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jeudi, 16 avril 2015 16:33

Le continent numérique

Le pape François « twitte ». Il le fait même presque tous les jours. Il demande également aux prêtres d’être présents à la périphérie. C’est en m’appuyant sur ces deux points que j’essaie, à mon humble manière, d’être un prêtre « selon le pape François ».

Le pape François tient à donner de la voix jusque dans ces nouveaux moyens de communication que sont les réseaux dits sociaux, tels Twitter. On rétorquera que ce sont souvent ses services administratifs qui envoient sur Internet ces petits messages de 140 caractères maxima, régulièrement tirés de ses homélies ou de ses publications. Il n’empêche ! Ce faisant, notre Saint-Père franchit un pas de plus par rapport à ses prédécesseurs, dont chacun pourtant, depuis un siècle, a relevé l’importance de la communication.
François nous demande également d’être attentifs à la périphérie, c’est-à-dire à ces chrétiennes et à ces chrétiens que l’on ne rencontre pas à la messe, pas même à celle de minuit ou de Pâques, et auxquel(le)s la Bonne Nouvelle doit continuer d’être annoncée. Voilà pourquoi je tente moi-même d’être actif sur Internet, tout spécialement pour y rejoindre ceux qui sont éloignés de nos églises et de nos pratiques. [1] Car Internet, de façon générale, et les réseaux sociaux, en particulier (Facebook, Twitter, LinkedIn, etc.), sont des lieux où les chrétiens « périphériques » sont très présents mais où l’Eglise brille encore trop souvent par son amateurisme, quand ce n’est pas par son absence.
La liberté de ton, de présence et de parole est importante sur le continent numérique, et en cela, il est clairement évangélique, ce continent ! En tout cas, les chrétiens ont le défi de l’évangéliser et je crois que notre pape l’a bien compris.
Venu d’Argentine, François ne connaît que trop bien le danger d’un régime qui voudrait contrôler à outrance et surveiller la parole et l’écrit. Je suis d’ailleurs frappé pas l’attitude de certains régimes politiques qui cherchent à interdire l’utilisation des réseaux sociaux, voire d’Internet, pour mieux contrôler la population. Ou de ces entreprises - et même de certaines Eglises cantonales - qui tentent de contrôler la présence de leurs employés sur la toile, en édictant des règlements inapplicables, mais qui rappellent dangereusement Big Brother. Voilà des attitudes hérodiennes - ou pharisiennes - que le Christ aurait combattues, j’en suis certain.

Ma paroisse web
Pour ma part, je suis présent sur le continent numérique à travers différentes portes d’entrée et je reçois ainsi, plusieurs fois par semaine, des commentaires de chrétiens périphériques. « Vous m’avez donné envie de repousser la porte d’une église… » ; « Jamais je n’avais entendu cela d’un prêtre… » ; « J’aimerais échanger avec vous sur ma foi car ma pratique s’est éteinte depuis plusieurs années, et vous me donnez envie de reprendre… » ; et j’en passe ! Jusqu’à cette jeune femme qui m’a demandé récemment si je pouvais la confesser par Internet ! Face à ma réponse négative, creusant sa demande, elle m’a expliqué qu’elle m’a découvert il y a plusieurs mois, qu’elle m’a régulièrement lu, et que je suis - prétendait-elle - le seul prêtre qu’elle connaisse qui puisse la libérer de l’avortement qu’elle a vécu à contrecœur jadis. J’ai pris sur mon jour de congé pour aller en train la rencontrer là où elle vit. Cette rencontre l’a libérée - m’a-t-elle dit par la suite - et m’a offert une amitié précieuse.

Du virtuel au réel
L’écueil très souvent dénoncé, quand on parle d’Internet, c’est son côté virtuel, ces amis que l’on croise par écran interposé mais que l’on ne voit pas dans la vraie vie. Je m’attache donc à rencontrer de façon incarnée toutes les personnes avec lesquelles j’entretiens un lien pastoral sur Internet. Cela me prend parfois du temps, mais au retour de ces rencontres, je ne le regrette jamais.
C’est une véritable petite paroisse dont je m’occupe sur mon temps libre, en plus des trois cures qui me sont confiées (Evolène, Hérémence et Vex, en Valais). Comme dans toute parois - se, j’y ai mes habitudes, mes fidèles, mes détracteurs et mes conseillers. La différence est qu’elle est faite de ces chrétiens périphériques que le pape François nous demande de rencontrer, pour lesquels il veut que nous sortions de nos habitudes et de notre petit confort.
La « paroisse Internet » obéit, bien sûr, à des codes bien différents et à une liturgie toute particulière. Les règles de nos paroisses de pierres n’y ont pas toujours cours, alors qu’une certaine immédiateté et liberté de ton y ont droit de cité. Ces deux derniers points ne sont pas toujours simples à gérer, car les gens n’oublient pas que vous êtes prêtre lorsqu’ils communiquent avec vous sur la toile… et ils ne vous pardonnent vos couacs pas plus ici que dans la vie « réelle ». Une plaisanterie trop décalée, une réaction trop émotionnelle, une photo trop mondaine ne sont que rarement tolérées. La présence sacerdotale sur le web doit donc se munir de prudence. Rien de bien différent, au fond, avec nos paroisses locales !
Reste que cet activisme numérique m’apporte une joie et une énergie qui se communiquent à mon ministère « normal » et qui me portent dans mes tâches de tous les jours. Plusieurs confrères, du reste, m’ont encouragé à poursuivre lorsque j’envisageais de réduire ma présence à l’écran.
Le défi que ce continent numérique lance à notre pratique religieuse est encore largement à relever. J’y contribue modestement, et j’en suis heureux. C’est ainsi que l’Evangile sera peu à peu annoncé jusqu’aux limites du monde, y compris du monde virtuel qui semble n’en avoir aucune.

[1] • Avec un blog personnel (www.ab20100.ch) regroupant notamment mes homélies, un site œcuménique collectif (www.levangilealecran.com) commentant chaque semaine la parole de Dieu, une présence régulière sur les ré seaux LinkedIn et Facebook, et même quotidienne sur Twitter par le biais d’une « twittomelie » sur un verset de l’une des lectures du jour. (C’est Mgr Giraud qui a lancé le premier les mini-homélies sur Twitter, il y a quelques années : Hervé Giraud, Twittomelies, Les Plans sur Bex, Parole et Silence 2014, 152 p.).

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