isis, projeté lors du FIFDH, informe sur les milliers de femmes et enfants yézidis enlevés en Irak par les forces de Daech, chosifiés et réduits à l’état d’esclaves sexuels ; mais aussi sur l’admirable travail de Khaleel Al-Dakhi, avocat originaire de Sinjar, membre d’un réseau souterrain qui a infiltré Daech pour sauver quelques-unes de ces femmes. Le reportage suisse Non assistance dénonce, pour sa part, le déficit des réponses des Etats face aux centaines de milliers de personnes qui tentent de trouver refuge en Europe en traversant la Méditerranée ; mais il montre aussi comment des bénévoles s’engagent, avec détermination et humanité, pour pallier ce manque.
Pour paraphraser le psychanalyste Daniel Strassberg,[3] il n’y aurait pas d’activisme politique sans une forme de transgression. Se révolter et lutter contre une force supérieure qui paraît insurmontable, c’est vivre le récit de David contre Goliath, c’est s’affirmer dans sa dignité d’individu et refuser de rester une victime. Pour un chrétien, cette résistance au Mal, à la haine, prend encore un autre visage, celui de la prière. A Bangui, en novembre passé, le pape François invitait les jeunes à prier, pour résister, pour ne pas haïr.[4] Pour aimer. A l’image de cet Erythréen suivi dans Voyage en barbarie, qui, comme bien d’autres, a voulu fuir la dictature de son pays, a été enlevé et s’est retrouvé au Sinaï dans un camp de torture inhumain. Libéré par un commando, on le voit parcourir les rues du Caire à la recherche d’un compagnon de détention, qui s’est « perdu » en cours de route en acceptant de devenir tortionnaire pour échapper à la torture ; rongé par la honte, il veut mettre fin à sa vie. « Mais nous en aurions tous fait autant si nous avions pu ! » dit en substance son ami qui le cherche. Ou qui sommes-nous pour juger... Cette forme d’engagement pour la paix, le plus souvent discrète, demande, elle aussi, un énorme courage.
[1] • Le festival d’ailleurs contribue au Programme mondial en faveur de l’éducation aux droits de l’homme, avec un programme pédagogique à l’intention des élèves genevois.
[2] • Voir Benoît Orval, Les affaires d’abord, aux pp. 18-23 de ce numéro.
[3] • «Le bénévolat, une transgression», in choisir n° 623, novembre 2011, pp. 21-24. A lire sur www.choisir.ch.
[4] • Voir Michel Segatara Kamanzi, Résistance, à la p. 13 de ce numéro.