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vendredi, 23 novembre 2018 10:09

L’antiféminisme dans l’Église

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Partir«Église cléricale», «théologie patriarcale», «comportements antiféministes», «attitudes misogynes» qui criminalisent les femmes sans effleurer les partenaires masculins, autant de bonnes raisons que des politiciennes ouvertement féministes ont de se désolidariser de l’Église catholique romaine.

Dans un communiqué de presse du 19 novembre 2018, le pas a été franchi par «six féministes catholiques suisses alémaniques bien connues». Les signataires annoncent leur décision de «quitter l’Église» soit, pratiquement, de ne plus verser leur contribution ecclésiastique.

Un journaliste commente: «En tant que féministes, elles ne veulent plus appartenir à un tel système qui met leur crédibilité en jeu.» Je ne peux évidemment rien dire des motivations intimes qui justifient une telle décision. En revanche, je crois partager la sensibilité féministe qui milite pour ne pas faire supporter aux seules femmes le poids d’une morale patriarcale, surtout quand elle s’exprime à travers des propos qui choquent la sensibilité occidentale contemporaine en «imposant une morale sexuelle rigide et inhumaine». Un commentaire repris par tous les journaux prétend que «la goutte qui a fait déborder le vase a été la comparaison de l’avortement avec le recours à des tueurs à gages faite par le pape François le 10 octobre».

Au total, force est de constater que la théologie, dans ses implications morales, a une dimension politique parfaitement comprise par ces politiciennes qui ont quitté l’Église. (Voici plus de soixante ans, le cardinal Daniélou argumentait sur le fait que l’oraison posait déjà un problème politique.) Repérées comme catholiques, les signataires du communiqué de presse mettent effectivement en danger leur crédibilité de responsables politiques féministes… tant qu’elles ne se désolidarisent pas ouvertement (et le plus médiatiquement possible, politique oblige) d’une institution au relents antiféministes.

J’ignore si un tel esclandre fera bouger les lignes théologiques et morales des responsables de l’Église, ni s’il contribuera à décléricaliser l’appareil du pouvoir catholique-romain; mais je souhaite au moins qu’il rende attentif les hérauts romains et diocésains à l’impact de leurs paroles. Dans beaucoup de domaines, ils sont capables de finesse, alors pourquoi, dans ces domaines hyper-sensibles, montrer tant d’imprudence, je veux dire de manque d’intelligence des situations concrètes et des itinéraires toujours singuliers, au point de proférer de tranchantes condamnations?

Reste que, comme disait Nietzsche, s’il est facile (du moins dans nos pays) de quitter une institution, il est moins facile de se dés-imprégner des traditions spirituelles et caritatives qu’elle charrie. Mais ça, c’est certainement une bonne chose.

E. P.

Pour approfondir la question des femmes dans l’Église, commandez notre numéro 689, octobre-novembre-décembre 2018, consacré en grande partie à ce sujet. Écrire pour cela à


Nous partons

Six féministes catholiques suisses alémaniques bien connues ont décidé de quitter l’Église en raison du comportement anti-féministe persistant des clercs et de l’enseignement ecclésial. Leur décision a été prise après une longue lutte, indique un communiqué de presse publié le 19 novembre 2018.

«Nous partons!» Le message est signé par Cécile Bühlmann, ancienne conseillère nationale des Verts (LU), Anne-Marie Holenstein, ancienne directrice de l’Action de Carême, Monika Stocker, ancienne conseillère nationale et conseillère municipale de Zurich, Doris Strahm et Regula Strobel, théologiennes féministes, ainsi que Ruth-Gaby Vermont, ancienne conseillère nationale et membre du Conseil de l’Europe. Elles ne veulent plus appartenir à une institution qui nie les droits des femmes et les exclut de la hiérarchie ecclésiale, en raison de leur sexe et du pouvoir masculin.

Les six femmes, connues pour leur engagement dans l’Église et en politique, relèvent qu’elles n’ont pas fait ce pas facilement. Mais elles dénoncent la misogynie dans l’Église catholique-romaine comme un système séculaire dans lequel des hommes d’Église célibataires déterminent le corps et la sexualité des femmes en imposant une morale sexuelle rigide et inhumaine.

La goutte qui a fait déborder le vase a été la comparaison de l’avortement avec le recours à des tueurs à gages faite par le pape François le 10 octobre. Pour les signataires, cette déclaration choquante n’est pas seulement un lapsus verbal, mais montre une attitude fondamentale de l’Église: les femmes sont criminalisées, tandis que les hommes impliqués dans la grossesse ne sont pas rendus responsables. Cette déclaration du pape a provoqué une indignation internationale bien au-delà des cercles féministes. Une pétition en ce sens a également été soutenue, par exemple, par la Ligue suisse de femmes catholiques.

Dans les communautés locales, les femmes vivent certainement une «Église différente». Une Église dans laquelle les valeurs de la justice entre les sexes sont présentes. Mais «en tant que membres de l’Église catholique-romaine, nous ne pouvons plus nous tromper en prétendant que nous n’avons rien à voir avec le magistère romain et avec l’Église cléricale», note le communiqué. Les femmes affirment qu’en tant que féministes, elles ne veulent plus appartenir à un tel système qui met leur crédibilité en jeu. Les impôts ecclésiastiques qu’elles payent à ce jour seront versés directement à des projets sociaux à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Église. Elles expliquent ne plus vouloir soutenir ainsi «l’appareil du pouvoir catholique-romain avec sa théologie patriarcale».

Maurice Page, cath.ch

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