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lundi, 07 octobre 2019 14:23

Le milieu de l’horizon

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milieu3Le milieu de l’horizon, c’est ce moment de la vie, parfois douloureux, où l’on bascule du monde de l’enfance à celui des adultes. C’est le chemin que doit prendre Gus, 13 ans, fils de paysan, pendant un été européen caniculaire où les récoltes et les bêtes se meurent. Où tout craque et se fissure, y compris l’équilibre familial que l’on croyait acquis. À la fois drame social et fable métaphorique, cette adaptation pour l’écran du roman de Roland Buti par la réalisatrice Delphine Lehericey est une réussite. Le film a été récompensé par le Greenpeace Award au Festival de San Sebastian.

Nous sommes en 1976, comme l’indiquent dans une scène du début, toute en pudeur et délicatesse, les images et le titre (Emmanuelle) du magazine piqué et feuilleté par Gus à l’abri des regards. L'adolescent pose sa tête sur la photo de la poitrine féminine dévoilée.

D'une certaine façon, la scène contient déjà le drame en trois actes qui s’annonce: la vie quotidienne d’une famille de paysan vue au travers les yeux d’un adolescent, la «trahison» de la mère (Laetitia Casta) qui tombe amoureuse d’une femme et choisit de partir, la réconciliation enfin entre la mère et le fils, traduite dans un court tableau final, entièrement concentré sur les regards et l’énergie des corps.

Rien à redire du côté des acteurs! Le jeune valaisan Luc Bruchez (dont c’est le premier rôle!) incarne avec un naturel désarmant Gus et ses tensions intérieures, un enfant énergique, nerveux et sensible, très attaché à sa mère, qui devra dépasser sa colère et résoudre son conflit de loyauté. Le Belge Thibaut Evrard pour sa part, habitué des planches et des séries (Borgia, Le tunnel...), interprète avec justesse le père, Jean, un paysan renfermé qui doit affronter sur un seul été deux batailles, l’une professionnelle, l’autre sentimentale, …et subir deux dures défaites. Quant à l’actrice corse Laetitia Casta, elle a été choisie pour interpréter Nicole du fait de sa personnalité solaire, comme l’explique la réalisatrice Delphine Lehericey (dont c’est le deuxième long métrage, après Puppylove en 2014). Il fallait quelqu’un qui sache gagner la sympathie du spectateur, qui puisse lui faire comprendre le choix de cette mère de famille, reléguée jusque-là aux taches ménagères et qui, suite à sa rencontre avec Cécile, se découvre appelée à vivre autre chose, à s’émanciper. Pari gagné, évidemment!

Le milieu de l’horizon est aussi un plaidoyer pour le monde de la paysannerie, d’hier et d’aujourd’hui, qui doit affronter les intempéries et les lois de l’agrobusiness. La tâche est difficile et les suicides trop nombreux. C’est encore l’histoire banale des humains, partagés entre leurs responsabilités et l’appel à la liberté. Le film a été tourné pour les extérieurs en Macédoine, en plans larges sur la campagne desséchée, et en Belgique pour les intérieurs. Un choix qui traduit le défi impossible du monde paysan, celui de domestiquer la nature, et les tensions intérieures des personnages questionnant les rôles que leur a impartis une société patriarcale. Si ses parents lui en laissaient l’occasion, Gus passerait ses vacances à pédaler sur son vélo, tête nue, les cheveux collés par la sueur, au lieu de ramasser des cadavres des poulets! Et il y a cette très belle scène métaphorique où le vieux cheval du grand-père, sentant ses dernières heures arriver, refuse de rentrer à l’écurie et décide de suivre son instinct, de retrouver sa partie sauvage, pour aller mourir en plein air, dans le champ.Milieu2

Prix du cinéma suisse 2020: la coproduction belgo-suisse «Le milieu de l’horizon» (Box Productions sàrl), de Delphine Lehericey, est récompensée dans la catégorie «meilleur film de fiction». Pour ce même film, Joanne Giger reçoit en outre le prix du «meilleur scénario». Le prix du meilleur documentaire» est décerné à «Immer und ewig» (Hugofilm Productions GmbH), de Fanny Bräuning. Olivia Pedroli, qui a composé la musique de ce film, reçoit le prix de la «meilleure musique de film».


Le Livre

MilieuRoland Buti, Le milieu de l’horizon, Genève, Zoé 2013, 240 p.

Ce roman du Lausannois Roland Buty a été couronné du prix suisse de la littérature 2014, du prix du public RTS 2014, et a été traduit en sept langues, avant d’être adapté au cinéma, en octobre 2019.

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