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lundi, 18 janvier 2021 15:11

L'Eglise est inévitablement politique

Moïse et le rocher d'Horeb (Exode 17, 1-3), élise Notre-Dame du lac Togoville. © Pascal Deloche/GODONGQuelle place a l’Église dans la sphère politique? La question se pose avec acuité en Suisse depuis la votation sur l'initiative pour des entreprises responsables, en novembre 2020. Mais pour le théologien allemand Norbert Mette, professeur émérite de théologie pratique à l’Université de Dortmund, le livre de l'Exode déjà l'indique clairement: la foi dans le Dieu de la vie implique la lutte contre l’injustice et pour la solidarité. Assumer cette responsabilité, est-ce faire de la politique? Et quel rapport avec la mystique? Entretien.

Dans votre hommage à Leo Karrer [ancien professeur de théologie pastorale de l’Université de Fribourg: ndlr.], vous parlez de «l’unité de la mystique et de la politique, telle que Johann Baptist Metz l’a invoquée dans ses conférences». Qu’entendez-vous par là?

Norbert Mette: La nouvelle théologie politique, telle qu’elle a été présentée par Johann Baptist Metz [un théologien catholique allemand, 1928-2019, ndlr.], a le mérite d’insister sur le fait que la foi chrétienne ne touche pas seulement notre vie personnelle, au plus profond, mais aussi –dans une égale mesure– la coexistence sociale dans le monde, en nous en donnant la responsabilité. La révélation fondamentale de Dieu, telle qu’elle apparaît dans le livre de l’Exode, montre qu’il voit les souffrances de son peuple exploité en Égypte, qu'il entend ses lamentations puissantes et descend pour le libérer. Cette scène seule, sur laquelle se fonde la foi biblique en Dieu, n’illustre-t-elle pas clairement une unité entre la mystique (amour de Dieu) et la politique (amour de l’homme)?

Quel rapport avec la mystique?

Je pense qu’il faut d’abord se demander: «Quel est le rapport entre la foi (dans la compréhension biblique) et la politique?» Mais pour répondre correctement à cette question, il faut déterminer ce que l’on entend par «la politique». Sans pouvoir les séparer complètement, on peut distinguer une conception plus large d’une conception plus étroite de la politique. La compréhension plus large de la politique comprend tout ce qui a trait à l’organisation de la vie en commun, au ‘bien commun’. Il s’agit de questions qui touchent -pour reprendre les valeurs proclamées par la Révolution française- à la liberté, à l’égalité et à la fraternité entre les hommes. Il faut y ajouter la durabilité de la coexistence avec la nature. Cela touche tous les domaines de la société, de la famille à l’économie. Personne ne peut échapper à la responsabilité pratique de cette situation ou en être exclu.

La religion non plus donc?

Selon cette vision, la religion fait inévitablement partie de la politique, et elle doit être consciente du fait qu’elle a une influence, dans un sens ou dans un autre. Elle peut soit contribuer à la légitimation des conditions déjà en place, comme cela s’est produit et se produit encore assez souvent, soit s’élever de manière critique lorsque le bien commun est manifestement mis à mal. Il ressort clairement de la Bible que la foi dans le Dieu de la vie va de pair avec une option claire de défense de l’amour, de la justice, de la solidarité, de la liberté pour tous, et de lutte contre l’injustice, la violence, la destruction et la surexploitation de la terre. Concrétiser cela dans le détail est la tâche des fidèles, en coopération avec «toutes les personnes de bonne volonté». C’est ainsi que commence la politique au sens strict du terme.

Beaucoup de gens pensent que les mystiques fuient une réalité qu’ils méprisent. Pourquoi ce point de vue est-il erroné?

En effet, l’attitude mystique est souvent assimilée à un évitement du monde, à un repli sur soi-même. Mais c’est un dangereux malentendu. Les personnes qui sont devenues des mystiques étaient tout sauf détournées du monde. Au contraire, elles avaient une vision extrêmement claire du monde tel qu’il est, mais avec un angle de vue différent, façonné par leur expérience du contact avec la plénitude de la vie de Dieu. Les mystiques ont perçu de façon d’autant plus intense et douloureuse comment, dans la réalité du monde, la souffrance est infligée aux personnes dans le but de les anéantir. En ce sens, Johann Baptist Metz a parlé avec justesse d’un «mysticisme aux yeux grands ouverts». C’est un mysticisme qui cherche la rencontre avec les autres et pratique la solidarité avant tout avec ceux qui souffrent et sont défavorisés.

Dorothee Sölle [théologienne protestante allemande (1929-2003), ndlr.] a inventé l’expression Mystique et résistance. Est-ce qu’elle voulait dire la même chose que Johann Baptist Metz?

Je pense que oui. Celui qui pense qu’il peut gagner la bonne volonté de Dieu avec n’importe quel exercice de piété et rester indifférent au mal fait contre les personnes dans le monde, se trompe. Avec le baptême, nous prenons tous un engagement à résister au mal qui est dans le monde.

À quel point l’Église peut-elle ainsi être «politique»?

Il ne s’agit pas de «pouvoir». L’Église «est» politique, comme il a déjà été noté, d’une manière ou d’une autre. Sa mission principale est d’œuvrer, dans le camp de Dieu, jusqu’au bout pour que toute personne voit sa dignité reconnue de façon inconditionnelle ainsi que les droits inviolables qui en découlent.

Les prêtres doivent-ils donc, depuis leur chaire, s’engager dans des discours politiques?

Dieu merci, ce que j’ai vécu encore dans ma jeunesse est probablement maintenant largement dépassé. Mais si vous voulez vraiment proclamer la Bonne Nouvelle, vous ne pouvez éviter de nommer clairement et de dénoncer ce qui fait obstacle à ce message. En ce sens, les bonnes homélies sont inévitablement politiques. Je citerais comme exemple marquant celui de l’évêque salvadorien Oscar Romero [assassiné en 1980 par des paramilitaires proches du pouvoir de l’époque, ndlr.]. Le scandale n’est pas la façon dont il a dénoncé les pouvoirs en place dans son pays, mais le fait qu’il ait été abandonné par les autorités de sa propre Église.

Quelles limites voyez-vous à l’ingérence de l’Église?

Lorsqu’elle tente d’imposer des choses de manière autoritaire et qu’elle ne s’engage pas dans un discours politique et un débat avec d’autres opinions.

Y a-t-il des sujets que l’Église ne devrait absolument pas traiter?

La question fondamentale concerne, selon moi, la crédibilité de l’Église quand elle s’exprime «vers l’extérieur». Le problème se pose quand elle n’a pas résolu dans ses propres rangs les choses qu’elle veut dénoncer.

Traduction et adaptation: Raphaël Zbinden (cath.ch)

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