Le pape constate : « Il est mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une loi ou à une norme générale, car cela ne suffit pas pour discerner et assurer une pleine fidélité à Dieu dans l’existence concrète d’un être humain. »[1] Du moment que le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas, mieux vaut renoncer à une législation de type canonique et accompagner plutôt la personne dans son cheminement compliqué, pour l’aider à faire des choix inspirés par l’Evangile. Se contenter d’appliquer des lois morales à ceux et celles qui vivent des situations « irrégulières » évoque, pour le pape, la lapidation des pécheurs à l’époque de Jésus. L’image est forte !
La pratique du discernement a toujours suscité la méfiance de ceux qui cherchent à se rassurer en cloîtrant la vie derrière les grilles d’un catalogue de normes. Comme s’ils redoutaient que la subjectivité humaine l’emporte sur la vérité. On se souvient des Provinciales de Pascal et des querelles plus récentes concernant la « morale de situation ». Certains prélats se sont empressés de minimiser la portée des propos du pape. Oubliant que l’Exhortation apostolique reprend les conclusions d’un Synode général représentant le magistère, un pétulant cardinal américain a trop vite conclu qu’il ne s’agit pas d’un acte du magistère, mais d’une opinion personnelle du pape François, capable d’engendrer une confusion nocive.
Pour qui emprunte le chemin du discernement, la réalité n’est plus toute noire ou toute blanche. S’il respecte certaines catégories dogmatiques, il ne les confond pas avec la vie. Il s’engage dans une dynamique à la recherche d’une solution concrète et réaliste, et au confort paresseux du formalisme, il préfère s’exposer au Dieu des surprises.
Ceux qui applaudissent aujourd’hui aux propos du pape sur le mariage devront s’en souvenir lorsqu’ils apprendront les tractations entre le Vatican et la Fraternité schismatique d’Ecône ! Jusqu’ici, Rome avait engagé le débat sur le terrain doctrinaire : il s’agissait pour Ecône d’accepter le concile Vatican II dans son ensemble, comme un enseignement insécable. Aujourd’hui, les exigences dogmatiques cèdent le pas à une invitation à entreprendre un discernement commun. Désormais, à en croire les déclarations de Mgr Guido Pozzo, secrétaire de la Commission Ecclesia Dei,[2] Rome n’exige plus une reconnaissance sans distinction de l’ensemble du concile, mais propose de moduler son acceptation selon le degré d’importance des documents conciliaires. Si l’adhésion à la profession de foi, le lien des sacrements et la communion hiérarchique avec le pape restent incontournables, d’autres décrets et déclarations qui ne sont que des directives pratico-pastorales doivent être accueillis « selon le degré d’adhésion requis ».[3] Reste à voir si Ecône acceptera de renoncer à sa rigidité inquisitoriale. Les critiques de Mgr Fellay à Amoris laetitia permettent d’en douter.
Une mentalité nouvelle se fait jour dans l’Eglise. A la raideur dogmatique succède un chemin de discernement, une dynamique de miséricorde. L’annonce du salut offert à tous doit tenir compte non seulement de la force de la vérité, mais de la personne et de ses circonstances.
[1] • Amoris laetitia, nos 300-305.
[2] • Commission chargée des discussions avec Ecône. Cf. cath.ch-apic, 07.04.2016.
[3] • C’est le cas du dialogue avec les religions non chrétiennes.