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mercredi, 15 juin 2022 10:55

La Chine en partage

Écrit par

EmonetMatthieu Bernhardt
La Chine en partage
Les écrits sinophiles du Père Matteo Ricci

Droz 2021, 472 p.

L’enjeu essentiel de ce livre est d’apporter un nouvel éclairage sur l’accommodation textuelle et éditoriale des écrits de Matteo Ricci, le génial jésuite italien qui s’est imposé comme la référence incontournable de la rencontre entre la Chine et l’Europe. Les écrits de Ricci, en particulier ses Mémoires, n’ont pas échappé aux manipulations bien intentionnées ou intéressées d’éditeurs soucieux de les adapter aux attentes des lecteurs européens pour rendre la Chine attrayante et faire l’apologie de la méthode missionnaire de leur auteur.

En scrutant avec minutie les écrits que Ricci a lus pour les accommoder à ses objectifs, et ceux qu’il a écrits mais qui ont été accommodés à d’autres objectifs avant de les diffuser, l’auteur conduit son lecteur à l’intérieur même du projet missionnaire de Ricci. Passionnant.

Ricci avait mis au point une méthode d’évangélisation fondée sur la symbiose entre le christianisme et le confucianisme. Bon connaisseur de la langue, savant mathématicien, il a rejoint les notables chinois sur un terrain commun où il excellait, celui de la culture. Frappé par une certaine parenté entre les valeurs prônées par le confucianisme et celles de l’Évangile, il a compris que si la sagesse chinoise ne devait rien à l’Occident, elle pouvait cependant trouver son accomplissement dans le christianisme du moment que le confucianisme convergeait avec la rationalité chrétienne héritée de la culture gréco-latine.

Dès lors il était préférable d’assimiler le message chrétien au confucianisme plutôt que de tenter de convertir la Chine à une culture qui lui était trop étrangère. Il ne s’agissait donc pas de christianiser la Chine et son confucianisme, mais de confucianiser le christianisme. C’était à la Chine de dicter ses règles aux missionnaires et non le contraire. Du coup, l’intégration des jésuites dans la société chinoise devenait plus importante que la diffusion du message chrétien.

Tous les missionnaires de l’époque n’étaient pas de son avis. Alors que Ricci se présentait comme un savant plus que comme un prêtre, qu’il se mouvait dans les villes, fréquentait les intellectuels et les mandarins, d’autres jésuites parcouraient les campagnes pour baptiser et faire des chrétiens selon la manière traditionnelle. La méthode de Ricci s’est finalement imposée, jusqu’à ce que la lamentable querelle des rites chinois ne la compromette définitivement.

Cet ouvrage, très réussi, est l’œuvre d’un spécialiste. Son texte, dépourvu de technicismes, se lit très aisément, avec bonheur même. L’analyse minutieuse des écrits du jésuite italien et de leur destin permet au lecteur de suivre de l’intérieur la genèse et les enjeux d’une aventure missionnaire d’un genre unique qui signe la première vraie rencontre entre la Chine et l’Europe.

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