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mardi, 19 juin 2018 12:15

Évènements sportifs

« L’élan », musée olympique de Lausanne © Pierre EmonetAu niveau des Jeux olympiques, la Suisse n’est pas en reste: Jeux d’hiver en 1928 et en 1948, JO de la Jeunesse d’hiver à Lausanne en 2020. Mais le vent tournerait-il? Les Valaisans ont refusé, le 10 juin dernier, la candidature de Sion 2026 par 54 % des voix. Ses défenseurs assuraient que ces JO seraient porteurs d’un engagement profitable pour l’économie des régions concernées. Que valent vraiment les études d’impact des évènements sportifs? La réponse d’un spécialiste.

Ancien cadre du Comité international olympique (1982-1987), Jean-Loup Chappelet a lancé en 1995 le premier cours de politique et management du sport en Suisse. Il a été directeur de l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) de 2003 à 2012.

De nombreuses villes, régions et pays développent depuis une vingtaine d’années des politiques publiques ou des stratégies d’accueil systématique d’événements sportifs. Leur but? Développer leur territoire (tourisme, économie, image, social, etc.). C’est le cas, par exemple, de la Ville de Lausanne, de l’État de Victoria (en Australie) et du Danemark au travers de structures parapubliques plus ou moins spécialisées, comme le Service des sports lausannois, la Victoria Major Event Company et le Sport Event Denmark.

Mais le débat reste fort: est-ce que cela vaut le coup d’accueillir des événements sportifs au vu de leur coût? Autrement dit: le coût des événements sportifs vaut-il le coup?

Après des décennies de réponse toujours positive, il y a aujourd’hui beaucoup plus de scepticisme à ce sujet. Nombre d’élus et de citoyens sont moins intéressés à accueillir de grands évènements sportifs ponctuels et se rabattent sur des rendez-vous récurrents, qui deviennent, petit à petit, patrimoniaux, c’est-à-dire sur lesquels un territoire peut capitaliser d’année en année (par exemple, le Boston Marathon, Roland-Garros, Sydney-Hobart, l’Escalade, Athletissima, etc.). D’où un net déficit de candidatures en ce début de XXIe siècle pour des championnats du monde ou des Jeux olympiques qui nécessitent des efforts humains et financiers importants…

Impacts économiques

Une des réactions des initiateurs et des fédérations sportives internationales (FI) a été de vouloir démontrer que leurs évènements «valaient le cou » (et donc le coût) pour une ville, une région, un pays.

À cet effet, des études sont menées depuis les années 80. Ce furent d’abord des études d’impact économique, qui aboutissent en général à deux « gros » nombres : la valeur ajoutée financière de l’événement sur le territoire (en millions) et le nombre d’emplois générés (en milliers). Ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose mais impressionnent les médias (et parfois les élus). Sauf qu’en général ces études sont faites après que la décision de se lancer dans une candidature a été prise… et ne servent donc pas à l’informer.

Selon la théorie économique de la base ou keynésienne (dominante), la valeur financière ajoutée est proportionnelle aux fonds qui proviennent de l’extérieur du territoire pour financer l’évènement (sponsoring, billets achetés par des non-résidents, subventions nationales, etc.) et pour héberger officiels et touristes (surtout pendant l’événement). Par définition, ces fonds n’auraient pas été dépensés sur le territoire si l’évènement n’avait pas eu lieu (pour autant qu’il n’y ait pas de « fuites », c’est-à-dire de dépenses hors territoire par les organisateurs). Les dépenses des résidents liées à l’événement n’apportent en théorie aucun impact économique supplémentaire, car il est considéré que si l’évènement n’avait pas eu lieu, ces résidents auraient dépensé leur argent autrement.

Autrement dit, plus ces dépenses liées à l’évènement sont élevées, plus la valeur ajoutée financière de l’évènement sera élevée. Cette bonne nouvelle est bien sûr dépendante de la capacité à attirer des recettes exogènes (venant de l’extérieur du territoire). Quant au nombre d’emplois (lié à la taille du budget), il est limité pour l’essentiel à la fin de l’événement. Un titre récent d’un article québécois explique très bien ce phénomène de course en avant: Mes chiffres [d’impact] sont plus gros que les tiens.

Les biais de ces études

De très nombreuses études d’impact économique des Jeux olympiques et d’autres grands événements ont été réalisées. Mais elles sont souvent faite ex ante, c’est-à-dire avant que les montants réels ne soient connus, et sont souvent trop optimistes. Les études ex post (qui suivent l’événement) sont rarement faites car plus personne n’est intéressé à les financer. En outre, les études ex ante sont souvent commanditées par les promoteurs de l’idée de candidature, dans le but de servir positivement la communication du projet évènementiel (et parfois celle du consultant qui espère obtenir d’autres études). D’autres biais et erreurs méthodologiques, volontaires ou non, ont souvent été constatées. La candidature Sion 2026 n’est pas tombée dans ce travers.

En résumé, les études d’impact économique sont trompeuses et, parfois, exagérées. Elles sont grosso modo insuffisantes. De plus, un évènement sportif est bien plus qu’une affaire économique!

Développement durable

Pour pallier les déficiences de ces études, des recherches plus globales comprenant les impacts sociaux et environnementaux ont été menées. Elles reposent sur d’autres dimensions intéressantes comme le nombre de bénévoles impliqués, la notoriété accrue du territoire, les connaissances acquises, la consommation d’énergie et la quantité de déchets liées à l’évènement, etc. Ces études se basent sur l’idée que pour être durable, un rendez-vous sportif doit réussir un triple équilibre (triple bottom line) entre les dimensions économique, sociale et environnementale. Autrement dit, il doit être socialement bénéficiaire, sans être financièrement déficitaire (et même engendrer du développement économique), tout en respectant l’environnement, pour la population du territoire et la génération future. Mais ces études aboutissent à une série d’indicateurs difficiles à synthétiser, comme ceux proposés par le supplément sectoriel évènementiel du GRI (Global Reporting Initiative) utilisé aux Jeux de Vancouver 2010 et de Londres 2012. De plus, pour être fiables, elles doivent être faites ex post.

L’impact environnemental d’un évènement n’est pas négligeable du fait du déplacement de nombreuses personnes. Il doit être limité par des mesures particulières, telles l’inclusion des transports publics locaux dans le prix du billet (comme ce fut fait pour l’Euro 2008 de football en Suisse et en Autriche) ou la compensation des quantités de CO2 dégagées pour d’autres transports (avion, voiture). Les organisateurs de grands évènements peuvent se certifier selon les normes ISO 14000 ou 20121 qui fournissent des directives intéressantes. Cet impact environnemental est toutefois limité à la durée de l’évènement (quelques heures ou quelques jours) pour autant que les installations sportives utilisées aient été construites en respectant les normes environnementales. On ne voit toutefois pas comment le supprimer, à moins de renoncer à tout rassemblement de personnes qui est le propre d’un évènement!

L’impact social évènementiel est sans doute le plus intéressant, car les évènements doivent impliquer une responsabilité sociale qui justifie leur organisation. Contrairement à l’impact économique (dû aux revenus exogènes) qui survient avant et pendant l’évènement, l’impact social intervient essentiellement pendant et après. Il touche à des questions immatérielles comme le bien-être de la population (feel good factor) et sa pratique sportive, ainsi que la notoriété et l’image du territoire (qui ont tous un effet économique). Un impact social rarement souligné est celui des connaissances et de l’expérience acquises par tous ceux qui participent directement (comme collaborateurs ou bénévoles) ou indirectement (comme mandataires) à l’évènement. Le capital cognitif et le réseau acquis ainsi faciliteront leurs projets et leur employabilité futurs.

De nombreuses embûches

Pour combiner les trois dimensions (économique, sociale et environnementale) qui sont à la base de la définition du développement durable et éclairer une décision de candidater (si elle n’a pas déjà été prise) ou pour mesurer la performance d’un évènement déjà acquis, il est intéressant de mener des analyses coûts-bénéfices. Celles-ci comparent tous les coûts matériels et immatériels d’un événement, avec tous ses bénéfices également matériels et immatériels.

S’il est relativement aisé de chiffrer les coûts, même immatériels, en les monétisant (à l’aide des techniques de l’«économie du bonheur» ou «économie contingente»), il est difficile de le faire pour les bénéfices. Que vaut une bonne image? À combien chiffrer une activité physique accrue? Que rapporte le bien-être des gens? Du montant de la monétisation adoptée dépendra donc étroitement le résultat final de l’analyse coûts-bénéfices. Ce type d’études est donc contesté et n’a d’ailleurs été que rarement pratiqué car le processus est assez lourd. De plus, il ramène à nouveau la performance évènementielle à un calcul purement économique : succès si la balance coûts-bénéfices est positive ou échec si la balance est négative.

D’autre part, toutes ces études devraient soulever la question de la durée de l’impact, mais elles le font rarement. Pour les plus grands évènements, comme les Jeux olympiques qui posent la question de l’héritage, faut-il attendre avant d’analyser les conséquences, un an, quatre ans, dix ans? Plus encore?

D’autres difficultés obèrent les études d’impact et les analyses coûts-bénéfices. Par exemple, des facteurs extra évènementiels peuvent-ils entrer en ligne de compte (variation des taux de change, offres attrayantes, transports bon marché, etc.)? Quelles dépenses doivent-elles être considérées comme évènementielles et quelles non? Faut-il compter la construction ou la rénovation des infrastructures, sportives ou autre, comme une dépense évènementielle alors que ces infrastructures serviront longtemps après l’évènement? Autre difficulté : quel est le territoire de référence? La ville hôte, sa zone métropolitaine, sa région, son pays? De la réponse à cette question dépendra, par exemple, l’attribution d’une recette évènementielle comme provenant de l’extérieur du territoire (avec donc un impact économique supplémentaire) ou de l’intérieur (sans impact supplémentaire). Enfin, beaucoup des données nécessaires ne sont pas vraiment disponibles à l’échelon territorial retenu faute de statistiques adéquates.

Encore du travail pour convaincre!

Récemment, la société anglaise Sportcal a annoncé un partenariat avec les fédérations sportives internationales (FI) olympiques pour mesurer l’impact de leurs évènements sportifs selon la méthode GSI (Global Sport Impact). Celle-ci vise à classer les villes et les pays par rapport à leur « niveau » événementiel sportif. Sportcal produira une étude sur un événement choisi par chaque FI. Ces études ne font que rassembler les principales données (nombre de spectateurs, montant des droits de diffusion, nombre de nuitées générées, nombre de pays/athlètes participants, etc.). Bien que cela soit intéressant, cet assemblage ne constitue pas une étude d’impact. Les données permettent éventuellement de comparer une manifestation d’une édition à l’autre. Elles peuvent être utiles à une FI pour convaincre des candidats, mais pas au territoire d’accueil, sauf pour des événements récurrents (par exemple, on sait qu’il y a eu moins de participants au 20 km de Lausanne en 2015 et 2017 qu’en 2016. Que peut-on en conclure?).

Une thèse en préparation à l’IDHEAP est en train de déterminer une méthode pour mesurer l’impact des Jeux olympiques d’hiver de la jeunesse et sera utile pour les JOJ de Lausanne 2020. Elle fait suite aux travaux d’il y a plus de vingt ans sur l’approche OGI (Olympic Games Impact) initiée à l’IDHEAP et appliquée à Beijing 2008, Vancouver 2010 et Londres 2012.

Pour résumer, le sujet est délicat. Il n’est pas sûr que les études d’impact des championnats du monde des diverses FI ou des Jeux olympiques permettent d’attirer des candidatures, car la ficelle est cassée. D’autres approches plus globales seraient certainement plus parlantes pour les élus et les citoyens.

Jean-Loup Chappelet, « Les événements sportifs patrimoniaux comme vecteur de développement territorial », in Olivier Bessy (éd.), L’innovation dans l’événementiel sportif, de l’attractivité touristique au développement territorial, Voiron, Presses universitaires du sport 2014, pp. 24-33. Les politiques publiques d’accueil d’événements sportifs, Paris, Harmattan 2006, 224 p.

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