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lundi, 30 septembre 2019 12:09

Pérou, Brésil, les femmes, avenir de l’Église

Soeur Rose MarySoeur Rose Mary © Jean-Claude GerezLe Synode pour l’Amazonie se tiendra à Rome du 6 au 27 octobre 2019. Plus de 200 évêques de la région vont évoquer le destin d’une Église catholique en perte de vitesse dans une zone plus que jamais menacée par une destruction irréversible. Dans la ville d’Altamira, au cœur de l’État du Para (Pérou), face à l’avancée des évangéliques, l’Église catholique s’appuie sur les laïcs, en particulier sur les femmes, pour reconquérir les fidèles. C'est même grâce aux femmes que l’Église reste vivante en Amazonie, de l'avis de Sœur Rose Bertoldo, de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie, au Brésil, auditrice choisie par le Vatican pour participer au Synode. Deux reportages, signés Jean-Claude Gérez.

Sœur Rose Mary vient de quitter la route goudronnée pour emprunter à pied un chemin de terre rouge pentu, rendu glissant par l’écoulement d’un ruisselet d’eau verdâtre et malodorante. De part et d’autre, s’alignent des maisons aux briques apparentes, couvertes de toits de tôle ondulée.

«Nous venons dans ce quartier défavorisé d’Altamira en moyenne deux fois par semaine, explique cette religieuse franciscaine. C’est important de visiter les personnes dans leurs maisons car les gens ont soif de Dieu et ils veulent qu’on aille à leur rencontre. Ces dernières années, poursuit la religieuse, beaucoup de fidèles se sont éloignés de l’Église catholique parce qu’elle s’est éloignée d’eux. Quant aux prêtres, ils sont trop peu nombreux pour couvrir tous les besoins de la ville».

C’est pour toutes ces raisons que depuis août 2018, six religieuses de la congrégation des franciscaines d’Ongolstadt se sont vues confier la gestion d’une aire pastorale composée de deux quartiers -Ayrton Senna 1 et 2- et regroupant près de 8000 personnes. Outre la gestion et la dynamisation pastorale, les sœurs peuvent également administrer les sacrements du baptême et du mariage. Cette initiative est une première dans une région amazonienne où l’Église catholique est à la recherche de nouvelles manières d’évangéliser. Un thème qui sera largement évoqué lors du Synode. (Voir choisir n°693)

Deux prêtres pour 120’000 habitants

Bienvenue à Altamira, située dans l’État du Para, à 800 kilomètres au sud du delta du fleuve Amazone. Cette ville de 120’000 habitants a vu sa population croître de plus de 30% avec la construction, en 2012, du méga complexe hydroélectrique du Belo Monte, le troisième le plus important au monde. Attirés par des promesses de vie meilleure, des milliers de personnes, venues de coins reculés de l’Amazonie et d’autres États du Brésil, vivent pourtant aujourd’hui dans des conditions de misère et de violence. Altamira abrite également le siège de la prélature du Xingu, du nom de l’affluent du fleuve Amazone.

«Ce diocèse est l’un des plus vastes du monde puisqu’il s’étend sur plus de 370’000 km2, rappelle Mgr João Muniz Alves, l’évêque nommé en décembre 2015 en remplacement de Mgr Erwin Kräutler, désormais évêque émérite. Or pour l’ensemble de ce territoire, nous ne disposons que de 30 prêtres et d’une cinquantaine de religieuses.» Une absence de missionnaires qui se ressent cruellement à Altamira, qui ne compte que deux curés et une petite dizaine de religieuses.

«Ici, l’Église c’est le peuple»

Le Père Rodolfo est l’un de ces prêtres. Ce missionnaire de la Société du Verbe divin, originaire du Timor oriental, n’est présent que depuis deux ans dans la région, mais il a déjà une idée très claire de la spécificité de l’Église catholique en Amazonie. «C’est une région avec une très forte religiosité populaire, assure-t-il. Ici, l’Église c’est le peuple. Un peuple qui s’organise, se célèbre, à sa manière.»

C’est sa perception de ce contexte singulier qui a poussé Mgr João Muniz Alves à lui confier rapidement la responsabilité d’une vaste aire pastorale, composée de deux zones de relogements urbains collectifs (RUC) et abritant environ 15’000 personnes. «Ces quartiers ont été érigés dès le début de la construction du barrage pour y reloger les familles qui vivaient jusqu’à lors sur les bords du Rio Xingu, et qui se trouve désormais sous les eaux, détaille le prêtre. Aujourd’hui, les RUC sont pauvres et gangrénés par le trafic de drogue et la violence. Dans ce contexte, les besoins de spiritualité sont réels et les gens attendent essentiellement un accueil pastoral, que ce soit à travers la célébration, une visite ou la catéchèse.» Quitte, en l’absence de missionnaires prêtres ou religieuses, à confier certaines missions à des laïcs.

«Des Églises évangéliques à chaque coin de rue»

Quartier de Notre Dame de Fatima-Agua Azul, RUC de Jatoba, dans le nord d’Altamira. Derrière un imposant portail métallique abritant une maison modeste, s’élèvent des chants d’enfants. Sous la véranda, chapelet en main, une quinzaine de catéchistes âgés de sept à douze ans sont assis en arc de cercle face à Maria da Conceiçao, la quarantaine, visage doux et regard souriant. «Je suis catholique, impliquée dès mon plus jeune âge dans la vie paroissiale, explique cette enseignante de profession. Comme beaucoup, j’ai dû quitter ma maison qui se trouvait au bord du Rio Xingu lorsqu’a débuté la construction du barrage. Le quartier était insalubre mais il y avait une chapelle en bois construite par les riverains et un prêtre y venait tous les dimanches pour célébrer la Parole.»

Aujourd’hui, le contexte a changé. «En l’absence de missionnaires et avec une chapelle éloignée des maisons, l’immense majorité des habitants du quartier préfèrent fréquenter les Églises évangéliques, car il y en a une à chaque coin de rue, souffle Maria da Conceiçao. En plus, les pasteurs de ces Églises n’hésitent pas à organiser des opérations de ramassage avec des mini-vans pour aller chercher les fidèles chez eux. Du coup, il devient même difficile de convaincre les parents de nous confier leurs enfants pour le catéchisme.»

Féminisation du ministère

Dans le quartier récent d’Ayrton Senna 1 aussi, l’Église part de loin. «J’habite ce quartier depuis six ans, explique Luzia da Costa, une sexagénaire aux mains noueuses. Et pendant cette période, l’Église catholique n’a rien fait. D’ailleurs, on entend souvent dire: J’ai cessé d’être catholique parce que je ne sais pas où aller. Donc je fréquente l’Église évangélique près de chez moi.» Pourtant, depuis que l’aire pastorale a été confiée aux sœurs franciscaines, Dona Luzia, comme l’appellent ses amies, a vu le changement. «Avec les visites des religieuses qui viennent célébrer la Parole dans les maisons, le nombre de fidèles a nettement augmenté.» En particulier, les femmes, qui voient d’un très bon œil cette féminisation du ministère.

PrièrePrière dans un quartier défavorisé d’Altamira. © J. C. GerezIl suffit d’observer l’accueil chaleureux dont bénéficie Sœur Rose Mary, à son arrivée dans la maison d’une des fidèles du quartier, pour y prier la Vierge Marie. Avant de s’asseoir en cercle sur des chaises en plastique, la vingtaine de femmes venues des rues voisines donnent une chaleureuse accolade à la franciscaine. «Avant, tout passait par le prêtre. C’est bon de voir que le leadership peut être assumé par une femme. Parce qu’on s’identifie. Et puis on parle le même langage. Si on a des problèmes, une religieuse vient nous voir, on se parle… C’est une mère, une amie, une partenaire. Que les sœurs aient plus de responsabilités, c’est vraiment très bien!» conclut Dulce, sous les applaudissements de ses camarades.

Altamira, un laboratoire

Pour beaucoup de fidèles comme pour la hiérarchie, féminiser l’Église catholique constitue l’une des clés de l’avenir de l’institution en Amazonie. «Que ce soit dans les zones reculées ou en milieu urbain, les femmes, notamment les laïques, sont souvent celles qui assurent l’évangélisation», assure Mgr João Muniz Alves. (Lire à ce sujet Véronique Lecaros, Une force oubliée, un article de notre dossier Église, nom féminin, choisir 689, octobre-décembre 2018.)

Le prélat est d’ailleurs convaincu qu’Altamira pourrait constituer une sorte de laboratoire ecclésial pour certaines nouveautés dans l’Église. C’est en tout cas ce qu’il exprimera à Rome, au Synode. En attendant, Sœur Rose Mary va continuer d’arpenter l’aire pastorale. «L’Église s’est longtemps reposée sur ses lauriers. Aujourd’hui, il faut que nous reprenions notre bâton de pèlerin et que nous allions porter la parole de Dieu à ceux et celles qui en ont besoin.» Quitte à emprunter les chemins de terre pentus et glissants.


Brésil, une Église vivante grâce aux femmes

Sœur Rose Bertoldo, de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie, figure parmi les auditeurs et auditrices choisis le 21 septembre 2019 par le Vatican pour participer au Synode pour l’Amazonie. Cette religieuse travaille en Amazonie dans la lutte contre l’abus et l’exploitation des enfants et adolescents et contre le trafic de personnes. Elle estime que les hommes doivent reconnaître le rôle des femmes au sein de l’Église.

Dans une interview publiée sur le site de la Faculté jésuite brésilienne Vale do Rio dos Sinos, à Sao Leopoldo, dans l’État du Rio Grande du Sud, Sœur Rose Bertoldo déclare qu'elle se fera au synode «la voix de ceux et celles qui se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité, qui sont victimes d’abus, d’exploitation sexuelle et de trafic de personnes». Une réalité particulièrement présente parmi les migrants et de plus en plus fréquente dans la région pan-amazonienne. La religieuse insiste sur le fait qu’il est nécessaire «d’investir davantage dans la formation de responsables et d’éducateurs qui se destinent à ce travail de prévention avec la jeunesse (...) car si la vie religieuse n’embrasse pas ces causes, elle va laisser s’affaiblir sa prophétie».

Évoquant les femmes, Sœur Rose Bertoldo affirme qu’elles ont toujours joué un rôle fondamental au sein de l’Église: «S’il n’y avait pas les femmes, nous n’aurions pas l’Église que nous avons aujourd’hui, une Église vivante!» D’où l’importance du Synode pour l’Amazonie, «qui doit contribuer à donner une plus grande visibilité aux femmes et qui doit faire en sorte que les hommes reconnaissent le rôle des femmes au sein de l’institution. (...) On ne peut pas penser une Église sans cette présence des femmes, principalement ici, en Amazonie.»

Pour toutes ces raisons, la religieuse espère que les femmes présentes au Synode pour l’Amazonie aideront «à penser à des stratégies sur la manière de protéger la vie, principalement là où elle est la plus blessée». Elle souhaite donc que la réunion au Vatican puisse être un moment de lutte «pour une Église plus ministérielle et moins cléricale», une Église «qui se préoccupe de la protection de la vie».

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