Le bienheureux Pierre Favre est devenu saint. Dans l’entretien qu’il a accordé aux revues jésuites en août dernier, François dressait déjà de lui un portrait élogieux, désignant les valeurs essentielles qu’il reconnaissait en ce co-fondateur de l’ordre dont il est lui-même issu : « Le dialogue avec tous, même avec les plus lointains et les adversaires de la Compagnie ; la piété simple, une certaine ingénuité peut-être, la disponibilité immédiate, son discernement intérieur attentif, le fait d’être un homme de grandes et fortes décisions, capable en même temps d’être si doux... »
Le 3 janvier dernier, une messe d’action de grâce a été célébrée par le premier pape jésuite de l’histoire en son honneur. Pierre Favre n’en attendait sans doute pas autant. Il était davantage homme de simplicité que de titres et d’éloges, et ne donnait pas dans le superflu. Il était aussi un homme de grandes facultés intellectuelles, un esprit ouvert, proche de gens.
Né en 1506 dans le hameau montagnard du Villaret, près de Saint-Jean-de-Sixt (Savoie), Pierre Favre est fils de berger. Vers l’âge de dix ans, il ressent un ardent besoin d’apprendre. « ...comme j’étais berger, et que mes parents me destinaient au monde, chaque fois que je prenais mon repos, je pleurais du désir d’aller à l’école. Ainsi, malgré eux, mes parents durent m’y envoyer. Et quand ils virent le progrès sensible de mon intelligence et de ma mémoire, ils ne purent s’opposer à ce que je poursuivre mes études littéraires », à Thônes, puis à la Roche-sur-Foron.
Vers Paris
Ses parents, très pieux, l’éduquèrent dans la foi catholique et « dans la crainte de Dieu », notait Pierre Favre dans son Mémorial (p. 107). « Vers l’âge de sept ans, je me sentais parfois spécialement poussé par des mouvements de dévotion. » Mais c’est vers 12 ans que le petit berger ressentit « certaines impulsions de l’Esprit saint » et « promit à Dieu notre Seigneur de garder la chasteté à jamais ».
En 1525, à 19 ans, il quitte son pays pour rejoindre Paris. Il y obtient une licence ès arts, puis de théologie en 1534, à 28 ans. Il y fait la connaissance décisive d’Ignace de Loyola. « Que soit à jamais bénie cette rencontre », dit-il (Mémorial 111). Il devint son maître en matière spirituelle, « me donnant règle et méthode pour m’élever à la connaissance de la volonté divine » (Mémorial 112). Ce qui est assez paradoxale quand on sait que dans sa jeunesse Pierre Favre avait été bien mieux formé en matière religieuse que l’ancien soldat Ignace de Loyola. Mais les Exercices spirituels de l’Espagnol résonnèrent en Pierre Favre comme la voie à suivre pour ouvrir son cœur et son âme. « Suivre Inigo dans une vie pauvre ; j’attendais seulement la fin de mes études, des siennes et de celle de maître François et de tous ceux qui se joignaient à notre projet » (Mémorial 114). Et c’est ce qu’il fit.
Pierre Favre fut le premier membre de la Compagnie de Jésus à être ordonné prêtre (1534). Sa vie durant, il écumera les routes d’Europe pour se consacrer à la restauration du catholicisme qui prônait le renouveau spirituel en France. A Rome, où il passe trois ans, enseignant pour un temps la théologie, il est reconnu pour ses qualités de prédicateur et sa simplicité d’être. En 1540, peu de temps après l’approbation de la fondation de la Compagnie de Jésus par le pape Paul III, celui-ci l’envoie en Allemagne où le protestantisme luthérien prend de l’ampleur. C’est le début d’une trop courte vie itinérante missionnaire. Pierre Favre s’éteint à Rome le 1er août 1546, à l’âge de 40 ans.
Une trace indélébile
« Que nous enseigne encore "Maître Favre", presque 470 ans après sa mort ? » questionnait justement le Père général des jésuites, Adolfo Nicolas, dans un message adressé à toute la Compagnie le 21 décembre dernier. « La foi transparente et spontanée, presque celle d'un enfant (...) qui doit nous aider à demeurer "compagnons en Sa Compagnie", pleins de foi en "Celui qui est et qui fait tout en tous, Celui par qui tous les êtres ont l'existence et le mouvement, et Celui en qui tous les êtres subsistent" (Mémorial 245). »
Pierre Favre n’était ni un philosophe ni un théologien. Les seuls écrits qu'il ait laissés sont ses lettres et un Mémorial qui est une autobiographie spirituelle, rédigée de 1542 à 1545, dans laquelle il fait une approche du divin par le biais de l’affection intime et du sentiment. « Ce qui fait la sainteté, ce n'est pas notre vocation, mais la ténacité avec laquelle nous l’avons saisie », notait Madeleine Delbrêl, mystique chrétienne française , dans Rues des villes, chemins de Dieu. Tenir bon son cap, ne pas se lasser de fabriquer de la justice, de la paix, de la joie, du pardon... En cela, Pierre Favre est sans aucun doute un saint.
C. F.