Il est utile d’aborder le document final comme un appel à la conversion du lecteur. La conversion nécessite que l’on considère le territoire et ses peuples avec les yeux de la foi et que l’on écoute leurs cris. La prise en compte des résistances internes de chacun par rapport aux propositions exhorte à une réflexion et à une prière plus approfondies. Les deux questions très controversées et dramatisées des femmes diacres et des prêtres mariés doivent être abordées dans le contexte de la conversion pastorale et synodale. Le thème récurrent, tout au long du document, soutient que, sans la conversion, la vie de l’Église et celle de l’Amazonie ne seront pas aussi fortes et abondantes qu’elles pourraient l’être. Le Synode visait à soutenir la vie de l’Église (à la fois à l’échelle universelle et locale), ainsi que la vie du territoire et de ses peuples.
Conversion pastorale
L’objectif de la conversion pastorale est d’être une Église ouverte (§ 20). L’activité missionnaire n’est pas une activité facultative de la part de l’Église car elle caractérise sa nature même. Le Synode n’a pas conçu l’activité missionnaire en Amazonie comme étant uniquement un phénomène de mouvement de l’extérieur vers l’intérieur, mais il espère créer une plus grande impulsion missionnaire afin que tous les baptisés d’Amazonie puissent entendre l’appel à devenir des disciples missionnaires (§ 26).
Pour que cette démarche porte davantage ses fruits, l’Amazonie doit être évangélisée par son propre peuple.
Ce point a été vivement discuté lors de la réunion pré-synode organisée au Guyana (anciennement Guyane britannique), où de nombreux participants ont exprimé un profond désir de côtoyer des prêtres issus de leurs propres communautés, qui connaîtraient leur mode de vie, leur culture et leur langue. Tout en saluant le travail accompli par les équipes itinérantes, le Synode lance un appel à l’attention des congrégations religieuses dans le reste du monde afin qu’elles instaurent des initiatives missionnaires dans l’un des pays d’Amazonie (§ 40).
Une attitude ouverte de dialogue représente également un aspect important de la conversion pastorale. Le Synode exhorte l’Église à entretenir un dialogue ouvert avec l’État, les autres Églises et dénominations chrétiennes, la société civile, les populations indigènes et toutes les personnes de bonne volonté. Par exemple, des projets communs peuvent être explorés autour de la préservation et de la promotion des connaissances et des langues locales. De tels efforts posent les jalons nécessaires aux traductions bibliques et à l’enseignement bilingue. Compte tenu des défis comme la migration liée à l’activité extractive et les jeunes autochtones vulnérables dans les environnements urbains et ruraux, une option préférentielle est souhaitée par une Église pastorale et samaritaine pour les populations indigènes. Écouter la Parole de Dieu et les cris de son peuple incite à la conversion pastorale.
Conversion culturelle
Le document nous exhorte également à une conversion culturelle, qui signifie adopter une attitude d’ouverture, s’identifier aux autres et apprendre de leur expérience (§ 41). La proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus implique la reconnaissance des semences du Verbe déjà présentes dans les cultures (§ 55). La reconnaissance des semences du Verbe dans les différentes cultures des peuples amazoniens et la pratique de l’inculturation et de l’interculturalité nécessitent humilité et respect.
Selon une présupposition de la spiritualité ignatienne, Dieu est présent en toutes choses (y compris les cultures et les peuples).
Pensons-nous que les populations indigènes ont quelque chose à nous apprendre? Les membres du Synode en sont fermement convaincus et je suis d’accord avec eux. Nous pouvons apprendre à vivre dans la joie une écologie intégrale qui reconnaît l’interconnectivité entre toutes les choses, et nous pouvons apprendre à apprécier la qualité des relations plutôt que la quantité des biens que nous possédons. La réciprocité, la solidarité et la communauté constituent des valeurs indigènes essentielles (§ 44). En cette période charnière dans l’histoire de l’humanité, peut-être avons-nous plus que jamais besoin d’apprendre la valeur du bien vivre avec moins (Laudato Si’ 222). Cela se reflète dans le concept andin du Buen Vivir (bien vivre ou vivre bien) qui vise à faire des relations harmonieuses entre les peuples, l’environnement et le créateur une réalité concrète.
Prendre au sérieux les réalités culturelles signifie soutenir les initiatives et réseaux éducatifs bilingues afin que les propositions pédagogiques puissent répondre aux besoins des communautés tout en respectant, en appréciant, en affirmant et en intégrant leur identité culturelle et linguistique (§ 62).
Conversion écologique
L’appel à la conversion écologique est peut-être la partie la plus prophétique du document. La semaine passée, 11'000 scientifiques ont lancé un avertissement sur l’urgence climatique. Le document final reconnaît que nous devons agir d’urgence face à cette «crise environnementale sans précédent» (§ 65). Le biome amazonien, l’un des derniers «poumons» vert de la terre, joue un grand rôle dans le bien-être de la planète. Comme indiqué dans de nombreux documents précédant le Synode, la convoitise envers les terres et les ressources d’Amazonie alimente des conflits qui entraînent ethnocides, meurtres et criminalisation de mouvements sociaux et de leurs dirigeants, migrations et d’autres conséquences sociales et environnementales indésirables.
L’une des propositions importantes faites par le Synode est celle de la définition du «péché écologique». Il s’agit de péchés par omission ou par action envers Dieu, envers son prochain, la communauté et l’environnement. Ce sont des péchés contre les générations futures qui se manifestent par des actes et des habitudes de pollution et de destruction de l’intégrité de l’environnement (§ 82).
Nous sommes invités à transformer nos choix de vie tels que nos modes de transport, notre régime alimentaire et nos modèles de consommation.
Si nous plaçons les populations au centre du développement comme la plupart des professionnels le font aujourd’hui, alors la croissance économique au détriment des personnes et de la planète n’est ni logique, ni éthique. Le Synode lance un puissant appel à une transition énergétique radicale et à la recherche d’alternatives et d’initiatives de développement qui préservent la dignité des peuples indigènes tout en respectant leurs cultures et leurs traditions.
Deux propositions concrètes en vertu de cette section concernent le remboursement de la dette écologique et la mise en place d’un Bureau de l’Amazonie relié au Dicastère pour le service du développement humain intégral. La première proposition vise à rembourser la dette écologique des pays envers l’Amazonie en créant un fonds mondial pour financer une partie des budgets des communautés amazoniennes qui favorisent leur développement intégral et autonome, et ainsi pour les protéger également contre la tentation de succomber aux sollicitations offertes par les entreprises minières nationales et multinationales (§ 83).
Conversion synodale ou de nouveaux moyens de ne faire «qu’un»
La conversion finale requise reconnaît que l’Église doit renforcer sa culture du dialogue, de l’écoute réciproque et du discernement spirituel communautaire afin d’aborder adéquatement les défis pastoraux (§ 88). Dans le prolongement du processus de consultation du Synode pour l’Amazonie, les membres du Synode ont reconnu la nécessité de renforcer et d’élargir les espaces de participation des laïcs, à la fois en matière de consultation et de prise de décision, dans la vie et dans la mission de l’Église (§ 95). Parmi les structures synodales amazoniennes proposées, celle d’une Université catholique d’Amazonie est particulièrement intéressante car elle se base sur la recherche interdisciplinaire (y compris les études de terrain), l’inculturation et le dialogue interculturel. Cela permettrait d’enrichir la formation théologique.
L’équité en matière de promotion et d’octroi des ministères aux hommes et aux femmes demeure une priorité absolue pour l’Église en Amazonie.
À cette fin, le Synode encourage la formation des femmes dans des domaines comme la théologie biblique, la théologie systématique et le droit canonique, et exhorte à une valorisation de leur présence dans les organisations et les rôles dirigeants à l’intérieur et hors de l’environnement ecclésial. Puisque dans les faits, les femmes mènent déjà les célébrations eucharistiques dans les communautés d’Amazonie, le Synode demande l’instauration du ministère pour les «femmes dirigeantes de la communauté» et espère pouvoir partager ses expériences et réflexions avec la «Commission d’étude sur le diaconat des femmes» (§ 103).
En reconnaissant que l’Eucharistie est la source et l’apogée de toute vie chrétienne, le Synode déclare que la communauté est en droit de la célébrer (§ 109-110). L’expérience concrète montre que les communautés sont avides et demandeuses de la célébration de ce sacrement et qu’il serait extrêmement injuste de leur refuser l’accès à celui-ci. Tout en appréciant le célibat comme un cadeau offert à Dieu permettant au disciple missionnaire de se consacrer pleinement au service du peuple de Dieu, le Synode propose d’établir des critères au sein du cadre du Lumen Gentium 26 afin d’ordonner prêtres «des hommes estimés de la communauté, qui se sont consacré au diaconat permanent de manière fructueuse, qui ont reçu une formation sacerdotale adéquate et qui possèdent une famille stable et légitimement constituée». Cela est nécessaire afin de soutenir la vie de la communauté chrétienne par la prédication de la Parole et la célébration des Sacrements dans les zones les plus isolées de la région amazonienne (§ 111).
Rester unis
Ces quatre conversions constituent la réponse du Synode aux nombreux discours et interventions présentés lors de sa convention. Elles s’adressent à tous ceux d’entre nous qui désirent rester unis au sein d’une seule Église et qui souhaitent exprimer leur solidarité avec cette région menacée.
Les 120 paragraphes du texte ont obtenu le vote nécessaire à la majorité des deux tiers des participants au Synode. Ces recommandations ont été soumises à l’examen du pape François et sa réponse devrait être connue dans les prochaines semaines.
1. Version officielle uniquement disponible en espagnol sur le site Internet du Vatican: http://www.sinodoamazonico.va/content/sinodoamazonico/es/documentos/documento-final-de-la-asamblea-especial-del-sinodo-de-los-obispo.html