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vendredi, 22 novembre 2019 11:00

Pour une obéissance choisie

20 septembre 2019 : Marche des jeunes pour le climat, Fridays For Futur (FFF). Paris (75), France.La notion d’obéissance dans l’Église revêt une importance biblique et spirituelle, mais son traitement est étroitement lié à la question des structures de pouvoir. Selon la manière dont elle est comprise et utilisée, elle constitue la base spirituelle des relations de pouvoir… ou de leur critique. Les exemples actuels, à commencer par la question des abus sexuels, ne manquent pas.

Depuis près de 20ans, Klaus Mertes dirige des collèges jésuites. Il a examiné dans de nombreuses publications le contexte ecclésiastique des abus sexuels. Il est connu pour ses positions en faveur d’un partage de pouvoir dans l’Église et d’une nouvelle morale sexuelle et a écrit en ce sens, avec huit autres personnalités, une lettre ouverte au cardinal Reinhard Marx, le 3 février2019.

Au printemps 2012, un prêtre autrichien prenait l’initiative de lancer un «appel à la désobéissance». Plus de 400 prêtres et diacres le signèrent. Dans ce texte, ils confessaient avoir cessé depuis longtemps d’adhérer à la discipline ecclésiastique en matière pastorale et avoir l’intention de continuer ainsi: communion pour les divorcés remariés, prédication laïque, etc. La même année, dans l’archidiocèse de Fribourg-en-Brisgau, un groupe d’environ 200 prêtres reconnurent publiquement qu’ils accordaient la communion aux divorcés remariés s’ils l’estimaient approprié à des fins pastorales. Des initiatives similaires sont en train de voir le jour dans d’autres diocèses. C’est là un signe de crise de confiance (qui ne peut être commandée) et de crise du concept d’obéissance dans l’Église catholique.

Obéissance de la foi

L’épître aux Romains de Paul est un texte-clé de l’Église primitive et de l’histoire de l’Église dans son ensemble. Dès le début, une parole importante est énoncée: «…par lui (Christ), nous avons reçu la grâce d’être apôtre pour conduire à l’obéissance de la foi, à la gloire de son nom, tous les peuples païens…» (Rm 1,5). L’acte de foi serait donc un acte d’obéissance? À qui? L’apôtre me dit quoi croire, et dois-je alors lui obéir? Suis-je désobéissant si je ne crois pas?

Avec cette traduction (TOB), il semble possible, en effet, de comprendre l’acte de foi comme un acte d’obéissance à la personne de l’apôtre (aujourd’hui, aux représentants du Magistère apostolique). Elle indiquerait également comment l’Église doit construire la relation entre le Magistère et la foi: le Magistère me présente ce que je dois croire, et je lui obéis en croyant ce que je dois croire; si je ne crois pas, je désobéis.

Mais la formulation de Paul ne peut soutenir une telle compréhension exiguë de la foi obéissante. Pistis (foi), chez Paul, signifie d’abord confiance, c’est-à-dire une attitude envers une personne. Ce que la personne (ou le Magistère apostolique) a à me dire devient bien sûr plus acceptable pour moi si je lui fais confiance. Et c’est précisément la confiance en la personne de l’apôtre qui me permet d’accepter son message, et non la soumission à sa volonté, surtout si celle-ci se résume à cette revendication «Obéis-moi et crois ce que je te dis»!

Pour de nombreuses raisons, il paraît aussi évident de traduire hypakoe non pas par obéissance, mais par écoute du message (cf. Galates 3,2: «Est-ce en raison de la pratique de la loi que vous avez reçu l’Esprit, ou parce que vous avez écouté le message de la foi?»).

Le vrai thème, finalement, de la lettre aux Romains porte sur la pistis, la confiance, et non sur l’hypakoe, le message entendu et transmis. Cela ne concerne pas seulement l’acte de foi envers Jésus ou Dieu. Pistis est plutôt un principe de relation qui englobe toute la communication entre Dieu et l’homme, entre Jésus et Dieu, entre les hommes entre eux, et entre Abraham et Dieu. En revanche, le monde imaginaire déclenché par la traduction obéissance de la foi réduit toute la plénitude de ce que l’on entend par pistis à une obéissance à une autorité. Ce qui mène à une impasse.

Des asymétries nécessaires

Il ne faut pas non plus prétendre pour autant que la foi et l’obéissance sont des concepts sans rapport. Sinon on tombe dans un autre piège. Jésus n’était pas un homme obéissant. S’il a été «obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix» (Philippiens 2,8), c’est à la volonté du Père qui est aux cieux et non à celle des autorités religieuses de l’époque. Cela ne signifie pas qu’il n’a pas reconnu la légitimité des autorités religieuses de son époque. «Les scribes et les pharisiens siègent dans la chaire de Moïse: faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire» (Matthieu 23,2-3). Parce qu’ils enseignent «dans la chaire de Moïse», donc, et non parce que ce sont des personnes particulièrement crédibles - même si idéalement la crédibilité personnelle et la possession de l’autorité légitime structurelle (par exemple ecclésiastique) devraient se rejoindre.

La reconnaissance de l’autorité a quelque chose à voir avec le phénomène des asymétries nécessaires, qui sont également reconnues dans l’Évangile (parent-enfant, berger-brebis, enseignant-élève). Dans de telles relations, il existe un déséquilibre de pouvoir qui ne peut être résolu. C’est également un point important pour la question de la confiance: l’abus de confiance a souvent quelque chose à voir avec le fait que ce type d’asymétrie est nié afin de créer de la proximité. La tante se présente comme l’amie de la nièce, le prêtre comme l’ami de l’enfant de chœur, le maître comme celui de ses élèves. L’abus spirituel consiste précisément à exploiter l’absence de distance: l’auteur fait croire à la victime que l’asymétrie n’existe pas, même si elle existe toujours. Les victimes sont attirées dans une pseudo-égalité dans laquelle elles se font leurrer, précisément parce qu’elles font confiance à l’auteur du leurre sur la base de son autorité en tant que tante, prêtre ou enseignant.

De volonté et de raison

Qu’en est-il de l’obéissance dans le domaine de la foi? Le Magistère ecclésiastique exige l’obéissance volontaire et de raison des baptisés: «Cet assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence est dû, à un titre singulier, au Souverain Pontife en son magistère authentique, même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, ce qui implique la reconnaissance respectueuse de son suprême magistère, et l’adhésion sincère à ses affirmations, en conformité à ce qu’il manifeste de sa pensée et de sa volonté…»[1]

La distinction entre obéissance volontaire -ou de volonté- et obéissance de raison -ou d’intelligence- est importante pour éviter les abus. On peut attendre d’un catholique qu’il soit «disposé» à écouter les déclarations du Magistère pontifical, à les entendre comme provenant d’une autorité importante pour lui et à les traiter en conséquence, ouvertement, avec bienveillance, sans chercher la petite bête. Mais cela ne veut pas dire qu’il lui faut exclure l’intelligence.

L’obéissance de raison est donnée lorsque mon esprit comprend ce que l’autorité que j’écoute volontiers enseigne. Elle se réfère au contenu de l’enseignement. La distinction entre obéissance volontaire et obéissance de raison le montre clairement: la reconnaissance volontaire d’une autorité enseignante n’est pas identique au consentement intellectuel à tout ce qu’elle dit. Si l’autorité enseignante veut rester crédible, elle doit elle-même prêter attention à cette différence. «Un document avec des arguments forts et convaincants, écrit par une personne ayant peu d’autorité, sera toujours plus convaincant qu’un document sans arguments écrit par une personne ayant une autorité élevée.»[2] Si le Magistère ecclésiastique ne veut pas porter atteinte à son autorité, il doit respecter la distinction entre obéissance volontaire et obéissance de raison. Il ne peut pas obliger la raison à comprendre quoi que ce soit. Les arguments comptent ici.

Le même Paul, à qui est attribuée la parole d’«obéissance de la foi», dit quelques lignes plus loin que tous les hommes connaissent la loi divine: «… leur conscience en témoigne» (Romains 2,15). Il s’ensuit que le Magistère, lorsqu’il parle, le fait dans un espace où les gens parlent déjà. Il existe une correspondance entre la parole présentée par le Magistère et la parole entendue dans le cœur des fidèles, dans leur conscience. Une radicalisation du sens de l’«obéissance» en tant qu’acte de pure soumission à une autorité extérieure détruit quelque chose dans l’Église en tant que communauté de croyants qui peuvent se comprendre et avoir quelque chose à se dire.

De l’obéissance à la soumission

La découverte des cas d’abus affecte l’Église à un moment où le Magistère s’est mis dans une situation où il exige de plus en plus d’actes d’obéissance et où la catholicité des fidèles est déterminée par leur obéissance effective. L’exemple le plus clair en est la déclaration du Magistère sur la question de l’ordination des femmes (1994): c’est hors de question. L’obéissance à une déclaration du Magistère est nécessaire, mais la distinction entre obéissance volontaire et obéissance de raison est abolie lorsque toutes les objections et les problèmes de compréhension exprimés à voix haute sont perçus comme des actes de désobéissance.

Depuis quelques années, le catholicisme allemand est confronté à une demande d’obéissance tout aussi ultime: en 1999, en conformité avec la Constitution allemande, des laïcs catholiques ont fondé une association appelée Donum Vitae qui prodigue des consultations en matière de grossesse, après que l’Église a quitté ce domaine de conseil. Avec la bénédiction des évêques, des centres catholiques de conseil en grossesse délivraient jusqu’alors, après une consultation, un certificat aux femmes comme condition préalable à l’impunité en cas d’avortement. Jean Paul II y avait vu un témoignage équivoque de l’Église sur les vies en danger et avait demandé aux évêques du pays de mettre fin à la présence des chrétiens dans ces centres de consultation. Tous les catholiques d’Allemagne n’ont donc pas suivi son ordre de désengagement.

Un problème d'application?

Pourquoi ne serait-il pas possible de laisser les deux options exister côte à côte, en mettant en balance la clarté du témoignage et la vie à sauver . La vie est parfois faite de contradictions qui ne peuvent être résolues. Si cela n’est pas pris en compte, les questions complexes se retrouvent réduites à un problème d’application. C’est ce qui arrive quand on confond l’obéissance volontaire et l’obéissance de raison.

L’importance de pouvoir grandir dans une Église où la foi et la compréhension ne sont pas simplement comprises comme un acte d’obéissance à l’autorité spirituelle est démontrée par l'exemple de ce qu'ont vécu les victimes d’abus.

Trois mensonges sont particulièrement présents dans leurs récits: les rituels punitifs sadiques étaient justifiés par leurs auteurs comme étant de simples punitions, les agressions sexuelles comme faisant partie de l’éducation sexuelle ou, troisièmement, simplement comme des actes d’amour. Dans les trois cas, les auteurs ont exigé que les victimes les croient. Inversement, les victimes potentielles échappaient plus facilement aux abuseurs quand les autorités spirituelles à qui elles faisaient confiance les encourageaient à ne pas se méfier de leur propre jugement. 

 [1]  Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l'Eglise "Lumen gentium", n° 25, sur www.vatican.va.
[2] Bischof Geoffrey Robinson, Macht, Sexualität und die katholische Kirche, Oberursel, Publik-Forum 2010, p. 164.

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