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mardi, 01 mars 2016 17:39

Une mission évangélisatrice

Suite à son engagement dans la fermeture de la fonderie métallurgique de Doe Run, à La Oroya, Mgr Pedro Barreto, membre du Conseil pontifical Justice et Paix du Vatican, est devenu l’un des défenseurs des droits socio-environnementaux les plus reconnus au Pérou.[1] Il partage avec choisir les racines évangéliques de sa motivation.

Véronique Lecaros et Rolando Pérez : Mgr Barreto, qu’est-ce qui vous a amené à vous impliquer dans la lutte contre la pollution de La Oroya ?


Pedro Barreto : « Ce que j’ai vécu en arrivant à La Oroya m’a indigné. Voir les eaux sales du fleuve pollué par l’activité minière de l’entreprise américaine Doe Run, respirer l’air contaminé par les fumées toxiques aux odeurs de souffre m’a beaucoup impressionné. La population souffrait d’un important empoisonnement du sang par le plomb. Or, en décembre 2004, Doe Run faisait pression sur les travailleurs pour que ceux-ci, à leur tour, incitent le gouvernement à octroyer à l’entreprise le droit de se développer, alors que celle-ci ne respectait même pas la loi et provoquait une pollution terrible. Durant ces mobilisations sociales, deux personnes sont mortes pour avoir marché dans l’air pollué à 4000 mètres d’altitude. Face à tout cela, je ne pouvais pas me taire ni rester les bras croisés ! »

Qu’avez-vous entrepris ?
« Les constantes mobilisations des deux partis, tant des populations affectées dans leur santé que des travailleurs de Doe Run, m’ont fait penser que nous devions écouter tout le monde, afin de formuler une réponse dialoguée. Nous avons organisé une table ronde avec des leaders de la communauté, à laquelle furent conviés des représentants de plusieurs secteurs de la société et d’autres Eglises, comme les presbytériens et les luthériens. J’ai entendu des témoignages épouvantables sur une réalité qu’on ne pouvait plus cacher. Je me souviens de celui d’une dame : “J’ai 40 microgrammes de plomb, ainsi que mes enfants, mais ce que je refuse c’est que mes petits-enfants connaissent les mêmes souffrances. On est responsable des générations futures, n’est-ce pas ?”
» J’ai ressenti profondément que Dieu faisait appel à moi pour que je passe à l’action. J’ai immédiatement convoqué les prêtres et je leur ai dit que, définitivement, l’Eglise devait s’engager à défendre la vie. C’est un fondement biblique. Jésus défend la vie. Et le pape Jean Paul II, dans son exhortation apostolique Pastores Gregis (§70), a dit que l’un des devoirs de l’évêque est de défendre énergiquement la vie, les droits de l’homme et l’environnement.
» Notre collectif issu de la société civile a élevé la voix afin d’attirer l’attention des autorités publiques. En parallèle, l’archevêché a demandé à l’Université jésuite San Luis de mener une analyse hématologique sur les enfants. Des professeurs et des élèves de cette université sont venus à La Oroya et ont formé une équipe afin d’évaluer leur sang. C’était en août 2005. Bien sûr, ce projet a provoqué une réaction très négative de la part de Doe Run et il a été très difficile de mener à bien ces analyses de sang. Mais la très haute concentration de plomb chez les enfants a été confirmée : de 50 à 60 microgrammes de plomb par décilitre de sang, bien plus que les valeurs admises. Puis, pendant plus de dix ans, nous avons accompagné les actions du Mouvement pour la santé de La Oroya. Et nous avons obtenu que des mesures contre la pollution soient prises et que l’entreprise Doe Run cesse d’opérer impunément. »

Certains avancent que l’Eglise ne devrait pas s’impliquer dans des actions politiques...
« Cela dépend de comment on comprend la notion d’action politique. Au sens large, cela se réfère à tout ce qui favorise la qualité de vie des gens. Certains évêques du Pérou m’ont dit très fraternellement quand j’étais menacé : “Pourquoi te mêler de politique ? Abandonne tout cela.” De mon côté, je les ai invité à lire Pastores Gregis et les invocations de Jean Paul II en faveur de la sauvegarde de la vie et de la maison commune. Ceux qui pensent que l’Eglise ne doit pas intervenir dans la défense de la vie, de l’environnement et des peuples méconnaissent sa mission évangélisatrice. L’Eglise fait partie de la société et, ce faisant, les angoisses, les espoirs, les tristesses et les joies des hommes d’aujourd’hui sont aussi les siennes. Le magistère de l’Eglise nous rappelle que la personne humaine est créée à image et à la ressemblance de Dieu, et que tout ce qui affecte l’être humain affecte l’Eglise à son tour. Ce n’est pas moi qui l’avance, c’est le concile Vatican II. »

D’autres disent que votre position va à l’encontre du progrès car l’activité minière est une importante source de développement.
« Comme Eglise, nous ne fomentons aucune campagne contre l’activité minière. Bien sûr que le Pérou est béni avec ses ressources naturelles ! Mais quand on dit que la mine favorise le développement, il faut se demander : le développement de qui ? Le gouvernement central, les gouvernements régionaux et locaux, les entreprises, la société civile, nous devons tous suivre une seule direction : la recherche du développement humain intégral des Péruviens. »

Le pape François a mis la problématique environnementale dans l’agenda pastoral de l’Eglise. Que ressentez-vous ?
« Il a ramené l’Eglise vers le cœur. Le Saint-Père nous demande de travailler afin que l’Eglise non seulement dénonce mais aussi annonce, qu’elle propose des alternatives face aux problèmes affectant la dignité humaine. Ayant reçu la bénédiction de connaître les gens de La Oroya et leur réalité, ma vie pastorale a connu une espèce de conversion écologique. Quand j’ai lu le chapitre six de l’encyclique Laudato Si’ sur la nécessité de nous éduquer à une spiritualité écologique, j’ai été très ému. J’ai passé des moments de prière très profonde, mais aussi de réflexion et de dialogue.
» En 2005, Benoît XVI nous disait : si nous voulons la paix, préservons la création. Il a aussi dit que l’option de l’Eglise pour les pauvres est implicite dans la foi christologique. Une foi très sensible mais très claire. Si vous croyez au Christ, assumez l’option du Christ, celle d’être pauvre afin d’enrichir les pauvres. Jésus a choisi l’option pour les pauvres comme signe de l’essence de Dieu. Benoît XVI a encouragé l’Eglise d’Amérique latine à vivre cette théologie que nous avons tous appris et qui commence déjà à s’incarner dans la vie de l’Eglise.
» Je me sens à présent encouragé par l’impulsion du pape François. Auparavant, nombre de personnes en Amérique latine pensaient que l’Eglise devait rester dans le Temple, refermée sur elle-même, pour éviter de faire de la politique. C’est en train de changer avec la perspective pastorale du pape François. »

[1] Lire à ce sujet les pp. 13-16 de ce numéro. (n.d.l.r.)

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