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mardi, 11 décembre 2018 09:17

Le cléricalisme et l’Église

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ChaussuresPapeLe pape a donné ses chaussures lors de la Marche Mondiale pour le Climat à Paris. Le pape François a introduit dans le débat public la question du cléricalisme. Il y voit une dérive majeure pour l’Église. Dès son intronisation, à sa première prise de parole, il donne le ton par un «bonsoir». Pas de grande invocation doctrinale ou religieuse, simplement la salutation d’un voisin à son voisin. Autre modification significative, les souliers noirs, des souliers de tous les jours, pas des pantoufles blanches, ni des mules pontificales. Il réside à Ste-Marthe, où il avait logé comme cardinal de passage, pas au palais du Vatican. Il mange dans le réfectoire commun, à la grande surprise des hôtes visiteurs. Rompre avec le faste, le cérémonial, l’évêque de Rome se veut près de son peuple, de la vie ordinaire. Il croit que c’est une dimension fondamentale de l’Évangile.

C’est aussi ce que nous trouvons dans un passage de l’épître à Tite de saint Paul, le seul texte du Nouveau Testament qui parle avec précision du choix de la personne qui doit présider une communauté chrétienne. Je suis toujours surpris qu’il soit si peu lu et commenté. Je le cite explicitement:

«Chaque candidat doit être irréprochable, mari d’une seule femme, avoir des enfants croyants, qui ne puissent être accusés d’inconduite et ne soient pas insoumis» (Ti 1,6).

Suivent une série de qualités humaines et morales exigées de cet homme, mais ce premier critère d’être un bon époux et surtout de réussir l’éducation de ses enfants me frappe par son bon sens. De longues années passées dans la formation des prêtres et la pastorale des familles me le font apparaître comme le critère le plus sûr et, il faut bien l’avouer, le plus exigeant qui soit dans le choix d’un responsable de communauté. Bien sûr, il n’est utilisable que de manière exceptionnelle dans un séminaire diocésain, qui n’accepte généralement que des jeunes gens célibataires, mais, du temps de saint Paul, il n’y avait pas de séminaires et il fallait choisir des Anciens, c’était le terme, parmi les membres de la communauté.

Plus précisément, le terme grec utilisé c’est presbuteroi, des gens d’«un certain âge». Il a donné le latin presbytre, dont est dérivé le français prêtre. Mais les historiens font remarquer que ce terme ne distinguait pas à l’époque entre prêtre et évêque. Cet Ancien que Paul demande à Tite d’établir dans chaque ville représente plutôt ce qui sera appelé plus tard l’episcopos, «celui qui regarde par dessus», le chef de communauté, qui sera entouré par la suite, quand les communautés grandiront, de prêtres et de diacres. Le tout constituant le clergé. Une hiérarchie ecclésiastique s’est ainsi constituée dans le cadre de l’Empire romain constantinien, devenu chrétien, en parallèle avec la stricte organisation de l’ordre juridique civil. Ce système s’est maintenu dans le monde byzantin et les Églises orientales marquées par l’influence déterminante du pouvoir impérial.

PontifexMaximus illustrationJacquesGrassetdeSaintSauveurPontifex Maximus, illustration Jacques Grasset de Saint SauveurDe son côté, après l’effondrement de l’Empire d’Occident sous l’envahissement des Germains, l’évêque de Rome s’est retrouvé seul dans la capitale, alors que l’empereur d’Orient continuait de régner à Constantinople. Il est devenu alors Pontifex maximus, le souverain pontife, un titre autrefois réservé à l’empereur. Mais le prestige de l’immense Empire romain s’était imposé aux Germains. Charlemagne, roi des Francs, voulut alors recréer l’Empire romain d’Occident sous le titre de «Saint empire romain germanique». Saint parce qu’il était chrétien, romain parce qu’il se voulait successeur du grand empire né à Rome en 753 avant Jésus-Christ, et germanique parce qu’il était dominé par les Francs qui avaient établi leur suprématie sur les autres ethnies germaniques, Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes et Lombards.

Cela donna à l’Église catholique romaine, qui avait opté pour les Francs encore païens contre les autres Germains le plus souvent ariens, une situation privilégiée. Charlemagne concéda au pape un territoire autour de Rome pour le protéger des incursions de l’empereur de Byzance et le pape couronna l’empereur et lui conféra le titre de roi des Romains. Le Moyen Âge occidental fut ainsi dominé par cette double hiérarchie, celle des «deux mains de Dieu», qui demeura symboliquement active jusqu’au XIXe siècle. Le dernier empereur couronné par le pape étant Napoléon à Paris en 1804 et son fils, l’Aiglon, qui fut nommé Roi de Rome.

Sauvegarder le domaine royal

Ajoutons à cela que dans tout l’Empire des évêques sont nommés comtes et deviennent ainsi des princes d’Empire. En Suisse, par exemple, le roi de Bourgogne confie le comté du Valais à saint Théodule et à sainte Catherine d’Alexandrie, à charge de l’évêque de Sion de le gérer. Il devient donc prince-évêque, une fonction qu’il va garder jusqu’en 1637. Il en va de même à Lausanne, Genève et Bâle. Ces prélats consacreront la plus grande partie de leur temps à cette charge temporelle. Ils sont d’ailleurs formés en droit civil et en droit canon (droit ecclésiastique). Une des raisons qui pousse le roi de Bourgogne à le faire, c’est que les évêques n’ayant pas de descendance légitime, ils ne peuvent pas constituer une lignée féodale, ce qui sauvegarde le domaine royal. C’est aussi la raison pour laquelle les empereurs et les rois tiennent à désigner les évêques, ce qui les met en conflit avec la papauté de Rome. Une conséquence en est aussi que, sous ce régime, le haut clergé appartient, à quelques exceptions près, exclusivement à la noblesse. L’identification de l’organisation ecclésiastique avec la structure nobiliaire est ainsi achevée.

La réforme du pape Grégoire à partir du XIe siècle vise à sauvegarder l’autonomie de l’Église dans la nomination des évêques et des abbés de grands monastères. Elle vise aussi la réforme du bas clergé. Le mariage des prêtres est interdit, et le modèle du moine, célibataire et séparé, est imposé. Cette réforme sera renforcée lors du concile de Trente (1545-63) par la création des séminaires diocésains, qui mettront plus d’un siècle à s’établir. Cela se fait en rivalité avec la Réforme protestante, qui s’oppose à la fois au pape et à l’empereur et impose le mariage des pasteurs. Les prêtres disposent dès lors d’une meilleure formation intellectuelle et religieuse, ils se distinguent davantage du peuple par l’habit et le statut social. C’est la situation qui va dominer aux XVIIIe et XIXe siècles.

SFrancoisXavierAu milieu du XXe siècle, on présente aux séminaristes deux figures principales, le curé d’Ars, Jean-Marie Vianey, et le jésuite François-Xavier. Le premier est le prêtre d’un petit village de la campagne française, peu formé, très pieux, d’un zèle pastoral débordant. Avec la messe, les sacrements, le catéchisme, l’école, les œuvres de bienfaisance et le confessionnal, il va attirer de telles foules qu’il faudra bâtir une voie de chemin de fer pour acheminer les pèlerins. Au XVIe siècle, le noble navarrais François de Xavier, devenu jésuite, s’embarque pour les Indes portugaises, baptise et catéchise sur la côte Malabar, part pour les Moluques, puis le Japon et meurt sur le rivage de la Chine. Ses lettres enthousiasment la jeunesse catholique européenne et déclenchent un mouvement missionnaire mondial. Deux personnalités, deux lieux et deux styles différents mais la même proximité avec le peuple et sa vie quotidienne.

La France, «terre de mission»?

En Europe, la guerre de 14-18, puis celle de 39-45 rapprochent le clergé du peuple, au travers des épreuves des tranchées et de l’occupation. Les théologiens s’inquiètent de la perte de contact avec le monde ouvrier, on parle de la France comme d’une «terre de mission». Les prêtres ouvriers tentent de franchir les barrières, l’expérience est condamnée. Le concile Vatican II relance le diaconat permanent, auquel est confié la présence dans les lieux de travail, et le souci de la solidarité. Mais l’écroulement du nombre des prêtres restreint la pastorale aux besoins stricts des paroisses. La société sécularisée n’a plus beaucoup d’atomes crochus avec la liturgie, la morale, la sensibilité chrétiennes. Le clergé minorisé se replie sur des positions défensives. L’Église a perdu dans plusieurs pays européens le lien vivant qu’elle entretenait avec le politique, le social, le culturel. Dans le monde universitaire et médiatique, son influence a fondu en quelques décennies. Elle ne s’impose même plus comme un partenaire majeur dans le domaine éthique et spirituel, ce qui est tout de même surprenant. Elle perd actuellement son autorité sur ses propres ouailles, en particulier sur les femmes qui représentaient autrefois son vivier naturel. Il vaut la peine de se demander pourquoi.

L’Église ne sait plus offrir Dieu parce qu’elle a perdu de son humanité, de sa présence au monde.

Une réponse est certainement l’obstacle que représente le cléricalisme. L’Église ne sait plus offrir Dieu parce qu’elle a perdu de son humanité, de sa présence au monde. Ce n’est plus l’alliance du pape et de l’empereur, du sabre et de la croix, du trône et du goupillon qui la menace actuellement, c’est la faiblesse de son incarnation. Pour que Dieu puisse s’incarner, il faut qu’il trouve des femmes et des hommes vivants et croyants, capables de vivre en société et en famille, d’élever des enfants et de leur transmettre la foi. Comme ces Anciens éprouvés que Paul demandait à Tite de mettre à la tête des communautés d’Asie mineure et de Grèce.

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