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mardi, 01 mars 2016 15:27

Veiller en Dieu

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Contempler une œuvre d’art et profiter de son rayonnement pour méditer... C’est ce que propose chaque mois Bruno Fuglistaller à l’antenne ignacienne de Saint-Boniface, à Genève. Il visite ici « L’agonie dans le jardin des oliviers », d’Andrea Mantegna (1459).

Il est toujours un peu périlleux de vouloir illustrer un thème avec une œuvre d’art, parce que celle-ci existe en tant qu’expression de la volonté d’un artiste (parfois guidée par un commanditaire). Ainsi nous ne sommes pas à l’abri de nos propres projections et nous risquons de réduire ladite œuvre à ce que nous en comprenons. Je me propose donc juste de partager quelques idées sur ce que je perçois du repos dans ce tableau.
Peintre et graveur italien du XVe siècle, Andrea Mantegna a été l’élève de Francesco Squarcione. Il s’est formé dans un milieu influencé par les recherches de Paolo Ucello, d’Andrea del Castagno, de Filippo Lippi et de Donatello. Il a œuvré à Vérone, Padoue, Rome et Mantoue.
L’artiste nous met en présence du Christ dans le jardin de Gethsémani. Un moment clé de la vie de Jésus, fait de doute et de tentation (Mt 26,36-46). Au cœur de ce drame, les disciples ne parviennent pas à rester éveillés, mal - gré les injonctions du Maître. Finalement, celui-ci les laisse dormir.
Il n’est pas possible de situer le mo - ment exact du récit auquel l’artiste se réfère : s’agit-il du premier épisode de sommeil ou du dernier ? Reste que l’œuvre montre bien la tension entre l’angoisse du Christ, avec la troupe qui s’approche dans le fond, et le relâchement des disciples, paisiblement couchés. Regardons d’un peu plus près...

Frontières
Au premier plan, nous trouvons Pierre, Jacques et Jean, qui dorment pendant que le Christ prie au jardin. Les trois disciples sont plongés dans un sommeil profond, tournés vers les spectateurs ou vers le ciel. Leur posture « pointe » vers nous, comme si nous étions partie prenante de la scène. Ce qui se vit là nous concerne et nous implique également.
Les disciples sont séparés du Christ par la torpeur, mais aussi par le rocher. Ils sont comme au pied d’un sommet qu’il leur faudra gravir, comme l’indiquent les marches déjà empruntées par Jésus. Ils sont allongés à même le chemin que suivront bientôt Judas et la troupe qui l’accompagne. Leur posture contraste fortement avec celle des marcheurs qui approchent, dont les boucliers et les lances trahissent les intentions.
Entre les disciples et la troupe, quelques lièvres semblent batifoler, paisiblement détachés du drame qui se noue. Ces animaux qui se déplacent la nuit et dorment le jour donnent une indication temporelle, pas perceptible autrement sur le tableau, si ce n’est par l’absence d’ombres. Ils témoignent aussi d’une fécondité de la vie. Le repos des disciples permet aux lièvres de jouer sans crainte, alors même que la menace de l’arrestation du Christ est manifeste. De l’autre côté de la rivière, se détachent ce qui pourraient être des cigognes, maudites et de mauvais augure, ou des pélicans, symboles de sacrifice et de résurrection, des animaux interdits à la consommation (Lv 11,18- 19). Difficile de trancher.
Contrairement aux disciples, le Christ est sous une tension bien visible, agenouillé, les mains jointes, les pieds tendus dans sa génuflexion, face à des angelots qui portent, pour certains, des instruments de la Passion (croix, colonne, lances, éponge). Cette crispation se manifeste aussi dans la roche et le paysage. Alors que tout est dans l’horizontalité au niveau des disciples, tout témoigne de la verticalité et de la frontalité face au Christ : la roche qui se dresse devant lui, la ville, les montagnes. Seuls les nuages reprennent l’horizontalité reposante, qui évoque déjà celle de la mort...
Sur la route qui serpente à travers le paysage, nous retrouvons Judas qui guide les soldats. On a l’impression que toute la ville est en route derrière la troupe. Etrange ville du reste, avec le Colisée et la colonne de Trajan ; c’est Jérusalem, Rome ... ou notre propre cité. La scène est marquée par la forte diagonale qui passe des anges au Christ, pour aboutir à la route. Nous sommes face à une mise à terre que rien ne peut arrêter. Les disciples, dans leur sommeil, sont déjà terrassés.
La végétation indique une autre frontière. Le premier plan est marqué par une quasi absence de plantes, hormis le plantain qui est utilisé contre les blessures et les hémorragies, des renoncules qui sont efficaces contre les fièvres, la bourrache qui soutient la bonne humeur, et un arbre mort sur lequel est posé un corbeau. Ce n’est qu’au-delà de la ville, dans le lointain, qu’on retrouve des champs et des arbres verts.

Au-delà...
Le repos des disciples endormis de - vient ainsi à la fois allégorie du détachement à l’égard de ce qui se passe et prémices de la mort. Le Christ qui veille, le regard tourné vers les anges et les instruments de la Passion, voit, lui, au-delà du monde. Matthieu nous rappelle d’ailleurs que c’est dans cette vision (même s’il n’utilise pas ce terme) que Jésus trouve la force d’affronter son destin.
La « veille » en Dieu est le vrai repos. Celui qui permet de refaire ses forces pour affronter la réalité. C’est peut-être là une des réflexions auxquelles Andrea Mantegna nous convie avec cette œuvre.

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