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dimanche, 01 septembre 2019 08:28

Synode une affaire de vie

Art mural à Salvador de Bahia (Brésil) © Philippe Lissac/GodongLe Synode pan-amazonien, qui se déroule au Vatican du 6 au 27 octobre 2019, soulève beaucoup d’espoirs, d’incompréhensions et de passions au sein de l’Église. C’est normal, car il propose de trouver, avec les premiers concernés -soit les peuples indigènes de la région- de nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale. Une Église au visage amazonien. 

Le jésuite Joel Thompson (ingénieur électricien et diplômé en Sciences de l’environnement et du développement) vit dans le Rupununi, au centre de la République coopérative du Guyana, où il accompagne et forme de jeunes adultes de seize villages. Cette région frontière avec le Brésil abrite principalement les peuples amérindiens macuxi et wapinxa.

La parution cet été de l’Instrumentum laboris (le document de travail préparatoire)[1] du Synode sur l’Amazonie a créé bien des espoirs dans la région, mais aussi des remous à l’intérieur de l’Église, particulièrement en Occident. Les médias se sont focalisés sur son fruit le plus juteux : la possibilité, au sein de l’Église catholique romaine, de l’accès au diaconat pour les femmes et au mariage pour les prêtres. Certains catholiques perçoivent le Synode comme une menace contre les bases mêmes du catholicisme. Dans sa critique de l’Ins­trumentum laboris (IL), le cardinal Brandmüller soutient qu’«il constitue une attaque contre les fondations de la foi telle qu'on ne l’aurait pas crue possible jusqu’ici. Il doit donc être fermement et définitivement rejeté»[2].

Ces craintes et ces préoccupations déplacées ratent l’essentiel et passent à côté du véritable enjeu des discussions du Synode. L’approche radicale demandée par l’encyclique Laudato si’[3] signifie littéralement aller jusqu’aux racines de la crise, ce qui implique de la profondeur dans notre manière de nous comprendre et de nous lier les uns et les autres, mais aussi dans notre rapport à l’environnement et à Dieu. Le Synode est avant tout une façon d’approfondir, de comprendre et de réaliser une écologie intégrale, dans le contexte de l’évangélisation des peuples indigènes de la région. Ce sont ces peuples qui sont les interlocuteurs privilégiés pour réussir à concevoir pleinement ce que signifie vivre bien (cf. Laudato si’ §146).

La structure même de l’Instrumentum laboris (§5) révèle les trois niveaux de profondeur ou de conversion que nous devons atteindre: une conversion pastorale vers une Église missionnaire, qui est présentée dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium;[4] une conversion écologique qui forme le cœur de Laudato si’ ; et une conversion vers la synodalité dans l’Église (écoute et accompagnement), telle qu’elle est décrite dans la constitution apostolique Epis­copalis communio.

Les peuples indigènes

L’Instrumentum laboris n’est pas, contrairement à ce qu’en a dit un commentateur, un «document païen couvrant des concepts païens», mais plutôt le fruit d’un pro­cessus synodal d’écoute, de prière, de dialogue et de réflexion. Alors que l’Église cher­che à devenir plus prophétique et samaritaine, ce document doit lui per­­mettre d’envisager sincèrement et en profondeur ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas.

L’idée d’un Synode consacré à la région amazonienne n’a pas fait beaucoup de vagues quand le pape François l’a proposée, en mai et septembre 2017, lors de ses rencontres avec les évêques du Pérou et de l’Équateur. Son annonce officielle, le 15 octobre 2017, a donc été accueillie avec une certaine surprise, car c’est la première fois que le pape convoque un Synode pour une région spécifique. Elle n’aurait cependant pas dû étonner autant, le bassin amazonien étant expressément mentionné dans Laudato si’ en tant que grand poumon de la planète et région qui nécessite une attention urgente (§38).

Laudato si’ est une encyclique sociale, un appel au dialogue concernant notre Terre et la conversion écologique. Le Synode met en évidence le sérieux avec lequel le pape François a accueilli cet appel. Il conçoit les peuples indigènes comme nos meilleurs interlocuteurs dans le cheminement de l’Église vers une conversion écologique. Le processus synodal cherche à écouter et observer, pour être témoin de la crise des peuples et du biome amazoniens (le dernier grand poumon vert de notre Terre). Pour ce faire, il est à l’écoute de la sagesse des populations indigènes concernant la meilleure façon de vivre une écologie intégrale, mais aussi de ce qui freine leur évangélisation fructueuse et leur vie. Alors que le changement climatique affectera particulièrement durement les peuples indigènes, ils sont souvent oubliés dans les discussions globales.

Une chance d’écouter

L’écoute, qui sous-entend le dialogue, est l’un des thèmes majeurs du processus synodal. Le pape François a donné l’exemple lors de sa visite à Puerto Maldonado, dans l’Amazonie péruvienne, en janvier 2018. La production du document de travail est elle-même le fruit d’une écoute attentive. Le Réseau ecclésial pan-amazonien (REPAM)[5] a mené un vaste exercice de consultation (environ 64 000 personnes) dans les neuf pays de la région pan-amazonienne (Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyane française, Guyana, Pérou, Venezuela et Suriname).

Cette consultation ne s’est pas limitée aux catholiques. Elle a également impliqué la société civile, sous la forme de nombreuses organisations indigènes, communautaires, gouvernementales ou non-gouvernementales, ou encore liées à d’au­tres religions et croyances. Lors de la conférence de presse du 8 juin 2018 présentant le document préparatoire de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour la région pan-amazonienne, Mgr Fabio Fabene a rappelé la nature dynamique de l’Église synodale. Il s’agit d’une «Église d’écoute, consciente que l’écoute ‹est plus qu’un sentiment›. C’est une écoute mutuelle, de laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le croyant, le collège épis­copal, l’évêque de Rome : chacun écoute les autres, et tous écoutent le Saint-Esprit.» Les évêques rassemblés à Rome en octobre peuvent donc être certains que le contenu de l’Instrumentum laboris n’est pas simplement le reflet des intérêts de quelques pays ou individus.Le pape François a reçu lundi 27 mai 2019 au Vatican le chef Raoni Metukire, leader du peuple kayapo (à droite). © CIRIC/Vatican Media/EPA/MaxPPP

Nombre des critiques du Synode lais­sent transparaître un certain scepticisme à l’idée que les Amazoniens des périphéries auraient quelque chose à nous apprendre, encore moins à propos d’écologie et d’une Église missionnaire et samaritaine. Nous avons du mal, en effet, en règle générale, à écouter la périphérie, la banlieue. Nous pensons souvent qu’une personne riche peut nous en apprendre plus qu’une personne pauvre, et qu’elle mérite plus de reconnaissance (cf. Ecclésiaste 9,15). L’Instumrentum laboris (§109) rappelle que «la préférence pour le pauvre est le critère herméneutique permettant d’analyser les propositions qui doivent construire la société, ainsi que le critère d’une Église qui se comprend elle-même», ceci spécialement dans les Caraïbes et l’Amérique latine.

Il faut une grande ouverture, de l’humilité et de la confiance pour prêter l’oreille à ceux qui se trouvent «en bordure des périphéries». Il s’agit bien entendu d’une attitude qui distingue l’Église de tous les pouvoirs colonisateurs, anciens ou récents, qui tendent à démoniser et à ignorer les cultures indigènes (IL §7). L’un des sentiments qui ressort des consultations auxquelles j’ai participé en Guyana était le suivant: «L’Église nous écoute finalement!» Alors l’Amazonie peut-elle nous apporter quelque chose de bon? (cf. Jean 1,46). Ce Synode nous invite à considérer la question, en faisant de l’Amazonie un interlocuteur privilégié (IL §2).

Un Synode sur la vie

Le document de travail est composé de trois sections. La première, intitulée La Voix de l’Amazonie, présente la réalité du biome amazonien et de ses peuples. La deuxième est titrée Écologie intégrale : le cri de la terre et le cri des pauvres. Elle expose différents problèmes sociaux, écologiques et pastoraux, ainsi que des suggestions pour y faire face. Finalement, la dernière section, Une Église prophétique en Amazonie : enjeux et espoirs, s’intéresse à des questions ecclésiologiques et pastorales.

Le document souligne l’importance cruciale du biome amazonien pour toute l’humanité. Nous dépendons tous de lui pour l’eau et l’oxygène, les composants essentiels de la vie. En cherchant à créer une vie meilleure, paradoxalement ou ironiquement, nous finissons par détruire la vie elle-même. La pollution qui résulte de la déforestation ou des exploitations minières non réglementées et illégales menace la qualité de l’eau comme celle de l’air. Notre richesse ne nous servira pas à grand-chose dans la maladie.

Si l’Amazonie est un biome si riche (il représente 40% des forêts tropicales mondiales), c’est grâce à la relation symbiotique de soin et de réciprocité qui existe entre les peuples indigènes et leur environnement. Il est bien malheureux que les peuples qui ont le moins contribué au réchauffement climatique soient ceux qui risquent de pâtir le plus de ses effets. C’est ici qu’entre en scène la question de la justice climatique et intergénérationnelle.

Les Nations Unies ont évoqué la possibilité d’un scénario d’«apartheid climatique»,[6] une situation dans laquelle les pauvres seraient incapables de fuir et de s’adapter au changement climatique, tandis que les riches pourraient payer pour échapper à ses pires effets. Les populations les plus vulnérables sont bien entendu les peuples indigènes, notamment les peuples en isolement volontaire (IL §57), qui dépendent directement de la nature pour leur nourriture, leurs soins et leurs remèdes, leurs abris et leurs besoins culturels. Quiconque se soucie de notre maison commune devrait donc s’intéresser au Synode pour l’Amazonie, qui est un Synode sur la vie elle-même.

La vie est un thème majeur de l’Instrumentum laboris. Le point de départ est la plénitude de la vie offerte par Jésus (Jean 10,10). À partir de là, le document constate que la diversité et l’abondance de la vie, dans toutes ses dimensions, sont menacées en Amazonie. La pensée sociale de l’Église insiste sur la connexion entre l’évangélisation et la vie quotidienne des peuples auxquels la doctrine est transmise et au sein desquels elle est vécue. Les deux chemins explorés par le Synode (L’Église et sa mission, ainsi que l’écologie intégrale) convergent autour de la vie.

Forêt tropicale © Lucienne BittarDe multiples menaces

Quelle est la menace qui pèse sur la vie sur Terre? Cette question apparemment simple demande une réflexion importante et profonde. Laudato si’ reconnaît l’œuvre nocive du «paradigme technocrate», qui conçoit nos relations avec autrui, avec la Terre et même avec Dieu sur un plan instrumental. L’utilité devient la valeur suprême, et on ne reconnaît plus de dignité intrinsèque à la personne, ni de valeur intrinsèque à la création. Lorsque nous parlons d’écologie, nous ne devons jamais oublier que, pour le chrétien, la nature est la création. Elle est bonne et sacrée, et même sacrément bonne (cf. Genèse 1,13).

Nombreuses sont les menaces auxquelles les communautés indigènes doivent faire face (IL §15): la criminalisation et l’assassinat des chefs et meneurs qui défendent le territoire ; l’appropriation et la privatisation des ressources naturelles, comme l’eau elle-même; les exploitations forestières, qu’elles soient légales ou non; la chasse et la pêche prédatrices, surtout dans les rivières; les projets de grande envergure, comme les concessions hydroélectriques et forestières, la déforestation pour la production de monocultures, la cons­truction de routes et de voies ferrées, ou les projets miniers et pétroliers; la pollution due à l’industrie extractive, qui cause des problèmes de santé, surtout chez les enfants et les jeunes; le trafic de drogue et les problèmes sociaux résultant de toutes ces menaces, tels que l’alcoolisme, la violence contre les femmes, la prostitution, la traite des personnes, la perte de culture et d’identité (langage, pratiques spirituelles et coutumes), et tous les visages de la pauvreté à laquelle sont condamnés les peuples de l’Amazonie.

Les communautés indigènes con­çoivent une vie bonne, comme une vie menée en harmonie avec soi-même, autrui, la nature et Dieu (IL §12). Leur vision du monde ne laisse pas de place à une conception manipulatrice des relations, elle privilégie la qualité plutôt que la quantité. Voilà pourquoi les populations indigènes rejettent généralement les initiatives d’extraction sur leur territoire. Ce n’est pas seulement que ces peuples ignorent les richesses que ces initiatives pourraient leur apporter, ni même qu’ils s’inquiètent du potentiel destructif de ces industries. Plus profondément, il s’agit d’une trahison de leur être même, de leurs valeurs et de la manière dont ils se conçoivent.

Dans sa deuxième section, dans l’esprit de l’écologie intégrale, l’Instrumentum laboris explore la façon dont ces dangers affectent, dans leurs liaisons multiples, les populations, l’environnement et l’accueil de la doctrine. Un domaine particulièrement inquiétant concerne la migration, qui a contribué à la déstabilisation sociale des communautés de l’Amazonie. L’Église propose d’adopter une approche transnationale coordonnée pour faire face à ce problème. 

La dernière section du document de travail examine sérieusement la question d’une Église au visage amazonien, samaritain et missionnaire. À quoi ressemblerait-elle? Les communautés souhaitent une Église présente plutôt qu’une Église en visite. Un «ministère pastoral du visiteur» doit donc céder la place à un «ministère pastoral de la présence» (IL §128). C’est là l’un des points fondamentaux.

Le visage amazonien est aussi celui d’une Église qui choisit clairement les pauvres (et avec eux!) et le soin de la création (IL §109). Il montre que les nouveaux chemins du ministère pastoral en Amazonie demandent une relance, à la fois fidèle et audacieuse, de la mission de l’Église dans le territoire et un approfondissement du processus d’inculturation et d’interculturalité. L’un des refrains qui ont rythmé la consultation du Synode en Guyana a été la nécessité de prêtres locaux indigènes, qui parlent la langue et connaissent la culture des populations dont ils ont la charge. Le besoin de missionnaires ouverts à la langue locale et à la nature multidimensionnelle de leur culture a également été réaffirmé.

Des propositions courageuses

Parmi les propositions prophétiques et courageuses du document de travail, l’une d’elles (IL §129) est particulièrement sujette à discorde. «Tout en proclamant que le célibat est un don pour l’Église, il est demandé qu’il soit possible, dans les régions les plus isolées du territoire, d’ordonner des personnes plus âgées, préférablement indigènes, respectées et acceptées par leur communauté, même si elles ont une famille, afin d’assurer la disponibilité des sacrements qui accompagnent et nourrissent la vie chrétienne.»

Il faut ici souligner deux points importants, sur lesquels le document passe peut-être un peu vite. Le premier est que cette suggestion provient des communautés locales elles-mêmes et qu’elle rappelle les premiers temps de l’Église, quand celle-ci répondait aux besoins du peuple en créant les ministères appropriés (Actes 6,1-7; 1 Tim 3,1-13). Le deuxième est que cette suggestion ne vaut que pour les régions les plus isolées, afin qu’elles aient accès aux sacrements. Ce n’est pas le lieu adéquat pour débattre du célibat des prêtres. Ce que cherche à faire le processus synodal, c’est plutôt de discerner la direction que l’Esprit indique de prendre, en ce moment, à cet endroit et en ces circonstances particulières.

Quel est le rapport entre écologie, économie, politique et la mission de l’Église, demande le cardinal Brandmüller dans sa critique du document de travail? La réponse est simple: il s’agit d’une question de vie pour ceux qui dans la région font face à une culture de mort, et pour ceux qui appellent de leurs vœux la vie épanouie promise par la doctrine de l’Église. Il s’agit de déceler les chemins à suivre pour cette partie de l’Église. Puisse ce discernement permettre à l’Église d’être solidaire avec les peuples de l’Amazonie, au moment où nous cherchons tous à réaliser une écologie intégrale. 

(traduction Amanda Spierings)

 [1] Texte intégral publié le 17 juin 2019, disponible sur www.sinodoamazonico.va.
[2] http://www.kath.net/news/68373
[3] Pape François, Lettre encyclique Laudato si’ sur la sauvegarde de la maison commune, Rome, 24 mai 2015.
[4] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, Rome, 24 novembre 2013.
[5] En 2014, la Conférence des évêques d’Amérique latine a créé un réseau ecclésial transnational nommé REPAM (Réseau ecclésial pan-amazonien) afin d’identifier et d’explorer les défis communs (sociaux, environnementaux et spirituels) auxquels les peuples amazoniens doivent faire face.
[6] Philip Alston, Climate change and poverty. Report of the Special Rapporteur on extreme poverty and human rights, 25 juin 2019.

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