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lundi, 05 septembre 2016 14:00

Le rapprochement turco-russo-iranien

carteLa tentative de coup d’État en Turquie, dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, n’a pas eu que des conséquences internes au pays mais a aussi été à l’origine d’importants développements sur le plan régional et international. Parmi ces développements, il faut relever un rapprochement turco-russo-iranien qui, s’il se prolonge, ne manquera pas d’avoir des conséquences pour le Moyen-Orient en général et pour la crise syrienne plus particulièrement. En effet, ces trois acteurs sont impliqués depuis des années dans cette crise, tout en poursuivant des objectifs différents. Décryptage.

Depuis la mi-juillet, suite à quelques contacts et rencontres, on assiste à une évolution rapide des rapports entre ces trois puissances. Alors que le coup d’État turc était encore en plein développement, le ministre des Affaires étrangères iranien Djavad Zarif a tweeté dans la nuit du 16 sa solidarité « avec le gouvernement légitime d’Ankara ». Puis, très rapidement, après la confirmation de l’échec du coup d’État, le président de la République islamique Hassan Rohani a contacté par téléphone son homologue turc Recep Erdogan, afin de l’assurer du soutien du pouvoir iranien et lui proposer des discussions sur les problèmes régionaux. Le 8 août dernier, une rencontre au sommet entre les dirigeants russe, iranien et azéri a eu lieu à Bakou, inaugurant une nouvelle phase de leurs relations ; ils ont proposé à la Turquie de se joindre à eux par la suite. Le lendemain, Erdogan a rencontré le président russe Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg et ils ont décidé de mettre en place des mécanismes afin de résoudre la crise syrienne. Le 12 août, le ministre iranien des Affaires étrangères s’est rendu à Ankara pour discuter des modalités de coopération entre les trois États dans la recherche de solutions aux crises régionales.
En moins d’un mois, le rapprochement entre ces trois puissances a donc rapidement pris forme.

Objectifs et priorités
Que dire de ce processus si rapidement engagé ? D’abord que comme son nom l’indique on est en présence d’un « rapprochement » et non pas d’une alliance triangulaire. L’objectif est modeste : une tentative de coopération, afin de trouver une issue à la crise syrienne. Chacun y trouve un intérêt particulier.
Pour Ankara, le réchauffement des relations avec Moscou et Téhéran sert à exercer une pression sur les Occidentaux en leur indiquant qu’à défaut de leur soutien, la Turquie peut trouver de nouveaux partenaires. Pour Téhéran, il s’agit de conforter son retour en tant qu’acteur important sur la scène régionale et internationale après la conclusion de l’accord sur le nucléaire. Quant à Moscou, il y voit une plus grande reconnaissance de son rôle au Moyen-Orient, qui n’est plus principalement fondé sur des liens privilégiés avec l’Iran chiite.
Ceci étant, l’entente entre les trois anciens empires à propos de l’avenir de la Syrie s’articule surtout autour de trois principaux objectifs : le maintien de l’intégrité territoriale du pays, la lutte contre tous les mouvements extrémistes et terroristes, l’établissement d’un gouvernement d’unité nationale par l’organisation d’élections sous supervision internationale. Au-delà de l’entente formelle sur ces points, la lecture que les uns et les autres en font n’est pas toujours la même...
En ce qui concerne l’intégrité territoriale, les trois pays partagent certes le même point de vue et rejettent la mise en cause des frontières internationales de la région, mais leurs priorités sont quelque peu différentes. Pour Ankara, il s’agit de contraindre les milices kurdes YPG, bras armé du Parti d’union démocratique des kurdes de Syrie (PYD) allié du PKK, à se retirer à l’est de l’Euphrate, afin d’éviter la formation d’un territoire contrôlé entièrement par ces milices Kurdes sur sa frontière avec la Syrie. Quant à l’Iran, tout en n’encourageant pas les organisations kurdes, il soutient le PYD et le YPG dans la lutte contre Daech.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les trois pays luttent désormais contre Daech, mais chacun soutient ses propres alliés : les Turcs, le Jabhat Fatah al-Sham ; les Iraniens, les milices chiites qui leurs sont inféodées et qui soutiennent Assad ; quand aux Russes, qui coordonnent depuis un certain temps leurs actions avec les Iraniens, ils évitent de prendre position dans les rivalités sunnites-chiites.
Enfin, en ce qui concerne les négociations pour l’avenir de la Syrie, on constate une évolution dans la position d’Ankara qui a toujours insisté sur le départ d’Assad, et qui accepte, semble-t-il qu’il reste pendant une période de transition.
Pour l’heure, l’engagement de l’armée turque dans le nord de la Syrie le 24 août marque le retour de la Turquie sur la scène syrienne. Quant aux relations d’Ankara avec Téhéran et Moscou, elles vont sans doute poursuivre leur réchauffement au-delà d’une certaine collaboration par rapport à la crise syrienne, car les trois pays ont aussi un grand intérêt à relancer leur coopération économique.

Mohammad-Reza Djalili
professeur émérite à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, spécialiste de l’Iran

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