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jeudi, 16 avril 2015 16:38

Entre hommage et espérance

Je suis prêtre depuis dix-huit ans. L’âge de la majorité ? C’est le temps où l’on cesse enfin d’être considéré comme un « jeune prêtre ». Un temps bien trop court encore pour tirer des bilans et faire valoir une expérience, mais assez long déjà pour considérer avec un peu de distance le port d’où l’on est parti.

Ces derniers mois, mon diocèse a perdu plusieurs prêtres qui ont accompagné mon enfance et favorisé ma vocation. L’un d’eux est enterré précisément le jour où j’écris ces lignes : Othon Mabillard, dont je fus le 21e et dernier stagiaire à Monthey. Il avait la force et la gouaille d’un doyen de Bernanos. A la cure où nous étions quatre, c’était lui chaque jour, à 70 ans, le premier levé et le dernier couché. Et quand il risquait son Audi cabossée dans les ruelles pavées de la vieille ville, les passants se réfugiaient en riant sous les arcades et lui demandaient s’il cherchait à célébrer des funérailles le lendemain. Un peu comme le bon doyen Mayor à Sierre, il était une personnalité reconnue et estimée de tous, alors qu’il ne faisait que son ministère de prêtre - mais pleinement, et en aimant les gens.
Avant lui, de plus jeunes vicaires avaient entouré ma jeunesse : Gilbert Zufferey, poète cultivé en grande cape noire qui confessait « ne rien comprendre à la théologie », mais parlait longuement de la « philanthropie kénotique du Père » ; Bernard Dubuis, le premier à m’avoir donné le sacrement du pardon : j’étais en deuxième primaire et plusieurs ont remarqué mon sourire à la sortie du confessionnal (la chose est commune à beaucoup d’enfants, mais je n’ai jamais oublié ce moment de bonheur ni ce petit vicaire à la fois jovial et profond) ; Hervé Clavien (de lui, je me souviens surtout, curieusement, d’une rencontre d’Action catholique alors que j’avais huit ou dix ans - j’admirais alors ses grandes et belles mains et il me semblait deviner qu’un prêtre fait avec ses mains des choses étonnantes, à l’égal d’un chef d’orchestre ou d’un chirurgien, et j’avais envie de les faire aussi) ; ou encore, bien sûr, mon curé Denis Clivaz, autre figure claudélienne, verre de whisky et pieds sur la table pour des entretiens spirituels vigoureux, et dont beaucoup à Sierre évoquent encore les homélies percutantes et brèves : on savait, à l’entendre, qu’il y avait là quelque chose d’important et de vrai.

Leurs forces
A part le dernier, décédé il y a déjà plusieurs années, tous sont morts récemment, et leur départ me semble un événement important de notre vie diocésaine. Avec d’autres, ils furent la génération des « prêtres de Vatican II ». Leur postérité apparaît peu nombreuse, mais cela ne veut pas dire qu’ils se soient trompés. Ils ont vécu fidèlement leur ministère, et c’est aussi grâce à eux que nous sommes chrétiens. On les a qualifiés de « soixante-huitards », mais quand j’entendais l’année passée encore Bernard Dubuis nous parler, à la cathédrale de Sion, de son œuvre d’artiste peintre appelé à « obéir au réel pour le transfigurer en Dieu », je me disais que si n’était pas là de la spiritualité chrétienne, il faudrait que l’on m’explique le sens de ce mot.
Qu’avaient donc ces prêtres qui risquent de nous manquer ? Tout d’abord, des convictions, des passions. Pour faire bref, on trouvait chez eux des goûts artistiques et littéraires, ou des équipes de foot à entraîner, ou des options théologiques à confronter, mais toujours des livres - et pas seulement des manuels d’utilisation pour Windows XP. Ensuite, de l’enthousiasme et de la joie, et cette amitié fraternelle qui, selon saint Augustin, est le signe auquel on doit pouvoir reconnaître les prêtres. Enfin, une charité pastorale qui les a toujours fait apprécier de tous - l’incompréhension des fidèles n’est pas, que je sache, le gage d’une spiritualité plus haute. En eux, on ne savait douter du prêtre, car on ne pouvait douter de l’homme.
Si j’aime évoquer leur mémoire, ce n’est pas par nostalgie d’un bon vieux temps que, toujours d’après Augustin, on risque de ne considérer bon que parce qu’il n’est plus ; c’est surtout par la joie de reconnaître nombre de leurs traits dans les écrits du pape François consacrés au sacerdoce.

Rêvons
J’ose rêver que les prêtres d’aujourd’hui et de demain sauront, à leur tour, dans le contexte historique et social qui sera le leur, être des prêtres « selon le cœur de Dieu ». Qu’ils comprennent que la véritable crise qui nous menace n’est pas une crise des formes, mais de la substance. Qu’il en va moins du maintien de traditions inamovibles que de l’annonce d’un retour toujours possible vers le Père. Que le rigorisme et le laxisme, en pastorale, sont deux mauvais fruits qui procèdent d’une même désespérance.[1]
En spiritualité, qu’ils découvrent que la fidélité n’exige rien de moins qu’une créativité toujours nouvelle.[2] En liturgie, qu’ils ne s’attachent ni aux surplis ni aux dentelles, ni non plus à une négligence organisée, mais d’abord à la proclamation joyeuse du Salut incarné dans notre humanité et à la mise en valeur de cette humanité sauvée par Dieu.[3] En pastorale, j’aimerais encore que les prêtres comprennent que les projets imprévus qui naissent d’une consultation et d’une collaboration exercée en coresponsabilité sont toujours plus féconds que les idées personnelles que l’on voudrait imposer seul. Enfin, dans l’accueil des demandes des fidèles, qu’ils considèrent les sacrements moins comme des récompenses à décerner que comme des chemins à offrir : qu’ils sachent tenir fermement à la valeur sacramentelle, sans hésiter pourtant à se réjouir sincèrement de l’action de Dieu à l’œuvre en dehors de nos cénacles.

[1] • Cf. Benoît-Dominique de La Soujeole, Prêtres du Seigneur dans son Eglise, Paris, Parole et Silence 2009, 256 p.
[2] • Cf. Serge de Beaurecueil, Mes enfants de Kaboul, Paris, J.-C. Lattès 1983, p. 188.
[3] • Cf. Arnaud Montoux, Quel avenir pour nos paroisses ?, Arsonval, Fates 2011, pp. 169-170.

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