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mardi, 07 mars 2017 10:56

Elles témoignent du tourment des femmes

Suter Malaisie L1060369Février 2017. A Kuala Lumpur, des femmes se sont donné rendez-vous pour participer au Séminaire interreligieux de l’Association internationale des femmes religieuses libérales* (http://www.ialrw.org/en/). L’occasion de prendre connaissance de la brutalité du quotidien de femmes issues de différentes zones de conflit.
Trois étudiantes en Malaisie notamment, invitées par Kamar Oniah Kamaruzaman, professeure à l’Université islamique internationale de Malaisie et présidente de l’Association internationale des femmes religieuses libérales (IALRW), présentent la situation dans leur pays. Originaires du Myanmar, du Yémen et du Cachemire, les mots leur manquent parfois quand elles présentent leur quotidien; elles trouvent pourtant, les larmes aux yeux parfois, des images qui parlent. Par mesure de sécurité, ces jeunes musulmanes n’ont pas donné leur nom.

Myanmar
«Je n’ai pas de citoyenneté!», déclare une Rohingya de 31 ans. Cette jeune femme a pris d’énormes risques en 2009 pour quitter le Myanmar. Depuis, elle est sans nationalité. Avant son départ pourtant, sa mère lui répétait sans cesse: «Nous n’avons pas le choix, c’est notre destin». Mais pour elle, cette réalité n’était pas acceptable: «Ce n’est pas notre destin, mais un crime contre l’humanité. Nous vivons un nettoyage ethnique par la torture, le viol, la prostitution: c’est la guerre. Et tout cela est motivé par la volonté d’arrêter la croissance de la population musulmane qui n’a le droit d’avoir que deux enfants par couple». Si des étudiants à l’université sont tués, leurs parents n’ont pas le droit de les voir, de demander leur corps et de les enterrer.
Les Rohingyas vivent dans l’Arakan, une région qui auparavant ne faisait pas partie du Myanmar. Ils n’ont plus le droit de bouger d’une région à l’autre. Le gouvernement du Myanmar leur refuse la résidence locale, et ainsi ils sont déclarés illégaux. Sur leur carte d’identité ne figure pas d’ethnie (Rohingya), mais «Bengali», c’est-à-dire du Bangladesh. Si leur carte est refusée, ils doivent quitter le pays et leurs maisons sont brûlées. «C’est du racisme, dit-elle, la couleur de leur peau foncée est considérée comme sale.»
Le jeu politique fait loi. Les militaires qui veulent garder le pouvoir sans rien changer créent des conflits entre les religions (bouddhistes et musulmanes). L’intérêt du public se focalise sur ces différents, et n'identifient ainsi pas les vraies intentions des militaires.
Quelque 56 000 Rohingyas vivent en Malaisie, dont une part importante de sans papiers. Ils n’ont pas de possibilité de travailler, car sans documents d’identité les entreprises n’ont pas le droit de les embaucher.

Yémen
La seconde oratrice originaire du Yémen est arrivée en Malaisie il y a six ans. Aujourd’hui, elle a 26 ans. Elle a commencé par suivre des études de droit, puis s’est tournée vers les sciences politiques. Étudier en Malaisie était son rêve. Après la mort de son père, son oncle est devenu son tuteur. Il a fait de son mieux pour lui permettre d’accéder à la meilleure éducation possible. Il a vite compris que de rester au Yémen n’était pas souhaitable. L’Université islamique de Malaisie garantissait les meilleures études de droit en Asie. En étudiant néanmoins, elle s’est rendu compte qu’elle avait une vision différente du droit international de celle proposée, et que l’enseignement était axé principalement sur le droit local. Alors elle a changé d’orientation pour suivre des études en sciences politiques.
Son but n’est pas de rester vivre en Malaisie. La mentalité lui semble plutôt rigide, installée dans la routine et peu prospère. Mais les gens sont gentils, accueillants, et elle vit en sécurité.
«Le Yémen est un des pays les plus pauvres de la région», commente-t-elle, «beaucoup se sont enfuis en Malaisie». Ce pays ne connaît pas la doctrine «un état - une religion» bien que 97% des habitants soient musulmans. Les gens cohabitaient jusqu’ici sans grandes frictions, les uns aux côtés des autres en diverses communautés religieuses. Mais depuis quelques années, la haine a été répandue volontairement et le phénomène s’est amplifié depuis le début du conflit armé. On fait désormais une distinction entre les sunnites et les chiites. Quand la guerre sera terminée, elle craint qu’il soit difficile de rétablir une identité nationale, les ressentiments entre sunnites et chiites ayant entre temps émergé.
Aujourd’hui, elle a le sentiment de devoir s’engager en faveur de son pays. Non seulement en collectant de l’argent, mais au-delà, en cherchant des solutions.

Cachemire
Le conflit au Cachemire est de nature politique, et non religieuse. Le Cachemire est l’une des zones les plus militarisées au monde. La jeune femme de 22 ans parle pour la première fois en public. «Mes parents, tous deux universitaires, sont contents que je sois en Malaisie.» Le Cachemire n’a pas d’université de qualité équivalente. En 2013, quand elle a eu 18 ans, elle a tenté d’obtenir un visa d’étude pour la Malaisie, une procédure très difficile. Depuis, elle poursuit une formation en littérature anglaise et elle prépare un diplôme en études islamiques. Les Cachemiris envoient leurs filles à l’étranger pour faire des études, dans des endroits où l’Inde n’a pas la mainmise.
Au Cachemire, il n’y a plus de médias locaux, et peu d’informations sont transmises à l’extérieur, ni ne parviennent de l’extérieur d’ailleurs. «Nous ne pouvons même pas entrer en contact entre les différentes partie du Cachemire sans être contrôlés. On nous traite comme des animaux». La militarisation massive a engendré beaucoup de violations des droits de l’homme. Les forces armées disposent de droits étendus, et elles soupçonnent les Cachemiris de cacher des armes.
«Comment en sommes-nous arrivés là?» Depuis le 8 juillet 2016, le pays vit sous le régime du couvre-feu et personne ne peut plus sortir à partir de 18h. Beaucoup de civils ont été tués par balles et des milliers ont été blessés par divers projectiles. Les médias n’ont pas accès aux chiffres émanant des milieux médicaux. «On ne nous considère pas comme égaux face aux Indiens et le gouvernement indien d’extrême droite marginalise les musulmans.»
«Nous voulons la liberté, la liberté de parole et de "nous comprendre" comme Cachemiris»; devenir indépendants, être libre et former un État, comme avant. Les jeunes de 15 à 25 ans souhaitent que les militaires se retirent du Cachemire.

Esther R. Suter,
théologienne et journaliste, Bâle,
membre d’Alliance internationale des femmes (http://womenalliance.org/fr/)

* L'Association internationale des femmes religieuses libérales (IALRW) est l'une des plus anciennes organisations internationales de femmes dans le monde. Elle a été instituée à Berlin en 1910. L’IALRW vise à promouvoir l'amitié et la coopération entre les femmes de même opinion; elle est aussi un canal de communication pour celles qui luttent pour une vie religieuse libérale. Ses membres acceptent que chacun(e) puisse appartenir à un groupe de foi différent, mais toutes partagent des valeurs communes de lutte pour la paix, la justice et l'harmonie, au sein de la famille, de la communauté et du monde.

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