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jeudi, 06 juillet 2006 02:00

Le devoir de sépulture

 

collectif40107sepultureAntigone et le devoir de sépulture, Collectif sous la direction de Muriel Gilbert, Labor et Fides, Genève 2005, 250 p.

Pourquoi revenir aujourd'hui sur la figure emblématique d'Antigone ? Posée à des spécialistes lors d'un colloque pluridisciplinaire, cette question permet d'aborder la problématique du devoir de sépulture à partir de points de vue très différents (juridique, archéologique?). Toute culture, qu'elle soit archaïque, antique ou moderne, porte une attention singulière à ses défunts - parfois elle choisit de suivre les coutumes locales, la tradition des Anciens, parfois elle fait voter des lois à remanier - car la Mort demeure toujours ce moment particulier qui installe une rupture entre le mort et les vivants, qui questionne et plonge dans l'insondable mystère de l'au-delà, du non-être. Quelle que soit la diversité des coutumes et des conceptions, l'ensevelissement des défunts permet partout de bien séparer la vie de la mort et est sensé empêcher que les fantômes des disparus, selon la tradition considérée comme archaïque, ne reviennent hanter leurs proches (ce que nous pourrions traduire en langage psychanalytique : attention au retour du refoulé !) à travers des fantasmes, des obsessions, des actes incompréhensibles.

Les archéologues ont mis à jour des restes de sépultures préhistoriques et les civilisations plus tardives (sédentaires et même nomades) témoignent toutes de l'importance qu'elles accordaient à leurs défunts. Notre société occidentale post-moderne, par contre, dans l'illusion de sa toute-puissance, cherche à occulter la mort et honore ses défunts de manière privée.

Les responsables de ce colloque ont choisi à dessein la figure d'Antigone pour nous interroger sur le sens de la sépulture. Antigone tient à rendre hommage au cadavre de son frère Polynice, quitte à mettre sa propre vie en jeu. Elle affirme, selon les anciennes lois, que le refus de sépulture pour son frère va rompre l'harmonie entre Athènes et ses dieux protecteurs. Elle s'oppose à Créon qui veut appliquer les lois de la toute récente démocratie. Ces textes ont été édictés pour restreindre l'étalage des richesses patriciennes à l'occasion d'un décès. Dans le même état d'esprit, tous les guerriers morts sur les champs de bataille, qu'ils soient patriciens ou simples citoyens, sont cités et enterrés à la gloire de la patrie. En dépit du Sage Tirésias, la tragédie va se terminer dans un bain de sang : Antigone, enfermée vive, se pendra, tandis que les autres protagonistes se donneront la mort.

Dans notre monde hanté par les génocides des siècles passés et présent, cet ouvrage permet de saisir la complexité des systèmes sociaux et de nous interroger sur l'avenir de notre société occidentale qui, par sa peur du futur, son besoin effréné de consommation et son adulation pour toute nouveauté technique, fait craindre une réelle déshumanisation, voire un retour à la barbarie. Ce livre fera le bonheur des humanistes en quête de renouveau. Son langage est de plus tout à fait abordable.

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