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mardi, 06 décembre 2011 11:00

Inigo, ce guerrier

Sureau 43001François Sureau, Inigo, Paris, Gallimard 2010, 152 p.

« J'ai longtemps détesté Ignace de Loyola? » Par ces mots s'ouvre une apostille ajoutée à la fin d'un livre au titre énigmatique et se donnant comme « portrait » : Inigo. Alors que la grande marée de la précédente rentrée littéraire s'est retirée depuis plusieurs mois, laissant à peine le souvenir de quelques prix, ce livre reste comme un bloc de granit surgi des fonds ou tombé du ciel, étrange, intrigant. Quelle idée, aussi, de se rapporter, dans les arcanes de la littérature contemporaine, au fondateur de la Compagnie de Jésus ! Un homme du XVIe siècle, à la figure si peu aimable qu'elle suscite aujourd'hui encore des réactions à fleur de peau, aussi aigres que celle de son contemporain Jean Calvin.

Le récit, dès les premières phrases et dans chaque page, sans faiblir, tient une ligne limpide et tendue. Ce que nous raconte François Sureau n'est pas une vie - rien d'une quelconque hagiographie -, ce qu'il nous révèle n'est pas une oeuvre - statut communément refusé aux Exercices spirituels -, ce qu'il nous restitue est effectivement un portrait. Celui de cet Ignace dont il reprend le nom basque Enoko, Inigo en castillan, qui évoque le feu.

Sous le très bref éclairage initial des dernières heures d'Ignace de Loyola - une demi-douzaine de pages saisissantes disent la solitude sereine d'un agonisant, qu'un entourage inconscient de l'urgence prive d'un confesseur et des ultimes sacrements - Sureau parle de l'homme. Il le saisit dans les quelques années qui le façonnent : entre 1521, après qu'un boulet de canon lui a fracassé un genou lors du siège de Pampelune, et 1523, quand à Manrèse en Catalogne, un confesseur inconnu lui dit simplement, mettant fin à des mois de crise, de doute, de silence aride, jamais déchargés du poids de ses fautes, de son orgueil dévorant : « Croyez à la miséricorde du Christ. »

Inigo est le portrait d'un combattant promis à la carrière des armes et engagé dans un combat aux tréfonds de lui-même. Ainsi s'explique l'épigraphe tirée d'Une Saison en enfer : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'homme. » Le voisinage de Rimbaud et d'Ignace - de saint Ignace ! - n'est pas le moins surprenant du livre. C'est par là que Sureau s'est vu touché, devinant chez le second ce qu'Yves Bonnefoy écrit du « passant considérable », mû par le « double désir d'un corps et d'une âme, d'un salut et d'une liberté dans le salut ».

L'histoire est souvent réductrice et l'image s'est peu à peu établie d'un Ignace en armes, rêvant d'exploits et coureur de femmes, soudain converti sous le choc du boulet et par la lecture de La Légende dorée de Jacques de Voragine. Sureau a tenté de l'habiter, ce guerrier, de vivre de l'intérieur ces mois de lutte, moins une révélation subite qu'un cheminement ardu, de permettre à son lecteur de sentir que, pour Inigo, « son chemin de Damas aura duré toute sa vie ». Il y réussit magnifiquement, porté par une écriture étincelante et sobre, tranchante comme l'épée.

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