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jeudi, 16 avril 2015 16:50

Un sacré directeur !

Après Jean Paul II et Benoît XVI, plus mystiques ou théologiques, j’ai pour la première fois l’impression que le pape me parle en directeur, supérieur, confesseur, maître de conscience, guide spirituel. Il me parle comme à un fils ou à un petit-fils ; à un fils spirituel en tout cas.

Quand je lis des propos tels que « te souviens-tu de Marie ? », « connais-tu non seulement tes paroissiens (diocésains), mais aussi les noms de leurs chiens ? », « comment vas-tu au lit ? », « as-tu pleuré ? », « confesses-tu, te confesses-tu ? », « aimes-tu Jésus ? », « es-tu toujours disponible ? », « célèbres- tu chaque jour la messe ? », « es-tu prêtre pour toi ou pour les autres ? », « es-tu plus en avion qu’en diocèse ? », « sais-tu te battre ? (dans la prière avec Dieu) »… j’ai l’impression qu’une sorte d’inquisiteur au tempérament latin bien trempé vient s’infiltrer sans complexe dans ma vie consacrée. Finis les discours de haute volée. C’est au ras des pâquerettes - mais alors de sacrées pâquerettes, de celles qui cachent tant de fleurs de lys, les lys des plus hautes vertus sacerdotales - que le pape me rejoint… et me décape !
Je ne peux m’empêcher de penser à lui si je finis ma journée devant la télévision plutôt que devant le tabernacle. Sa voix me poursuit quand j’agis ou décide moins par audace évangélique que par prudence humaine. Son exemple me hante quand je voyage en première plutôt qu’en deuxième classe. Ses appels me réveillent quand je lais se le mendiant au suivant.
Des expressions telles que « mieux vaut une Eglise cabossée que sclérosée », « mieux vaut avoir subi un mauvais séminaire que pas de séminaire du tout », « mieux vaut perdre une vocation que de risquer un candidat incertain », (une reprise de Pie XI), « mieux vaut un père proche qu’un docteur érudit », « mieux vaut tenir Marie pour mère que de l’avoir pour belle-mère [sic !] », « mieux vaut avoir fait la volonté du prochain, que celle de Dieu ou la mienne » sont autant de puits sans fonds. On y dé couvre la sève évangélique. Celle qui ne nous est pas nécessairement naturelle. Parce que surnaturelle.

Il me mène au combat
C’est à une vie sacerdotale ou épiscopale très classique que le pape François me convie. Tellement classique qu’elle en devient nouvelle. Bréviaire, lectio divina, confession régulière, messe quotidienne, chapelet, examen de conscience, adoration, prédication consciencieuse, présence chaleureuse, miséricorde sans fin. Tous les ingrédients du bon manuel, en effet. Mais tout à l’extrême, sans effets. C’est comme s’il menait le combat en moi, pour une authenticité sans faille. Oui, il me mène au combat. Il m’apprend le démon. Il me surprend de leçon en leçon. Il me tient vigilant.
Je l’ai vu à l’œuvre. Dans un Vatican dépouillé, il tient sa route. Il tient la route. Il tient. Passablement critiqué, taxé d’iconoclaste ou de dictateur caché, il fait effectivement sa volonté : celle de tout un conclave dont il se sent chargé. A chaque décision, il se plaît à le rappeler : c’est des cardinaux que lui vient l’idée.
Mais encore une fois, c’est d’abord à son souci de pasteur que tout se doit. Tellement curé, tellement pasteur qu’il en deviendrait « dictateur ». Mais dans le sens du directeur-recteur, directeur de conscience, recteur spirituel.
Et ce n’est vraiment pas sans fruits. N’est-ce pas beau d’entendre[1] de jeunes gardes suisses vous résumer une catéchèse diluée dans des haut-parleurs trop proches ou trop éloignés, après trois heures de service debout, au milieu d’une foule excitée, l’oreillette vibrante toujours posée : « Oui, il a dit que la vie de famille se décline en trois mots, “s’il te plaît”, “pardon"” et “merci”. » Mission accomplie mais aussi leçon donnée à tous les curés.
Je crois que ce pape nous confirme dans la foi en rendant, pour ainsi dire, infirmes nos manques de foi. Je crois qu’il est tellement libre qu’il inquiète notre liberté. Je crois qu’il veut tellement convaincre qu’il risque bien de vaincre.
Je sens en lui quelque chose d’une main de fer dans un gant de velours. Mais un velours sans onctuosité. Un velours de compassion vraie. C’est encore un soldat de sa fière Garde suisse qui me le disait, sans pouvoir se l’expliquer : quand il accompagnait François auprès des plus blessés, en le voyant faire, en le voyant être, il ne pouvait que pleurer…
Je n’oublierai pas, moi non plus, comment il embrasse les lépreux, comment il touche les contagieux. Je suis saisi par la façon dont il parle du droit des victimes mais aussi du droit de l’agresseur… à être stoppé pour lui éviter de tomber (à propos des islamistes en Irak). Et je m’étonne que l’on ne soit pas plus étonné qu’il n’ait pas simplement demandé de prier pour lui le soir de son élection, mais bien de lui donner notre bénédiction… On s’arrête trop à la serviette qu’il porte lui-même ou à la petite Ford qui l’emmène, et l’on risque de ne pas voir les plus grands chemins d’Evangile où il nous entraîne.
Une chose est sûre pour moi : ce pape ne se laisse pas faire et ne nous laisse pas faire. Il est vraiment à l’affût. Il veut quasi nous forcer à faire la vérité, à discerner. Tout doit être pesé, soupesé, affronté et décidé. Il agit en recteur, en directeur, en meneur. Mais jamais sans Jésus.
Oui, François est pape, père, mais surtout : un sacré directeur ! Directif en conscience. Directeur de conscience.

[1] • Alain de Raemy a été aumônier à la Garde suisse pontificale de 2006 à fin 2013. L’abbé Pascal Burri lui a succédé à ce poste. Voir la p. 42 de ce numéro. (n.d.l.r.)

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