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mardi, 20 août 2019 11:22

Immersion et imitation des clés pour devenir disciple

© Ben White / UnsplashLe missionnaire et sa mission suscitent beaucoup d’émotions, d’interprétations… et de malentendus. Comment s’y retrouver et, à fortiori, comment répondre à l’appel du pape d’organiser un Mois missionnaire extraordinaire en octobre 2019? La bonne nouvelle, c’est que François s’est clairement positionné sur la question. Et avant lui saint Paul, et encore avant, le Christ!

Matthias Rambaud est coordinateur romand du Mois missionnaire extraordinaire chez Missio (Œuvres pontificales missionnaires en Suisse). Il est aussi entrepreneur et agent pastoral en formation.

Beaucoup imaginent le missionnaire à cheval et vêtu de blanc, un chapeau colonial vissé sur la tête. Pour d’autres, il fait du porte à porte ou alors harangue les passants du haut d’une chaise, Bible à la main. Certains affirment être missionnaires en soutenant par des dons les pays les plus nécessiteux ou simplement leur curé qui est en mission «pour tout le monde». D’autres disent être en mission au sein de leur travail ou par leur prière, en silence… Les manières de vivre et de penser la mission au quotidien sont très variées, ce qui peut mener parfois à de gros malentendus!

Regarder du côté de Rome peut permettre de démêler ces nœuds. Le pape François est acquis à la cause missionnaire. Il martèle partout où il va que l’Église est en mission. Il affirme non seulement, à la suite de ses prédécesseurs, que la « cause missionnaire doit avoir la première place »,[1] mais aussi que ce mandat nous concerne de près, parce que la mission est notre identité la plus profonde de baptisés.

En d’autres mots, nous sommes tous concernés par la mission, car elle est ce que nous sommes. «Je suis toujours une mission ; tu es toujours une mission; toute baptisée et tout baptisé est une mission. Celui qui aime se met en mouvement, il est poussé en dehors de lui-même, il est attiré et attire, il se donne à l’autre et tisse des relations qui engendrent la vie.»[2] La mission fait partie pour le pape de l’identité personnelle et communautaire du chrétien, à assumer et à cultiver!

Le thème de la mission chez François va cependant de pair avec le rejet du prosélytisme, qui revient quasi systématiquement sur le tapis: «Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme (…) qui conduit toujours à une impasse, mais par notre manière d’être avec Jésus et avec les autres. Ainsi le problème n’est pas d’être peu nombreux mais d’être insignifiants, de devenir un sel qui n’a plus la saveur de l’Évangile (…) ou une lumière qui n’éclaire plus rien (cf. Mt 5,13-15).»[3]

La formation chez Matthieu

La finale de l’évangile de saint Matthieu (28,19-20) livre l’énoncé de la mission de l’Église: «Allez, de toutes les nations formez des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et en leur enseignant à observer tout ce que je vous ai prescrit.» Dans le texte grec, seul le verbe former (mathèteusate) est à l’impératif. De quoi déduire que la formation des disciples est le socle sur lequel toute orientation missionnaire devrait pouvoir se construire. Le mot disciple (en grec mathetes) d’ailleurs apparaît 264 fois dans le Nouveau Testament ! Dans le contexte de la Grèce antique, il correspond à celui d’un apprenti qui suit un Maître et qui apprend de lui en travaillant et agissant à ses côtés.[4]

Serait-ce là une invitation à revisiter nos pratiques pastorales et la formation de nos missionnaires? Une invitation plus personnelle à nous interroger sur notre propre vie de disciple missionnaire, qui est de former quotidiennement des disciples, tout en se laissant soi-même former à l’école du Maître?

Repartir du style de Jésus

La première des quatre dimensions essentielles du Mois missionnaire d’octobre 2019 proposées par le cardinal Filoni, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, est précisément la rencontre personnelle avec Jésus-Christ. Viennent ensuite le témoignage, la formation et la solidarité missionnaires.

La rencontre, ou le renouvellement de cette rencontre, est aussi proposée de prime abord par François, au tout début de son exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Le pape nous invite à entrer dans une intimité de relation avec le Christ. À regarder, au cœur de cette relation privilégiée, comment le Christ s’y prend pour nous former à exercer sa mission et comment du coup, à notre tour, nous pouvons faire de la formation des disciples une priorité.

En scrutant avec cette clé de lecture la vie publique de Jésus dans les évangiles, son style de formation saute aux yeux: il choisit un petit nombre d’hommes (Lc 6,13) qui vivent une grande proximité avec lui, et il tisse des relations d’amitié profonde avec Marthe, Marie et Lazare. Ces disciples peuvent le voir à l’œuvre au quotidien, le connaître, l’aimer et l’imiter… Ils l’entendent parler de l’amour du Père, le voient être en relation avec lui, pleurer Lazare et le ressusciter, annoncer le Royaume de Dieu, guérir les malades, relever les plus faibles et fréquenter les infréquentables, les non-juifs et les étrangers, aimer chacun là où il en est, expulser les démons, manger avec les pécheurs et donner sa vie jusqu’au bout…

Si Jésus investit du temps pour quelques-uns, les foules ne sont pas pour autant négligées, comme on le voit dans l’épisode de la multiplication des pains (Jn 6,1-16), mais son niveau d’implication relationnelle dans la formation y est moindre comparé à celui qu’il entretient avec les apôtres qui iront, pour lui, avec l’appui du Saint-Esprit, jusqu’aux confins de la terre.

Nous pouvons aussi constater que Jésus appelle dès le début les Douze à venir à sa suite (Jn 1,43), à demeurer avec lui et à devenir des «pêcheurs d’hommes» (Mt 1,17). Il leur met ainsi immédiatement le pied à l’étrier à ses côtés, tout en leur promettant une «formation» sur le terrain, en immersion. Il est «le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14,5-6) et ils n’ont qu’à le voir vivre et agir au milieu d’eux pour apprendre à «connaître les mystères du Royaume de Dieu» (Luc 8,10).

C’est, enfin, uniquement après trois ans de vie à ses côtés que le Christ envoie officiellement ses protégés en mission: «Allez, de toutes les nations formez des disciples…» Puis il leur promet d’être avec eux «jusqu’à la fin du monde».

C’est une bonne nouvelle pour tous les baptisés! Pas besoin de diplôme pour être missionnaire. Par l’Esprit saint, Jésus continue à nous former en chemin. Nous sommes un peu comme les pèlerins d’Emmaüs, en chemin avec le Maître qui nous raconte tout ce qui le concerne dans les Écritures et que nous reconnaissons à la fraction du pain!

Favoriser l’imitation

Si l’on continue à scruter le Nouveau Testament, il est impressionnant de voir combien saint Paul a lui-même reproduit et incarné le style de Jésus. Paul a construit l’ensemble de sa vie de missionnaire et de fondateur de communautés chrétiennes à partir du modèle formatif du Maître de la mission. Il appréhende lui aussi la formation de disciple comme un apprentissage en immersion, dans un contexte relationnel privilégié où l’imitation apostolique est de mise. Il ne s’en cache pas et il est particulièrement direct lorsqu’il demande aux Corinthiens d’être ses «imitateurs » comme il l’est lui-même du Christ (1 Co 11,1 et 4,16). Il donnera ce même type d’enseignement aux Philippiens (Ph 4,9) et à bien d’autres… Paul demande du reste non moins de sept fois aux disciples qu’il forme de reproduire ce qu’il accomplit lui-même en leur présence, alors qu’il imite le Christ. C’est dire l’importance pour chaque chrétien de s’entourer d’aînés dans la foi, de praticiens aguerris qu’il puisse imiter.

Par notre baptême, nous sommes en effet tous appelés à être des disciples missionnaires au sein d’un seul et unique Corps, celui du Christ, et à nous équiper pour ce faire en chemin. Chacun portant un appel particulier pour un contexte (quartier, travail, etc.), une terre (continent, pays, etc.) et pour un peuple que Dieu a mis dans notre cœur et au milieu duquel il nous envoie. Nous sommes tous uniques et indispensables pour l’articulation de cette Église «qui se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres. Le pied aurait beau dire : ‹Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps›, il fait cependant partie du corps. L’oreille aurait beau dire: ‹Je ne suis pas l’œil, donc je ne fais pas partie du corps›, elle fait cependant partie du corps» (1 Co 12,15-16). 

[1] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium §15, Vatican, 24 novembre 2013.
[2] Pape François, Message pour la Journée Mondiale des Missions 2019, Vatican, 9 juin 2019.
[3] Pape François, Rencontre avec les prêtres, les religieux, les consacrés et les membres du Conseil œcuménique des Églises, cathédrale de Rabat, dimanche 31 mars 2019.
[4] Voir Bobby Harrington, Discipleship that fits, ebook de discipleship.org.


Faut-il rester ou partir au loin ?

Beaucoup de nos vallées suisses ont produit leurs propres missionnaires, partis en Afrique, en Asie, etc. Ces grandes figures sont souvent admirées par plusieurs générations. Mais alors, si nous voulons pleinement vivre notre identité de disciples missionnaires, reçue à notre baptême, devons-nous partir au loin?

L’exhortation apostolique Maximum Illud de Benoît XV, dont le Mois missionnaire extraordinaire célèbre le 100e anniversaire, aide à répondre à la question : chaque Église locale est capable de produire ses propres missionnaires. À partir de ce texte, le clergé missionnaire européen s’est retiré petit à petit desdites terres de mission, pour laisser la place à un clergé missionnaire local, et il en va de même aujourd’hui, ici ou ailleurs!

Lorsque je suis arrivé chez Missio, j’ai été catapulté au beau milieu d’un réseau d’échange et de partage à envergure internationale. Lors d’un repas, alors que chacun énumérait ses terres de mission, la question que je redoutais m’a été posée: «Et toi, Matthias, où es-tu parti?» À mon grand étonnement, la réponse s’est imposée d’elle-même: «Je ne suis pas parti au loin, comme chacun d’entre vous, mais je suis aussi un missionnaire et la Suisse est ma terre de mission. J’ai découvert grâce à vous que nous avons la même passion et le même ADN missionnaire, quel que soit notre contexte d’application.» 

Le pape François d’ailleurs a demandé à toute l’Église que le mois d’octobre de cette année soit une occasion « de susciter une plus grande prise de conscience de la missio ad gentes» -la mission dans toutes les nations- et «de reprendre avec un nouvel élan la transformation missionnaire de la vie et de la pastorale».

Pourquoi alors installer une telle tension entre la communauté locale et l’Église dispersée à travers le monde? Ne serait-ce pas plutôt là une invitation à un vrai changement de culture dans nos communautés locales, afin de décloisonner la mission pour qu’elle ne soit plus réservée à certains héros partis au loin ou à des professionnels de la pastorale? Pour qu’elle devienne bel et bien l’identité et la priorité de chacun avec comme quartier général la paroisse, «communauté de communautés, sanctuaire où les assoiffés viennent boire pour continuer à marcher, et centre d’un constant envoi missionnaire».[1] - M. R. 

 [1] Pape François, Exhortation catholique Evangelii Gaudium §28, Vatican, 24 novembre 2013.

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