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vendredi, 02 novembre 2018 13:07

Une bible des femmes

Bible femmesQue deviendrait une entreprise de réécriture de la Bible au XXIe siècle par les femmes? C’est la question que s’est posée un comité d’une vingtaine de femmes théologiennes, protestantes et catholiques francophones d’Europe, d’Afrique et du Canada. Au terme de leur réflexion, elles se sont donc donné pour mission d’écrire une bible des femmes en profitant des découvertes en sciences bibliques. Et grâce aux questions critiques féministes, les auteures ont développé une dizaine de thématiques majeures liées aux femmes, en mettant en évidence comment des textes bibliques peuvent être lus à frais nouveaux.

Un article paru dans le Courrier pastoral n° 9, novembre 2018, de l’Église catholique-romaine-Genève (ECR).

Lire aussi plus bas la recension de cet ouvrage par Étienne Perrot sj.

Sous la direction de
Élisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Laurianne Savoy
Une bible des femmes
Genève, Labor et Fides 2018, 288 p.

Élisabeth Gangloff-Parmentier, professeur ordinaire en théologie pratique à l’Université de Genève et codirectrice de Une bible des femmes, avec Pierrette Daviau, professeure titulaire à la Faculté des sciences humaines de l’Université Saint-Paul à Ottawa, Canada, et Lauriane Savoy, doctorante à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, a présenté le fruit du travail de ces théologiennes de notre siècle, le 10 octobre dernier, devant un public venu nombreux à l’ancienne École de Chimie, à l’occasion du vernissage de leur ouvrage.

Élisabeth Gangloff-Parmentier a tout d’abord rappelé que la Woman’s Bible d’Elisabeth Cady Stanton se voulait le signe d’une rébellion contre la manière dont on lisait la Bible au XIXe siècle. (Pour plus de détails, voir l'article d'Isabelle Gressier, dans notre dossier Église nom féminin, in choisir n° 680) . La première idée a été d’effectuer une traduction en français de ce livre, mais il est apparu que cette rébellion était aujourd’hui dépassée, principalement en raison de l’exégèse historico-critique qui «était passée par là». C’est alors, avec Matthieu Mégevand de Labor et Fides, qu’est apparue l’évidence de la nécessité d’écrire une bible des femmes pour le XXIe siècle, une bible avec un «b» minuscule. Et pour mettre le point sur le «i» de cette bible, Élisabeth Gangloff-Parmentier a tout de suite précisé que ce livre n’était pas… une bible !

« Le titre est trompeur, a-t-elle lancé. Nous avons voulu faire une sorte de commentaire des textes et des thématiques bibliques qui ont été les plus difficiles pour les femmes à travers les siècles de la tradition chrétienne, des textes qui les ont opprimées et domestiquées.» La table des matières est édifiante: Femmes, soyez soumises à vos maris en est un exemple des plus significatifs.

Les auteures ont voulu mettre ces thématiques à la portée de toutes les lectrices d’aujourd’hui et les étudier en relation avec les préoccupations existentielles des femmes. Il ne s’agit donc pas d’un livre de pure exégèse. Enfin, le sujet n’a pas été traité de manière exhaustive. Différentes approches particulières ont été sélectionnées, comme par exemple celle de la séduction ou encore de la beauté des corps, et plusieurs personnages ont fait l’objet d’études, par exemple Marie au deuxième chapitre, Si Marie avait lu l’épitre de Paul à Timothée.

Rappelons-en les versets 8 à 15: «Je veux donc que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures, sans colère ni dispute; pareillement les femmes, (que je veux) en tenue descente, se parant avec pudeur et discrétion non pas de torsades, ni d’or, ni de perles, ni de vêtements coûteux, mais d’oeuvres bonnes, ce qui convient à des femmes qui font profession de piété. Que la femme reçoive l’instruction en silence, avec une entière soumission. Quant à enseigner, je ne (le) permets pas à la femme, ni de prendre autorité sur l’homme; mais (elle doit) se tenir dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite; et ce n’est pas Adam qui a été séduit, mais c’est la femme qui, séduite, est tombée dans la transgression. Néanmoins elle sera sauvée par la maternité, pourvu qu’elle persévère dans la foi, la charité et la sainteté, unies à la modestie.»

Un livre féministe?

Alors, Une bible des femmes, version 2018, est-il un livre féministe? Oui et non, pour Élisabeth Gangloff Parmentier: «Nous avons effectivement voulu faire un plaidoyer au sens d’un parti pris en faveur de la parole et des voix des femmes.» Un plaidoyer qui ne soit pas polarisé dans une opposition femm/ebonne, homme/mauvais, mais qui soit équilibré. «Les femmes ne sont pas des saintes», a-t-elle ajouté, et surtout, elles ne veulent plus être soumises.

Pierrette Daviau, pour sa part, tout en jugeant de nos jours les textes de la Bible encore stimulants, a fait valoir qu’il ne fallait pas s’attacher au passé mais plutôt réinterpréter ces écrits à la lumière des apports du féminisme puisque qu’il faut bien le rappeler, c’est leur interprétation par des hommes qui a fortement prévalu dans le passé ancien et récent comme une norme. Elle a donc lu la Bible en tant que femme, imprégnée par la théologie de la libération, une femme qui s’est donné pour tâche d’apporter une lecture de femme à ces textes, a-t-elle précisé.

Portant la voix de l’Afrique, Fifamè Fidèle Houssou-Gandonou, béninoise, pasteure de l’Église protestante méthodiste du Bénin et titulaire d’un doctorat en théologie sur les fondements éthiques du féminisme à partir du contexte africain, s’est attachée, pour sa part, à mettre en corrélation le sort de la Samaritaine, la femme sans prénom d’un peuple méprisé, avec la femme africaine de notre temps. Elle a plaidé pour une nécessaire relecture de la Bible en Afrique où les femmes dans plusieurs pays subissent aujourd’hui des violences inouïes, au nombre desquelles le viol comme arme de destruction massive, et qui ont le plus urgent besoin de se reconstruire.

Cette reconstruction passe, comme l’a rappelé Joan Charras-Sancho, docteure en théologie protestante, travaillant dans le domaine de la formation des leaders protestants en Afrique, par une «capacitation» (en anglais enpowerment) des femmes de ce continent. En effet, la diffusion du savoir en Afrique est frappée de disparités qui ne sont pas d’ailleurs propres aux femmes.

Priscille

Cette «capacitation», c’est un peu celle de Priscille, que Paul désigne comme «collaboratrice», au même titre que son mari, Aquilas. Elle diffuse la Bonne Nouvelle, tout comme ceux que Paul nomme ses «associés». C’est le premier exemple d’enseignante, même si une caution masculine, son mari, doit légitimer son ministère. Discrimination? Probablement, mais il convient de rappeler que dans ce couple, Priscille est toujours nommée avant son mari, ce qui n’allait pas de soi à son époque. Bel exemple pour nous tous, selon Joan Charras-Sancho, que cette inspirante fécondité spirituelle de Priscille.

Lauriane Savoy, pour conclure, a évoqué le choix du titre du cours public de la faculté de théologie donné cet automne: Ni saintes, ni soumises. Ces femmes ne sont pas forcément des «saintes» au sens de l’expression «ce n’est pas une sainte». Elles ne sont pas non plus soumises et, à cet égard, elles constituent un bel exemple d’indépendance, de liberté d’esprit, de courage également qui vaut la peine d’être médité. Alors, lisons la Bible comme une femme!


La Faculté de théologie de Genève organise un cours public intitulé Ni saintes ni soumises: femmes de la Bible, en prolongement de cette recherche, jusqu'à la fin 2018.


 Une bible des femmes, lue par Etienne Perrot sj

Une vingtaine de femmes théologiennes (ou du moins persuadées que la foi appelle l’intelligence), catholiques ou protestantes, venues de divers pays francophones, analysent quelques morceaux bien choisis tirés de la Bible, où sont mises en scène des femmes. Il ne s’agit pas d’exégèse révolutionnaire baignant dans l’idéologie féministe, mais une analyse lucide à la lumière de l’expérience contemporaine de chacune.

L’originalité de l’opération, inspirée d’un précédent américain de 1898, n’est évidemment pas la sélection uniquement féminine de leurs auteures, pas même des interprétations inédites dont l’originalité cacherait la faiblesse; je la vois plutôt dans l’expérience spirituelle qui transparaît çà et là sous l’herméneutique biblique.
De ce point de vue, est exemplaire la contribution de Pierrette Davian et Diane Marleau sur la base du livre de la Sagesse.

Bien entendu, les conventions du langage inclusif s’imposent ici. Le lecteur rencontre ainsi la cisnormativité, qui désigne les normes sociales liant le genre et le sexe biologique; il ne sera pas non plus étonné de l’épicène, cette pratique typographique permettant d’associer dans l’écrit les deux genres. Ainsi chacun·e est satisfait·e, moi aussi.

Étienne Perrot

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