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dimanche, 01 septembre 2019 14:46

Jacques Loew de conversion en conversion

D’abord athée, puis prêtre-ouvrier et fondateur de la Mission ouvrière saints Pierre et Paul ainsi que de l’École de la foi, Jacques Loew fait partie de ceux qu’on a appelés «les grands convertis du XXe siècle». Quel bilan édifiant pouvons-nous tirer d’une telle aventure humaine et chrétienne?

Claude Ducarroz (Fribourg, prêtre, président de la Fondation Jacques Loew) est prévôt émérite du Chapitre cathédral de Fribourg. Il a dirigé l’École de la foi et est engagé dans le Groupe des Dombes. Il a nombre d’articles et d’ouvrages à son actif. Il est notamment co-auteur de Prêtres… Et Demain? (2019).

Cet homme avait tout pour être heureux. Fils unique d’une famille bourgeoise, entre le soleil de Nice et des études de droit à Paris, Jacques Loew se découvre à 24 ans «complètement athée… puisqu’avant sa naissance rien n’existe pour l’homme et qu’après sa mort rien n’existe non plus». Un athéisme hédoniste, avec un grand creux à l’intérieur. Un séjour à Leysin, pour cause de maladie, sera un peu son chemin de Damas, complété par quelques jours à la Chartreuse de la Valsainte, en Gruyère.

La beauté de la nature le conduit à l’orée de la foi, le témoignage des moines en pleine eucharistie plante en lui cette réflexion décisive: «Ou bien ces hommes sont fous ou bien c’est moi qui suis aveugle.» Il prie, médite l’Évangile et entre dans l’univers de la foi par la porte royale de l’amour de Dieu. Encore doit-il «avaler l’Église,» lui qui a été placé à la catéchèse protestante pour échapper aux griffes des curés. Finalement, il choisit de rester là où l’on peut dire en vérité les paroles de l’eucharistie, dans l’Église catholique, malgré ses lourdeurs historiques.

La ferveur du néophyte

René dans la foi au Christ vivant et dans la communion de l’Église, le jeune converti s’annonce chez les dominicains en 1934. Il goûte à fond la théologie thomiste et devient prêtre en 1939 sans se douter qu’une nouvelle conversion l’attend. L’Église de France est alors soulevée par une volonté de nouvelle évangélisation en milieu ouvrier. Entraîné par le Père Lebret, fondateur d'Économie et Humanisme, Jacques Loew devient le premier prêtre-ouvrier de Marseille. Ce fils de la bourgeoisie partage la vie des dockers. Dans la solidarité sur les quais, il prend conscience de plusieurs misères dans ce peuple: la violence de l’injustice, le manque de considération, de tendresse, de sens à la vie. Treize ans durant, sa vie de prêtre sera intimement mêlée à celle des prolétaires.

Deux rencontres illuminent cette recherche et cette expérience originales. En 1942, c’est un premier contact avec Madeleine Delbrêl, elle-même convertie, qui s’est installée en banlieue rouge de Paris, à Ivry, pour témoigner de l’Évangile en pleine pâte marxiste. Puis en 1951, c’est la rencontre avec Mgr Montini, le futur pape Paul VI, sympathisant des initiatives pastorales venues de France. Mais en 1954, le couperet tombe de Rome. Il est mis fin brutalement à l’expérience des prêtres-ouvriers, ce qui provoque une grave crise parmi les concernés. Des prêtres quittent le ministère pour demeurer avec les ouvriers, d’autres finissent par obéir, la mort dans l’âme.

Le Père Loew réagit par une résilience douloureuse mais positive. Il a l’intuition qu’il faut inventer autre chose pour garder la solidarité avec le monde ouvrier, tout en évitant les pièges d’une sécularisation politique du ministère. En 1955 déjà, il fonde la Mission ouvrière saints Pierre et Paul, la MOPP. Dans les milieux populaires, il lance des équipes à forte densité évangélique: partage de vie avec les plus pauvres, intense animation spirituelle et liturgique. De telles mini-communautés sont fondées aux quatre coins du monde, dans ces périphéries devenues chères au pape François. La MOPP, c’est la réponse prophétique, mais aussi ecclésiale, à l’épreuve de l’interdiction des prêtres-ouvriers en France. Un rebondissement réussi, une nouvelle conversion.

Les piliers de l’École de la foi

À l’affut des besoins de l’Église en ses profondeurs, le Père Loew a l’intuition que l’avenir du Concile se joue au niveau d’un retour aux fondamentaux de la vie chrétienne. À partir de la redécouverte catholique de la Parole de Dieu -désormais largement diffusée dans et hors de la liturgie-, il faut constituer de nouveaux levains d’Évangile pour la pâte humaine et ecclésiale. La mission se fera à partir de petites communautés-signes, ce qui correspond d’ailleurs à l’évolution en cours parmi les institutions religieuses. Les grandes structures se fractionnent en mini-communautés. Mais encore faut-il accompagner et nourrir les membres. C'est la fondation de l’École de la foi à Fribourg, dont la théologie universitaire offre alors une opportunité de formation plus sereine qu’en France, en ces lendemains de 1968.

Depuis, fidèle au projet de son fondateur, l’École de la foi a formé près de 2000 «disciples» -expression chère à Jacques- à partir d’un enseignement biblique et théologique sérieux, une vie spirituelle et liturgique savoureuse et surtout une vérification de l’acquis dans les profondeurs d’un partage communautaire. Aujourd’hui encore, des laïcs, des religieux/ses et des prêtres en témoignent avec bonheur. Si l’École de la foi de Fribourg a dû malheureusement cesser ses activités en 2006, une autre a pris le relais en Côte d’Ivoire, à Yamoussoukro.

Mais ce n’est pas encore pour le Père Loew la fin des conversions. Pas facile pour un fondateur de laisser son œuvre entre d’autres mains. Jacques Loew l’a fait pour la MOPP en 1973, et en 1981 pour l’École de la foi en la confiant à un couple diaconal, Noël et Josiane Aebischer. D’anciens désirs remontent à la surface de son âme. La vie communautaire en monastère? La vie érémitique dans la solitude? Sa recherche personnelle est laborieuse. Cîteaux, Tamié, des ermitages dans les Pyrénées, il finit par trouver son ultime nid spirituel parmi les moniales trappistines d’Echourgnac, dans le Périgord. C’est là qu’il se remet entièrement à Dieu, le 14 février 1999, à l’âge de 91 ans.

Des traces vives

Il nous reste aujourd’hui des traces signifiantes de ce riche parcours. D’abord la foi. Elle ne fut pas pour lui un héritage, mais une irruption à partir du vide. Dans une société de plus en plus sécularisée, les croyants par tradition sont moins nombreux. Nos contemporains sont ou seront de plus en plus des commençants ou des recommençants. Relire Jacques Loew ne peut qu’encourager les novices de l’Évangile.

Une fois reconnu le visage humain et divin de Jésus au terme d’un voyage intérieur, c’est une autre histoire qui commence, la rencontre inévitable avec une Église fort imparfaite. Par les temps qui courent, il semble que les distances d’avec l’Église soient plus spontanées que les communions avec cette institution d’apparence trop humaine. Dans l’itinéraire de Jacques Loew, les rencontres personnelles ont compté davantage que les prestiges historiques des structures. Où sont de nos jours ces témoins significatifs? Ne sommes-nous pas tous invités, malgré nos faiblesses, mais dans la transparence de quelque béatitude évangélique, à servir de relai pour des cœurs assoiffés d’amour ouvert sur la vraie vie?

Puis, quand l’homme et le chrétien finissent par coïncider, comment choisir sa voie pour avancer sur le chemin du salut? Il faut avoir le cœur accroché à l’espérance, car l’itinéraire peut réserver bien des surprises, et la souplesse qui permet plusieurs vocations successives, car naviguer avec Dieu n’est jamais chose tranquille. Il faut aussi donner la main aux laissés-pour-compte au bord de la route. Le bourgeois Jacques Loew a toujours préféré la fréquentation des pauvres et «des derniers» pour découvrir le lieu humain et ecclésial où Dieu lui donnait rendez-vous. C’est dans cette proximité qu’il a trouvé les terrains de sa mission, en même temps que le bonheur d’être homme. Et aussi la véritable Église de Jésus, autrement dit là où bat le cœur eucharistique du Christ et où souffle le vent imprévisible de l’Esprit.

Ultime parole, ultime silence

Enfin, il n’y a de transmission qui aide à vivre que celle qui s’offre à partir d’une vie entièrement donnée. Jacques Loew s’est beaucoup donné, non sans peine. Trouver le terrain d’atterrissage final pour déposer son destin dans les mains de Dieu fut une quête ardue. On ne se quitte jamais sans arrachements quand il s’agit de se laisser absorber par l’Amour, jusqu’au bout.

Le dernier mot fut son silence, à l’ombre des monastères de contemplation, quand tout est déjà dit, quand il ne reste plus qu’à offrir le dernier sourire, le dernier soupir. Après avoir vécu tant bien que mal avec Jésus au milieu des hommes, nul ne peut faire l’économie de mourir un peu comme lui, avant de passer dans la Pâque avec lui. Pas seulement mourir en communiant, mais aussi communier en mourant. Ou, selon Jacques, «comblé de n’être jamais rassasié de te désirer, et de commencements en commencements, par des commencements sans fin, j’irai». 

Jacques Loew
Le bonheur d’être homme. Entretiens avec Dominique Xardel
Paris, Le Centurion 1988, 380 p.

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