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samedi, 01 octobre 2022 14:19

Pauline Jaricot, femme d'action et de prière

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Pauline Jaricot © OPMÀ l’occasion du mois de la mission universelle, Missio suisse a lancé le 1er octobre une campagne auprès des paroisses du pays pour récolter des témoignages de croyants engagés et enracinés dans la foi, sur les traces et à l'image de Pauline Jaricot. Qui était cette femme à l'origine des Œuvres pontificales missionnaires, née il y a près de 200 ans et béatifiée le 22 mai dernier?

La lecture de «vies édifiantes» de martyrs, de bienheureux ou de saints est passée de mode, voire prête à quolibets. Il vaut pourtant la peine de parcourir celle de Pauline Jaricot, l en émane un parfum aux notes de tête certes désuètes, mais aux notes de cœur résolument modernes. Lyonnaise laïque du XIXe siècle français post-révolutionnaire, portée par des élans mystiques et l’universalisme de l’Évangile, elle sera à la fois Propagatrice de la foi, fondatrice du réseau du Rosaire Vivant et entrepreneuse pionnière du catholicisme social en milieu ouvrier.Dernière de sept enfants, Pauline naît à Lyon en 1799, au sein d’une famille de soyeux, croyante et aisée, mais qui a connu la pauvreté par le passé. Ce qui contribuera certainement à sa soif de justice sociale et de réparation des humiliations.

Jeune fille joyeuse, spontanée, sincère et coquète, elle se retrouve pourtant très jeune en proie aux «scrupules », tiraillée entre deux tendances, la contemplation et le sacrifice d’une part, la vie mondaine et la recherche de plaisir de l’autre. Ce sera le détachement. Il est probable que ce choix aura été influencé par les épreuves difficiles qu'elle traverse à l’âge de 15 ans (une maladie nerveuse et la mort de sa mère), qui la conduisent à s’offrir à Marie «dont l’amour lui avait était jusque-là "étranger" malgré les instances de sa mère» [in Catherine Masson, Pauline Jaricot, 1799-1862. Biographie, Paris, Cerf 2019, p. 53]. Reste que le déclencheur de la «conversion» de la jeune fille sera un sermon sur les illusions et les vanités du monde, prononcé par l’abbé Würtz (qui deviendra son confesseur) au printemps 1816, à l’église de Saint-Nizier, sa paroisse.

La conversion et les missions

Portrait de Pauline Jaricot © LDRPauline décide donc de se consacrer à Dieu. Le chemin passe par une transformation de son apparence physique. Elle adopte une tenue mi-ouvrière, mi-béguine qui fait jaser sur son passage la bonne société lyonnaise. Elle demande aussi pardon à tous ceux qu’elle pense avoir offensé dans le passé et fait vœu de chasteté le jour de Noël 1816, à la Fourvière.

Mais la jeune Pauline n’est pas faite pour le cloître. Hyperactive et impétueuse, mais en même temps sociable et organisée, elle s’entoure rapidement d’autres «âmes pieuses» et s’engage dans différentes associations laïques tournées vers la défense «du cœur de Jésus». Car Pauline se sent envoyée en mission. Enfant, elle faisait déjà avec son frère Philéas de grands rêves de vie missionnaire. «Elle ne sait pas très bien où va la mener ce choix de demeurer une laïque dans le monde… cette forme de vie ne connaît alors aucun cadre associatif et n’a pas de véritable reconnaissance théologique ni ecclésiale.» [Catherine Masson, op. cit., p. 101]

«Pauline veut à la fois prier pour les missions mais aussi les soutenir matériellement. Elle élabore son premier plan», écrit le journaliste Maurice Page [15 mai 2022, in cath.ch]. «Elle imagine un système aussi simple qu’ingénieux: créer des groupes de dix personnes qui s’engagent à prier chaque jour pour la mission et à offrir un sou par semaine. En 1819, elle lance d’abord son idée parmi les ouvrières de la soie qui travaillent dans les ateliers de sa famille ou du quartier de la Croix Rousse. Son enthousiasme et son sens de l’organisation font merveille.» Mais la méfiance et les critiques à l’encontre d’une femme qui prend trop de place aux yeux de ses contemporains affluent. La jeune fille doit être encadrée… et écartée! «Le 3 mai 1822, une réunion de la Congrégation des messieurs de Lyon, à laquelle Pauline ne participe pas, "récupère" l’idée et l’action de Pauline. Ce sera la date officielle de la fondation de la Propagation de la foi.»

Au cœur de sa foi, la prière

Pauline va vite rebondir, car elle n’est pas uniquement une femme du terrain, elle est aussi une mystique portée par le Christ et qui se bat pour son Église. Ne dissociant pas prière et action, elle lance en 1826 le Rosaire Vivant, un réseau de prière consacré à la Vierge Marie, composé de petits groupes de 15 personnes chacun (comme les 15 mystères du rosaire). L’idée est de réveiller la communauté catholique de Lyon en déclin et, plus largement, de convertir les gens pour contrer l’anticléricalisme montant dénoncé par le pape Léon XII l’année précédente. «Cette dévotion était laissée aux dévotes de profession, encore à condition qu’elles fussent vieilles, ou qu’elles n’eussent rien à faire, ce qui était un préjugé très faux», écrira Pauline dans son cahier de notes intimes.

Le réseautage fonctionne à merveille. En 1827, Pauline Jaricot rencontre le nouveau nonce en France, le cardinal Lambruschini, pour lui présenter son plan; celui-ci en parle au pape Grégoire XVI qui, par un bref, bénit en 1831 cette «sainte pratique». Pauline établit alors un manuel qui définit les buts, les moyens et l’organisation du Rosaire Vivant. La centrale de Lyon est responsable de toute la correspondance, de l’envoi de matériel et de la diffusion des circulaires. C’est ainsi que, bien avant l’invention des réseaux sociaux, cette chaîne de prière se répand à une vitesse impressionnante dans les diocèses et les paroisses de Lyon, puis dans toute la France (un million «d’asssocié·es» en à peine une décennie!) et dans le monde. [Pour prolonger et renforcer ce mouvement de prière, le Père Joseph Eyquem op créera au milieu du XXe siècle les Équipes du Rosaire, toujours en activité, même si dans une moindre mesure.]

Pauline Jaricot, un chemin de béatification, une vidéo des Œuvres pontificales missionnaires (OPM) de France

Son engagement social

Parallèlement à son intense activité pour l’apostolat et la mission, Pauline Jaricot développe aussi une forte conscience sociale. «À peine sortie de l’adolescence, Pauline, très marquée par son milieu de soyeux, a perçu avec une rare lucidité la "détresse ouvrière" dans son quartier de Saint-Nizier, tandis que l’industrie prend son essor» [Catherine Masson, op. cit., p. 321]. Il ne s’agit pas pour elle de charité, mais de justice face aux abus du capitalisme.

Innovant face à la pratique de l’époque, la jeune femme cherche d’emblée des moyens d’intégration du monde ouvrier. Comment rendre à l’ouvrier sa dignité d’homme, de père et de chrétien? «En l’arrachant à l’esclavage d’un travail sans relâche (…) en lui faisant goûter les douceurs et les charmes de la famille, (…) en lui procurant les consolations et les espérances de la religion.» Pauline n’attend donc pas les révoltes de 1831 et 1834 des canuts, ces ouvriers tisserands de Lyon, pour développer son discours social. Elle n’est pas tendre envers la classe des possédants dont elle est issue: «Paroles, actions inconsidérées, caprice, vanité, faiblesse, perte de temps dissipation, légèreté, attaches aux choses terrestres: ne sont-ce pas là les défauts des riches? (…) et ici je parle des riches bienfaisants, pieux, qu’est-ce des autres?» C’est ainsi qu’elle se met à échafauder un plan pour allier la parole à l’action. Ce sera celui d’une «usine chrétienne» modèle.

La proie des escrocs, échec et disgrâce

Son regard se tourne alors vers le village de Rustrel, dans le Lubéron qui attire nombre d’entrepreneurs. «Pour mener à bien son projet, résume l’agence cath.ch dans les portraits qu’elle a fait d’elle, Pauline s’associe à deux hommes d’affaires, un banquier et un maître de forges. Mais sous une apparence irréprochable, bardés de recommandations ecclésiastiques, se cachent en fait deux escrocs. (…) Pauline que l’on avait généralement vue prudente en affaires se laisse berner. En 1845, ils lui proposent de racheter l’usine de Rustrel. Pour lancer l’entreprise qu’elle appelle Notre-Dame des Anges, Pauline consent sur sa fortune personnelle une large avance de fonds complétée par des actions proposées à de petits donateurs. Mais tout cet argent est englouti dans les dettes de ses associés. La faillite tombe en janvier 1847.»

Affiche de la vente aux enchères de l’usine de Rustrel © OPMPauline Jaricot, entrepreneuse malheureuse, reprend l’exploitation de l’usine, qui fonctionne vaille que vaille jusqu’à la révolution de 1848... qui remet une nouvelle fois tout en question. Consciente que l’appât de son nom a pu séduire de nombreux souscripteurs, Pauline s’engage à les rembourser. Elle part en tournée de ville en ville pour quémander de l’aide. «Tandis que son œuvre est comprise et soutenue à l’étranger, on s’en moque en France: "Est-ce à une femme de s’occuper d’une question sociale ? (…) Contentez-vous donc de votre Rosaire, et laissez marcher le siècle, dont vous ne comprenez pas le progrès», lui dit-on [Catherine Masson, op. cit., p. 394]. Elle tente bien de faire valoir son rôle de fondatrice auprès du Conseil de la Propagation de la foi, mais on l’envoie sur les roses. S’en suivent une série de procès qui nuiront beaucoup à sa réputation. Sous la pression des créanciers, l’usine est finalement vendue aux enchères en 1852.

Malade, Pauline Jaricot meurt le 9 janvier 1862. «Ses funérailles sont celles d’une pauvre femme, inscrite au registre des indigents. Sa famille, quelques proches, quelques amis riches et pauvres lui font cortège jusqu’à sa tombe au cimetière de Loyasse.» [Catherine Masson, op. cit., p. 476] Sa mort sera suivie d’une quinzaine d’années de silence, Pauline ayant glané une réputation de femme insensée. Jusqu’à la première biographie de Pauline, écrite anonymement en 1879 par son amie Julia Maurin, intitulée Souvenirs d’une amie, la fondatrice de la Propagation de la foi et du Rosaire Vivant. S’appuyant sur cet écrit, le pape Léon XIII amorcera sa véritable réhabilitation dans un bref de 1881. Rappelant la «trahison infâme» qui provoqua l’échec de son œuvre et «toutes les avanies» que Pauline a eu à subir et auxquelles elle a courageusement fait face, il rendra à la Lyonnaise la gloire incontestable de la fondation de la Propagation de la foi.


Appel à marcher dans le sillon de Pauline Jaricot

Fondatrice du Rosaire Vivant et de l’Œuvre de la propagation de la foi (ancêtre de Missio) et inspiratrice des Œuvres pontificales missionnaires (OPM) présentes aujourd’hui dans 140 pays, Pauline Jaricot (1799-1862) a été béatifiée à Lyon, le 22 mai 2022, en présence de quelque 12'000 personnes. La délégation suisse était notamment composée d’Erwin Tanner-Tiziani, directeur de Missio Suisse, et de Mgr Jean Scarcella, responsable du dicastère «mission» au sein de la Conférence des évêques suisses. La cérémonie était présidée par le cardinal Luis Antonio Tagle, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples.

Dans un message lu à Rome le même jour, le pape François a déclaré: «Cette fidèle laïque, qui a vécu dans la première moitié du XIXe siècle, a été une femme courageuse, attentive aux changements des temps avec une vision universelle de la mission de l’Église (…) Que notre charité soit aussi inventive et efficace que la sienne, apprenons à offrir généreusement ce que nous sommes, nos talents à Dieu et à nos frères, en particulier les plus pauvres, à faire don de nos moyens pour soutenir la mission qui nous incombe à tous dans l’Église pour porter l’Évangile au monde.»

Et toi, es-tu la Pauline d'aujourd'hui? Une vidéo de Missio Suisse

Pauline Jaricot a fait preuve durant sa vie d’un esprit d’initiative communicatif, suscitant l’engagement de nombreux laïcs et aboutissant à la fondation de l’Œuvre de la propagation de la foi. De quoi la faire nommer patronne des missions par le pape François en 2019. Sa récente béatification rend honneur à tous les laïcs missionnaires et appelle chacun et chacune à se mettre au service de l’évangélisation. C’est ainsi que Missio Suisse a lancé une «chasse au charisme», pour chercher les «Pauline» d'aujourd'hui, femme ou homme, dans les paroisses et les communautés catholiques du pays. Voir la vidéo ci-dessous.

Aujourd’hui les OPM continuent d’agir partout dans le monde, chaque diocèse contribuant à son financement. Les OPM viennent ensuite en aide aux Églises les plus en difficulté aujourd’hui, notamment le Soudan du Sud, le Bangladesh et la République du Congo actuellement.

MasssonÀ lire
Catherine Masson, Pauline Jaricot, laïque et sainte, Cerf 2022, 176 p.
ou Pauline Jaricot, 1799-1862. Biographie, Paris, Cerf 2019, 522 p.

Jacques Gadille et Gabrielle Marguin, Prier 15 jours avec Pauline-Marie Jaricot, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, nouvelle édition 2022, 126 p.

À voir
Exposition Pauline Jaricot, jusqu’au 15 août 2002, au Musée de Fourvière, Lyon

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