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vendredi, 20 juillet 2018 00:26

Au revoir Monsieur l'abbé

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VogelsangerWWilly Vogelsanger © cath.chC'est avec tristesse que nous prenons congé de Monsieur l'abbé. Le Père Willy Vogelsanger, prêtre au Petit-Lancy, dans le canton de Genève, durant 45 ans, est décédé le 14 juillet 2018 à l'âge de 93 ans. Il était un proche de notre rédaction et un ami de notre directeur Pierre Emonet sj, à qui il avait confié la tâche de l'homélie de sa messe d'enterrement (voir plus bas).

Le Père Vogelsanger a écrit durant des années, et jusqu'à la fin de sa vie, des recensions d'ouvrages pour choisir. Il affectionnait en particulier les témoignages ou biographies de personnalités engagées pour le bien de la collectivité ou des plus démunis. Animé par sa foi en Dieu et dans les humains, par une soif de transmettre l’Évangile aux plus jeunes comme aux plus âgés, vivement intéressé par les questions éducatives, il était en effet un grand admirateur de tous ceux qui se mettent au service de la justice sociale. Il a gardé jusqu'au bout une capacité d'émerveillement, d'espérance et un esprit de combativité qui forçaient notre admiration. Nous vous regretterons Monsieur l'abbé, et vous remercions.


Article de Maurice Page pour cath.ch

L’abbé Willy Vogelsanger, prêtre au Petit-Lancy, dans le canton de Genève, durant 45 ans, est décédé le 14 juillet 2018, à l’âge de 93 ans. Personnalité très connue à Genève, il avait également développé un grand intérêt pour les médias, et avait été chroniqueur pour diverses publications.

Issu d’une famille d’origine autrichienne, arrivé comme jeune prêtre à Genève en 1951, l’abbé Willy Vogelsanger ne quittera plus le canton du bout du lac. D’abord vicaire puis curé de la paroisse du Christ-Roi au Petit-Lancy, il y restera de 1953 à 1998. En 45 ans de présence, il aura laissé une empreinte durable dans l’Eglise genevoise. A tel point que ses paroissiens, ses collaborateurs et ses amis l’appelaient simplement ‘Monsieur l’abbé’ sans voir à ajouter quoi que ce soit d’autre. Curé retraité, mais prêtre à 100% comme il aimait à le dire lui-même, il est mort au home “La Vendée” où il vivait depuis quelques années.

La colonie de la Fouly

abbeOutre ses activités paroissiales, l’abbé Vogelsanger c’était aussi la colonie de vacances de la Fouly, à Orsières, dont il fut le fondateur en 1962 et l’âme durant des décennies. Des centaines de petits Genevois auront ainsi passé quelques semaines en montagne pour y découvrir la camaraderie et la vie de groupe. Très soucieux de l’éducation des enfants, il avait raconté ses souvenirs dans un livre intitulé Une maison pleine d’enfants publié en 2009. Parallèlement à son activité de directeur de colo, il devint aussi un spécialiste des plantes alpestres. Pour lancer sa colonie et trouver les moniteurs nécessaires, l’abbé Vogelsanger avait lancé un appel à l’évêque de Luçon, en Vendée. Des liens d’amitié très forts s’établiront ainsi entre la Suisse et la Vendée où l’abbé se rendra très régulièrement.

Intransigeant, droit, rigoureux, mais toujours bienveillant et disponible, l’abbé Vogelsanger avait un don particulier pour mobiliser les gens en toutes circonstances, se souvient une paroissienne.

Homme de médias

L’abbé Vogelsanger avait aussi un intérêt marqué pour les médias, la diffusion d’ouvrages, la promotion de la presse catholique et des émissions radio et télévision. A la création de Radio-cité, il avait géré une case Radio Petit-Lancy. Il faut également un prédicateur des messes radio. Jusqu’à très récemment, il publiait encore des recensions de livres pour la revue des jésuites choisir. Quinze jours avant sa mort, il s’était encore plongé dans un gros bouquin sur l’éducation des enfants, témoigne Monique Flamand qui fut son assistante pastorale.


Homélie de Pierre Emonet sj, directeur de choisir, pour les funérailles de l'abbé Vogelsanger. Petit-Lancy, 19.07.2018

1 Co 12,31-13,8 et Jn 13,1.33-35

Dans un de nos derniers entretiens, comme s’il se parlait à lui-même, Willy Vogelsanger remarquait qu’il n’est pas facile de passer d’un univers connu pour un autre inconnu. Comme lors d’une naissance, il faut quitter ce milieu familier qui vous a fait vivre pour un autre biotope. Même si Willy pouvait affirmer «Je m’en vais vers Jésus-Christ, mon meilleur ami», l’inconnue n’en est pas moins redoutable. Il lui a fallu une bonne dose de foi et de confiance pour faire le passage dans la paix, comme ce fut le cas, même si jusqu’à la fin de sa vie il avouera comme une souffrance un certain décalage entre ses aspirations et la vie concrète.

Lorsque nous sommes affrontés à la mort, celle d’un être cher et la nôtre, la question qui s’impose spontanément est: que restera-t-il de notre passage ici-bas? que laisserons-nous derrière nous? En d’autres mots: qu’est-ce qui fait le poids d’une existence? La réponse nous l’avons entendue. Elle nous a été donnée dans le texte de saint Paul que nous venons d’entendre: L’amour ne passera jamais. Ses fruits ne se flétrissent jamais.

Nous ne laisserons derrière nous que le fruit de l’amour, c'est-à-dire les hommes et les femmes que nous aurons engendrés à la vie, qui seront un peu plus vivants, un peu plus debout et heureux, parce qu’un beau jour nos chemins se sont croisés. Tout le reste, ce que le talent, le pouvoir ou le travail a permis d’amasser ou de réaliser, disparaitra dans la tombe ou au crématoire. Que l’on soit prêtre ou laïc, riche ou pauvre, en bonne santé ou handicapé, au moment de passer sur l’autre rive, nous sommes à égalité: l’amour est le seul critère qui permet d’évaluer le poids d’une vie devant Dieu et devant l’Histoire.

Paul ne faisait que reprendre à son compte le testament du Christ Jésus, lorsqu’au soir de sa vie, confronté à sa propre mort, il confiait à ses disciples son testament: «Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimé, vous aussi aimez-vous les uns les autres» (Jn 13,34-35). Ce testament, Jésus l’a transmis à ses disciples dans le cadre de la dernière cène, ce repas qui évoque le don de soi pour les autres, le corps donné, le sang versé pour tous. Pour que ce moment ne reste pas un simple souvenir plein d’émotion, le Seigneur a joint le geste à la parole: en lavant les pieds de ses disciples, il les a interpellés pour engager leur avenir, l’avenir de l’Église. «C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous, vous aussi, comme j’ai fait pour vous» (Jn 13,15).

Pour Willy, la présence du Christ dans l’eucharistie a joué un grand rôle. C’est dans le sacrement qu’il retrouvait Jésus-Christ son meilleur ami, et qu’il réactivait ses énergies pour le servir. Mais loin de rester le regard figé sur l’hostie et de se cantonner dans le culte, il est descendu de l’autel et de la chaire pour rejoindre les hommes et les femmes de son temps et s’engager en faveur de ce qu’il appelait les valeurs humaines.

Un livre l’a beaucoup marqué ces dernières années, parce qu’il y trouvait la confirmation de son choix de vie: les Leçons sur le Christ de Yves de Moncheuil. Un livre autrefois condamné! Contrairement à ce qu’on lui avait enseigné au temps de ses études de théologie, l’Incarnation du Christ n’a pas pour raison d’être la simple réparation d’un désordre –entendez le péché originel– dans le plan divin, mais elle est essentiellement la manifestation de la tendresse d’un Dieu capable de sortir de ses divines prérogatives pour descendre vers l’humanité. Et ce mouvement descendant, cette sortie de soi devrait caractériser la vie de l’Église. Willy s’est engagé résolument sur ce chemin.

Du coup, il a saisi combien il était urgent de quitter les vieilles ornières de ce que l’on a toujours fait et pensé, et de ne pas rester enfermé dans un petit cercle de propos dogmatiques et de règlements routiniers. Stimulé par le renouveau apporté par le concile Vatican II, Willy est devenu le témoin d’une Église «en sortie», pour reprendre une expression du pape François. Créatif et audacieux, curieux de tout ce qui pouvait servir son ministère, bon organisateur, servi par un tempérament autoritaire mais nullement borné, il s’est donné entièrement, avec enthousiasme et une joie communicative, multipliant les initiatives innovantes, entraînant (contraignant) beaucoup d’autres à sa suite, auxquels il a su faire confiance.

Le sacerdoce, une forme d'être

Ce don de soi, la mise en pratique du commandement du Seigneur, Willy l’a vécu à travers sa vocation de prêtre. Pour lui, l’exercice du sacerdoce n’a pas été une fonction pleine de dévouement, une sorte de BA permanente, mais son sacerdoce faisait partie de son être même. Tous ceux et celles qui lui ont un jour téléphoné en ont fait l’expérience. La réponse tombait invariablement: Allô ! Monsieur l’abbé, monsieur le curé ! S’il laissa tomber le Monsieur le curé après son départ officiel à la retraite (y-a-t-il jamais eu une retraire!) le Monsieur l’abbé résista jusqu’à la fin. Si cette réponse rituelle m’a toujours amusé, j’y vois surtout le signe de la manière impressionnante dont Willy avait assumé son sacerdoce. Pour lui, être prêtre n’était pas un rôle, c’était une forme d’être, au point de donner l’impression de ne pas avoir d’autre identité.

S’il a pu discerner sa vocation et aller de l’avant avec sérénité et générosité, c’est aussi grâce à la bienveillance et à la sollicitude de certains prêtres rencontrés sur son chemin au temps de sa jeunesse (Candolfi, Rossi, Vermot, Riondel, Barbey, Chamay). Des hommes qui ont su lui faire confiance. Reconnaissant, lui-même soignera avec beaucoup de sensibilité la solidarité sacerdotale, l’amitié et l’accueil d’autres confrères, l’intérêt pour leur ministère, le soutien des séminaristes ici et jusqu’en Afrique. Zélé, fidèle à son Église, tout en restant farouchement indépendant et volontiers à distance de l’administration diocésaine, il fut un prêtre rayonnant, aux apparences classiques, avec une certaine retenue, fruit de son tempérament timide, mais qui n’est jamais tombé dans le piège du cléricalisme ou d’un moralisme étriqué. Il voulait être tout entier au service du message essentiel de l’Évangile: l’annonce du Royaume de paix, de justice, d’amour, de fraternité.

Engagement auprès des jeunes

Celui qui avait voulu consacrer sa vie en milieu populaire a trouvé son service: s’engager pour les valeurs humaines selon trois axes majeurs auxquels l’avaient sensibilisé les épreuves familiales endurées dans son enfance: la famille, l’éducation de la jeunesse et la justice sociale. La famille, parce qu’elle est la cellule fondamentale de la société, l’indispensable biotope des futures générations. Que de plans et de projets n’a-t-il pas élaborés pour assainir la politique familiale, jusqu’au niveau politique. La formation de la jeunesse parce qu’il voulait aider les jeunes à se façonner une âme virile et chrétienne. Le dernier livre posé sur sa table de nuit était un traité du développement et de l’éducation de l’enfant entre 0 et 8 ans. Ce souci de la jeunesse a pris corps dans le développement et l’animation de l’aventure majeure de sa vie, la colonie de La Fouly, à laquelle il est resté attaché, identifié, sans jamais réussir à se considérer en retraite. La justice sociale, enfin, parce que le douloureux éclatement de sa propre famille a été le fruit amer des mauvaises affaires conséquentes à la crise des années 32-33. Willy a compris que si le message chrétien d'amour et de justice ne se réalise pas dans l'action pour la justice dans le monde, il sera difficilement crédible pour nos contemporains.

Willy, un chrétien, un prêtre «en sortie», jamais prisonnier du passé, résolument tourné vers l’avenir, sans cesse à la recherche de ce qui pourrait l’aider à être plus efficace. Il s’est passionné pour tout ce qui pouvait favoriser la communication et lui permettre de diffuser ses idées: les médias, la TV, Radio Cité, la presse indépendante (il a toujours soutenu Le Courrier, même dans les périodes les plus critiques), et durant de longues années il a édité son Demain c’est Dimanche. Lecteur impénitent, il n’a cessé d’élargir son horizon et de s’informer dans toutes les disciplines en fréquentant les auteurs les plus récents. Il lisait comme qui exerce un ministère au service des autres, faisant circuler largement ses résumés de lectures ou des recensions des livres qui l’avaient intéressé. Tous ses amis se souviennent de l’inévitable question lorsqu’on le rencontrait: «Qu’est-ce que tu lis ?» ou «As-tu lu ceci?» À côté d’énormes traités d’économie, qui me semblaient rébarbatifs -«j’ai toujours voulu voir claire»-, les biographies de saints personnages et des héros de la charité maintenaient vive la flamme du service.

Cet homme actif, au caractère bien trempé, a trouvé dans sa foi au Christ l’énergie nécessaire pour dépasser les expériences négatives de son enfance et pour ne pas se laisser piéger par le carcan institutionnel qui aurait pu stériliser son dynamisme apostolique. Il a compris que la vie est toujours en avant, que seul l’amour porte des fruits qui ne flétrissent pas, et que l’amour suppose une vie en sortie, en sortie des vieux schémas de pensée et d’action, en sortie de soi-même.

cercueil WillyFunérailles de Willy Vogelsanger © Marlyse Progin

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