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vendredi, 26 octobre 2018 10:00

Homosexualité: une arrogante assurance

stgeorgenUniversité Saint-Georges, à Francfort«Des fonctionnaires du Vatican sanctionnent un enseignant allemand parce qu’il traite des homosexuels avec respect!... Si l’affaire n’était pas aussi affligeante, elle ferait rire.» Le jésuite allemand Klaus Mertes s’exprime sans détours. Directeur du Collège jésuite Saint-Blaise, dans la Forêt-Noire, il a publié dans Die Zeit, le 11 octobre passé, un commentaire à propos de l’affaire du Père Ansgar Wucherpfennig sj, remettant cette décision dans le contexte des luttes d’influence au Vatican.

Pour rappel des faits, Ansgar Wucherpfennig sj est recteur de la Faculté jésuite de théologie Saint-Georges, à Francfort. Il vient de voir sa réélection bloquée par la Congrégation pour l’éducation catholique à cause, notamment, de propos qu’il avait tenu sur l’homosexualité un an auparavant, le 14 octobre 2016, dans le Frankfurter Neue Presse.

Il y avait déclaré que l’attitude négative de l’Église envers les homosexuels «s’enracin(ait) parfois dans une mauvaise compréhension de certaines affirmations de la Bible». Il soutient aussi la possibilité de bénir des unions homosexuelles. Des propos jugés non conformes aux enseignements de l’Église par la dite Congrégation, qui a exigé de lui «une correction publique immédiate», à laquelle le Père Wucherpfennig a refusé de se soumettre. L'avis de Klaus Mertes.

Un ami m’a raconté qu’il en avait parlé chez lui à ses enfants: «Rendez-vous compte, le Vatican a licencié le recteur de la Faculté de théologie et de philosophie jésuite à Francfort!» -«A cause d’abus?» ont immédiatement demandé les enfants. –«Non, parce qu’il a demandé qu’on témoigne davantage de respect aux homosexuels dans l’Eglise.» Ansgar Wucherpfennig sj, professeur de Nouveau Testament à la Faculté de philosophie et théologie Saint-Georges, dont il est le recteur depuis quatre ans, n’obtient plus le nihil obstat («rien n’empêche») du Vatican. Le jésuite perd ainsi son habilitation en tant que directeur d’une institution renommée, où son confrère Bergoglio, le pape actuel, a jadis étudié.

Le prétendu délit du P. Wucherpfennig? Il ne condamne pas l’amour homosexuel et plaide en faveur de la bénédiction de couples de même sexe. Les autorités vaticanes exigent qu’il «corrige ses opinions et sa pratique pastorale». Mesure disciplinaire en plein scandale des abus sexuels?

Une position hors de la réalité

«Ils continuent, comme si de rien n’était», me suis-je dit quand j’ai appris la nouvelle. Comme si la Conférence épiscopale d’Allemagne ne venait pas de faire paraître une étude qui reconnaît dans l’aspect négatif de la doctrine de l’Eglise sur l’homosexualité un facteur de risque en matière d’abus. Comme si le cardinal Reinhard Marx et d’autres évêques allemands n’avaient pas prédit ces conséquences. Comme s’il ne se tenait pas actuellement à Rome un synode auquel, pour la première fois, des jeunes sont invités à s’exprimer librement, notamment sur la morale sexuelle, dans un «climat d’écoute» ouvert à diverses positions, que le pape lui-même a demandé.

Mais tout cela laisse de marbre les fonctionnaires vaquant à leurs activités, installés dans des vaisseaux spatiaux du Vatican qui ont pour nom Congrégation pour la doctrine de la foi ou Conseil pontifical pour la culture. En termes secs, d’un niveau intellectuel minimal, ils expédient un jésuite loyal, professeur d’université reconnu, et heurtent du même coup son évêque Georg Bätzing et son provincial Johannes Siebner, qui soutiennent tous deux le Père Wucherpfennig. D’autres évêques allemands sont eux aussi consternés. En effet, il en va ici davantage que de la personne d’Ansgar Wucherpfennig, qui ne fait que dire ce que le pape dit aussi. François demande que l’on pratique une pastorale du «discernement», qui tienne compte des réalités de la vie actuelle, au lieu d’asséner des positions doctrinales comme on jette des «pierres mortes» à la tête des croyants et, en particulier, de diaboliser les homosexuels. Sa question: «Qui suis-je pour juger ?» a fait le tour du monde. Mais on devrait aussi mieux connaître les documents synodaux et les écrits du pape (comme Amoris laetitia), dans lesquels il exhorte le clergé à ne plus malmener le peuple de l’Église avec une morale punitive doctrinaire.

Une lutte pour le pouvoir

Désormais, certains milieux hauts placés du Vatican lui vouent une haine tenace, à commencer par certains cardinaux qui ne lui reconnaissent aucune qualification théologique ou l’accusent ouvertement d’hérésie. Depuis qu’en septembre dernier l’ancien nonce Vigáno a formulé de graves reproches à l’encontre de François dans l’affaire de l’ancien archevêque McCarrick, abuseur présumé, les adversaires du pape instrumentalisent le scandale des abus et recherchent sa destitution. Il est vrai que le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, vient de réfuter dans une lettre ouverte les accusations de Vigáno contre François. Mais le reproche homophobe demeure, selon lequel François aurait couvert des «réseaux homosexuels» qui seraient responsables des abus et de leur dissimulation. C’est ainsi que l’on fait dire aux nouvelles études sur les abus (en provenance d’Allemagne, d’Australie et des Etats-Unis) le contraire de leurs conclusions.

Est-ce de la simple bêtise ou du cynisme? Une chose est claire: il ne s’agit plus ici de la vérité ou de la recherche d’une pastorale proche de la vie, mais d’une lutte pour le pouvoir. La procédure des fonctionnaires du Vatican à l’encontre du Père Wucherpfennig se moque de toute la peine que se donnent les prêtres sur le terrain pour répondre aux questions soulevées par le scandale des abus, ainsi que des efforts que fait une société démocratique pour être crédible.

Apprendre des jeunes

Si j’en crois mon expérience de jésuite et de directeur d’un établissement scolaire, un enseignement crédible ne repose pas sur un fonctionnement autoritaire. Cela vaut aussi pour les universités et les écoles catholiques. En tant qu’enseignants, nous devons faire face à la réalité de la vie des jeunes. Ignace de Loyola, le fondateur de l’Ordre des jésuites, écrivait que c’est en enseignant que les jésuites apprennent le mieux. Actuellement, dans le cadre du synode des jeunes à Rome, l’écoute ouverte et sans préjugés est privilégiée. Cela présuppose un désir d’apprendre, c’est-à-dire une attitude qui reconnaît qu’aucun clerc ne possède indiscutablement la vérité, mais que chacun doit se donner la peine d’entrer en débat.

L’assurance arrogante avec laquelle certains fonctionnaires du Vatican interviennent dans des questions sérieuses de théologie et de pastorale est obscurantiste. On est incapable d’empathie avec des jeunes qui se trouvent aujourd’hui devant des décisions complexes, parce qu’on ne le veut pas. Finalement, cette attitude est destructrice.

Voilà ce qui est malheureux dans le cas du Père Wucherpfennig. Qui mieux que lui, spécialiste du Nouveau Testament, connaît le trésor, l’école d’amour du prochain que nous avons dans l’Évangile? Mais, Seigneur, qu’en ont-ils fait? et continuent-ils à faire comme si de rien n’était?

(traduction Claire Chimelli)


p3JamesmartinJames Martin sjL’accueil des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT) au sein de l’Église est également évoqué dans le dernier supplément de notre revue, qui propose un extrait de l'article de Vatican News sur l'intervention du Père James Martin sj, rédacteur en chef d’America Magazine, en faveur d'un accueil bienveillant: «Dieu aime les personnes LGBT et chacun devrait en faire autant». À lire également la chronique du Père Étienne Perrot sj, extraite du site des jésuites de Suisse, qui réagit aux propos du Père Martin sj. S’il salue le message, il est d’avis qu’il faudrait aller encore plus loin.

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Dernier de Klaus Mertes sj