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lundi, 09 janvier 2017 14:54

L’Evangile de la nuit

"L'agonie dans le jardin" d'Andrea MantegnaDans l’histoire du Salut, que de personnes surgissent, que d’évènements surviennent... dans la nuit! Rien qu’à ausculter les évangiles, la moisson est abondante.

Comme au premier commencement («Il y eut un soir avant le matin», Gn 1,5), les commencements du Sauveur Jésus sont marqués par l’expérience de la nuit. Joseph accueille sa bonne nouvelle «en songe». La famille migrante de Nazareth cherche un logement pour la nuit de la naissance, et finalement c’est la soupente d’une étable obscure qui sert de berceau pour l’enfant. Dans cette même nuit, des bergers gardant leurs troupeaux découvrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire, pour leur plus grande joie. Et quand vient le tour des mages, c’est encore une étoile dans la nuit qui leur indique l’endroit où est l’enfant.

Mais celui-ci n’est pas au bout de ses peines. Le sauveur est sauvé par son père Joseph, qui prend avec lui, «de nuit», l’enfant et sa mère pour se retirer en Egypte. Plus tard, ses parents le chercheront tout inquiets durant trois jours et trois nuits, avant de le retrouver au temple de Jérusalem. Ainsi donc, la nuit est la compagne fidèle de ces commencements christiques. Dieu vient au jour dans la nuit, Dieu nous met au jour dans nos nuits, en les rendant lumineuses par sa présence, humble et pauvre, comme un enfant qui vient de naître pour le salut de tout le peuple.

Les nuits de Jésus
Les nuits n’ont pas manqué dans la vie de Jésus, l’envoyé du Père. Pour inaugurer sa mission, il passe «quarante jours et quarante nuits» à jeûner dans le désert. Au terme desquels, c’est la parole de Dieu –«lumière dans la nuit»- qui lui permettra de triompher des tentations. L’aventure messianique peut alors commencer, encore par une nuit.
Avant de prendre des décisions importantes, Jésus s’en va dans la montagne pour prier, et «il passe toute la nuit à prier Dieu» (Lc 6,12). Les fruits de cette communion nocturne avec son Père sont aussitôt servis et goûtés: il appelle les douze apôtres, il les emmène dans la plaine pour les associer à son ministère au milieu d’une foule immense. Et là, il guérit les malades et proclame la bonne nouvelle: «Heureux... heureux...» Comme chrétiens appelés par le Christ, comme baptisés envoyés pour annoncer l’Evangile à toute la création, nous sommes tous les enfants de cette nuit de prière, là-haut sur la montagne. Dans cette prière, Jésus nous a engendrés à notre mission pastorale.
La nuit, ce peut être aussi la peur, le danger, le découragement, y compris dans les expériences apostoliques. Tandis que Jésus passe la nuit à prier Dieu à l’écart (cf. Mt 14,23), ses disciples affrontent une tempête dans une barque battue par les vagues. Vers la fin de la nuit, Jésus les rejoint en marchant sur la mer. On comprend qu’ils l’aient pris pour un fantôme. Quelques brèves paroles suffisent à tout calmer: «Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur.» Et Jésus, comme à Pierre, continue de nous dire: «Viens.» Dans nos nuits noires, la parole de Jésus nous rejoint encore pour susciter notre confiance. C’est aussi le temps de la prière pour exprimer notre foi. «Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.»
Encore une autre nuit. Même scenario, ou presque. Cette fois-ci, Jésus est dans la barque avec ses amis. En traversant le lac de nuit, une bourrasque menace de submerger le frêle esquif. Jésus dort sur un coussin. On le réveille. C’est peut-être aussi cela, la prière dans la nuit de nos peurs. Jésus ramène le calme, mais sa question demeure pour nous: «Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi ?»
On aurait tort d’associer à Jésus les seules nuits tumultueuses. Certaines étaient même agréables. À Béthanie, Jésus passait souvent la nuit auprès de ses amis. On sait qu’il y appréciait les repas, qu’il s’y reposa après avoir chassé les vendeurs du temple (Mt 21,17), qu’il goûtait là le partage et l’amitié. Quant au mont des Oliviers, après avoir consacré toute une journée à enseigner dans le Temple, il y passa la nuit «en plein air», disent certaines traductions (Lc 21,37).

Les hommes et les femmes de la nuit
Il n’est pas indifférent que les évangiles aient noté la circonstance de la nuit dans la vie de certaines personnes proches de Jésus.
Ainsi la prophétesse Anne –qui parla de l’enfant Jésus à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem– participait «nuit et jour» au culte dans le Temple. Nicodème viendra trouver Jésus «de nuit» pour mener avec lui un dialogue lumineux sur la re-naissance d’eau et d’Esprit afin d’entrer dans le Royaume de Dieu (Jn 3). Et on retrouvera Nicodème au bord de la nuit du Vendredi saint, quand il participera à l’ensevelissement de Jésus (Jn 19,34).
Quant à la foi des apôtres, elle grandira au terme de longues nuits où, comme pêcheurs, ils auront peiné sans rien prendre. Alors, au petit jour, Jésus les invitera à repartir en eau profonde et, sur sa parole, à jeter les filets. Une expérience qui les a conduit à ramener les barques à terre, à tout laisser pour le suivre (cf. Lc 5,1-11). Il y a des nuits d’échec qui peuvent être le temps propice pour une vocation...
Deux apôtres se sont signalés spécialement par des actions «de nuit», vraiment fort nocturnes. Jésus avait dit à Pierre: «Cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois» (Mc 14,30) ; c’est bien ce que Pierre fit cette nuit-là. Et dans la nuit de l’agonie à Gethsémani, non seulement les apôtres dorment, mais, pire encore, l’un d’eux trahit Jésus, contribue à son arrestation et le livre à ses ennemis : quand Judas sortit pour faire cela, «il faisait nuit», note l’évangéliste Jean (13,30).

Les nuits du mystère pascal
L’heure de Jésus commence par un certain repas d’adieu. L’apôtre Paul rappelle qu’il a inventé l’eucharistie «la nuit qu’il fut livré» (I Co 11,23). Après l’agonie dans le jardin de Gethsémani et toute cette nuit de va-et-vient entre les autorités de Rome et celles d’Israël, l’heure du Messie est venue sur la croix. Alors, note l’évangéliste Matthieu, «il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures» (27,45). Nuit de la mort. Nuit du tombeau. Et bientôt nuit de Pâques.
Le troisième jour, les femmes durent traverser leur nuit pour oser venir au tombeau alors qu’il faisait encore sombre (Jn 20,1). C’est ce même soir que les disciples rassemblés par la peur éprouvent enfin la joie de retrouver Jésus vivant qui leur donne sa paix et le souffle de l’Esprit pour remettre les péchés.
La résurrection est une victoire sur la nuit, toutes les nuits, y compris les nôtres. C’est aussi au terme d’une nuit d’échec professionnel que le ressuscité retrouve les apôtres-pêcheurs sur le rivage, pour la joyeuse reconnaissance et pour le repas au goût d’eucharistie (cf. Jn 21,1-14).
Quant aux disciples d’Emmaüs, ils reconnaissent le Seigneur à la fraction du pain, après l’avoir invité incognito dans leur chez eux «au soir tombant, quand le jour touchait à son terme». C’est dans cette même nuit qu’ils ont retrouvé la communauté de Jérusalem pour partager avec elle la bonne nouvelle de Pâque: «C’est bien vrai. Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon » (Lc 24,29 et 34).

Libérés de la nuit
On ne comprendrait rien à toutes ces nuits s’il n’y avait pas en leur cœur une mystérieuse «lumière qui luit dans les ténèbres» (Jn 1,5.) Dans toutes ces expériences nocturnes, quelqu’un trace discrètement un chemin de plus en plus lumineux. «Je suis la lumière du monde», dit Jésus après avoir exercé sa miséricorde à l’égard de la femme adultère. Et il ajouta à l’intention de ses juges impitoyables: «Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres; il aura la lumière qui conduit à la vie» (Jn 8,12). Il répétera cette affirmation et cette promesse après avoir guéri l’aveugle-né (Jn 9,4-5). Il avait même dit auparavant en regardant ses disciples: «Vous êtes la lumière du monde» (Mt 5,14). Quel optimisme!
Jésus nous a vraiment accouchés à la lumière en nous arrachant au pouvoir des ténèbres, en nous plaçant dans le Royaume de son Fils bien-aimé (Col 1,13) Oui, il nous a libérés de toutes nos nuits, et surtout de celles de la mort et du péché. Sa parole est lumière sur nos routes mal éclairées. Les sacrements allument des présences divines dans le dédale de nos nuits humaines, à commencer par le baptême qui fait de nous «des fils de la lumière, des fils du jour, car nous n’appartenons plus à la nuit et aux ténèbres» (I Th 5,5).
En nous appelant des ténèbres à son admirable lumière, il a fait de nous un peuple saint (cf. I P 2,9-10). Dès lors, il nous faut «rejeter les œuvres des ténèbres et revêtir les armes de la lumière pour nous conduire honnêtement, comme on le fait en plein jour». (Rm 13,12-13.). Mesurons-nous le bonheur de cette grâce ? «Dieu a dit: "Que la lumière brille au milieu des ténèbres." C’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ.» (II Co 4,6).
En attendant le jour béni où, dans la Jérusalem nouvelle, il n’y aura plus de nuit parce que le seul luminaire sera l’Agneau qui nous illuminera tous de sa gloire (cf. Ap 21,23-26).

Cl. D.

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Et pour méditer sur le tableau illustrant cet article, L'agonie dans le jardin, d'Andrea Mantegna (1459), lire l'article de Bruno Fuglistaller sj Veiller en Dieu.

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