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mardi, 13 mars 2018 08:00

Pape François: il a changé le visage de l'Église

Pape francois en Papamobile en Coree2François en Corée © wikipedia commons/Service coréen de culture et d'informationJésuite depuis 60 ans (il a été ordonnée le 11 mars 1958), pape depuis cinq ans (élu le 13 mars 2013), il est le pontife de tous les superlatifs.  Le premier jubilé du premier pape jésuite de l'histoire démontre de bien des façons comment Jorge Mario Bergoglio sj, né le 17 décembre 1936 en Argentine d'un père émigré du Piémont, comprend et vit son ministère.
On ne peut comprendre ce pape sans tenir compte de son appartenance à l'Ordre des jésuites, à la pratique et aux traditions de la Compagnie, et à sa spiritualité ignatienne. «SJ» depuis six décennies, cela vous marque, quand bien même le Père Bergoglio a exercé son ministère épiscopal pendant un quart de siècle, d'abord comme évêque auxiliaire (1992) du diocèse de Buenos Aires, puis archevêque coadjuteur (1997), et enfin archevêque (1998). Cardinal depuis 2001, il a participé au Conclave de 2005.

Et c'est son expertise, de même que son expérience personnelle et les fonctions qu'il a exercées, qui ont convaincu la majorité des cardinaux de désigner, le 13 mars 2013,
pour la première fois dans l'histoire de l'Église, un pape latino-américain;
pour la première fois en 1200 ans, un pape non européen;
pour la première fois depuis 1831, un religieux, et jésuite qui plus est.
Autre nouveauté, résonnant comme un signal, c'est le premier pape à se faire appeler François. «Une Église pauvre pour les pauvres»: une vision qui inquiète, en particulier les plus riches.

Depuis le 13 mars 2013, nous sommes témoins d'une transformation missionnaire significative de l'Église, à différents niveaux, et qui rencontre une certaine résistance (parfois brutale). Élu à l'âge de 77 ans, le pape -qui en a aujourd'hui 82- a l'air en forme, alerte et ouvert, ce qui est particulièrement étonnant pour son âge et ses responsabilités. De plus, il dégage une grande liberté intérieure, une grande sérénité et un fort enracinement spirituel.

Le pape «turbo», comme il est parfois surnommé, invite au renouveau, ce qui n'est pas sans en inquiéter certains, en premier lieu l'appareil d'État et la Curie romaine, en second lieu, des évêques et cardinaux qui doivent accueillir les idées et l'impulsion du pape, mais aussi mettre en œuvre ses documents et ses décrets, et enfin certains croyants, qui regrettent une papauté empreinte de cérémonial et entourée d'une aura d'inaccessibilité. Tout cela a été rendu possible par la sage décision du pape Benoît XVI de se retirer volontairement en février 2013, car il ne s'estimait physiquement et psychiquement plus apte à remplir ses fonctions.

Rome, allez simple
Lorsque le cardinal Bergoglio s'est rendu à Rome en février 2013 pour assister aux adieux de Benoît XVI, il est venu sans secrétaire et avec juste un léger bagage. Il ne lui restait plus qu'à fixer la date de son billet de retour. Sur son bureau de Buenos Aires, il avait laissé son sermon pour la messe chrismale du 26 mars 2013. En effet, il voulait rentrer le plus rapidement possible. On le sait, après le conclave de 2005 déjà, il comptait sur l'acceptation "rapide" de son départ en retraite, qui devait avoir lieu comme prévu à son 75e anniversaire (en décembre 2011). Il s'était alors renseigné pour obtenir une place dans une maison de retraite pour prêtres, dans une chambre avec vue sur la cour intérieure au rez-de-chaussée.

L'histoire en a voulu autrement. Rompant la glace dès ses premières paroles -«Fratelli e sorelle, buona sera»-, ce pape se démarque par son naturel, sa cordialité et sa spontanéité, mais surtout par sa modestie, son langage simple, ses comparaisons et ses images claires, parfois très martiales, souvent très directes et parfois même (trop) osées, voire grossières. Un confrère, qui a longtemps travaillé avec Benoît XVI, a même parlé devant moi d'«argot de caniveau».

Un style familier
«C’est bon de se donner toujours un baiser le matin, se bénir toutes les nuits, attendre l’autre et le recevoir lorsqu’il arrive»: on ne croirait pas que cela sort tout droit d'un texte papal, et ce n'est pas non plus ce que l’on y chercherait. C'est pourtant bien ce qui est écrit dans l'exhortation post-synodale Amoris laetitia (AL) de mars 2016. Jamais, depuis Humanae vitae (1968) -la lettre encyclique «sur le mariage et la régulation des naissances» promulguée par le pape Paul VI le 25 juillet 1968, souvent surnommée avec beaucoup de mépris l’«Encyclique sur la pilule»- un document papal n'avait été aussi controversé et débattu. La continuité de la doctrine ecclésiastique serait remise en question, affirment non sans inquiétude nombre de cardinaux et d'évêques. Si certaines conférences épiscopales interprètent ainsi cet écrit, d'autres y lisent l'exact contraire. D'autres encore, comme le philosophe Robert Spaemann, vont jusqu'à affirmer que Amoris laetitia, qui fait suite aux deux synodes sur la famille de 2014 et 2015, apporterait «le chaos», «élevé d'un trait de plume au rang de principe».

Le pape François, considérant chacun, dénonce «la morale bureaucratique froide» (AL 312). Il ne faut pas se contenter de juger et classer les personnes vivant des situations «irrégulières» comme si des pierres étaient lancées contre des personnes (AL 305).

Le dimanche du Christ-Roi 2013, François, avec son Evangelii gaudium, présentait son programme, que certains commentateurs, même ici, ont réduit à la phrase «Une telle économie tue». Les grands pontes de la critique ont dénoncé un pape ignorant, ne comprenant rien aux mécanismes du marché. D'autres voix bien intentionnées ont parlé de «mauvais conseils», avant de qualifier l'encyclique écologique Laudato sì (mai 2015) de dépassement de compétences. Abus, ressources, durabilité, justice intergénérationnelle, minorités indigènes: pourquoi la question de la «sauvegarde de notre maison commune» n'intéresserait-elle pas un pape? Le pape François dénonce les blessures de l'injustice mondiale et vilipende sans relâche «la globalisation de l'indifférence», et pas seulement vis-à-vis des réfugiés perdant la vie en mer Méditerranée.

François a envoyé l'Église «à la marge», auprès des défavorisés, des exploités, des discriminés. Il veut la voir s'engager à la périphérie, pas se terrer dans les églises et les sacristies, se retrancher derrière des doctrines dogmatiques et prôner le cléricalisme et le carriérisme. Sa critique de la curie est brutale et aussi tranchante que le rasoir. Il ne cesse cependant de rappeler le «véritable pouvoir de la charité», et le geste du lavement des pieds l'accompagne depuis le début de son pontificat.

Pour le pape François, il est plus important de mettre les idées en œuvre que d'«occuper l'espace» ou de conserver des acquis cléricaux ou théologiques. C'est la raison pour laquelle il a lancé l'Église sur une «voie synodale», avec les difficultés que l'on connaît, qui se sont traduites au cours des deux synodes sur la famille par des luttes pour obtenir des réponses communes. Le synode sur la jeunesse, qui va se tenir en octobre 2018, est à ce titre très prometteur. Si elle veut rester un acteur mondial, l'Église doit savoir faire preuve de pluralité et de réflexion, sous peine d'être laissée en arrière. À ce titre, François marche sur les traces du concile Vatican II, que beaucoup n'ont pas encore digéré. Il ne veut pas réagir à son époque en se basant sur la doctrine, il veut mettre en application le Concile!

Sortir des sentiers battus, c'est parfois la seule façon de ne pas reproduire uniquement ce que l'on connaît et ce qui a fait ses preuves, mais d'oser des choses nouvelles, de prendre des risques. Un pape anticonformiste! Il aime beaucoup la métaphore des «portes ouvertes», mais aussi celle de «soigner les blessures». Le reste suit. Pour cela, sur le plan théologique, il fallait redonner vie à une certaine «hiérarchie des vérités». Sur le plan de la méthode, il s'est appuyé sur le «discernement ignatien des esprits».

Un pape déconcertant
Certains disent que le pape François n'en fait qu'à sa tête. D'autres craignent qu'il ternisse l'image de la fonction papale s'il met trop en avant la collégialité et la décentralisation. D'autres encore jugent que son prêche n'est pas assez théologique. Ou trop concret. Lui, sourit… et poursuit son chemin. Ceux qui qualifient le pape François de «pasteur du monde» ou de «guide spirituel» et le dénoncent, parfois inconsciemment, insinuent qu'il est «léger sur le plan théologique». Mais tous les prophètes n'ont-ils pas au départ essuyé des reproches?

PapeJeunes

«Nous avons besoin d'un Pontifex», a titré un commentateur en début d'année. Ce qu'il voulait dire, en fait, c'est que ce pape déconcerte et irrite, brusque et met à nu, et en parallèle, sourit et est apprécié. Ce qui est dit du Pape François, ce qui lui est reproché, n'a pas d'égal: il polarise, il divise, c'est un populiste, un narcissique… la presse catholique allemande n'est pas tendre. Bien entendu, le pape François a quelque chose d'un agent provocateur: il teste. Il laisse faire. Il permet, et même, il abuse. Bernd Hagenkord sj a déclaré: «Il veut semer le trouble, à l'intérieur comme à l'extérieur. Il veut que les choses bougent, en interne, sur le plan spirituel, mais aussi vis-à-vis des réfugiés, de la guerre, etc. Et pour semer ces troubles, le pape François utilise sa parole, son langage. Ce n'est pas toujours facile à comprendre.» On a rapidement parlé avec beaucoup de mépris d'une «théologie de Copacabana»!

Les choses sont souvent spontanées et surprenantes. Mais elles viennent du cœur, comme l'exceptionnelle Année de la miséricorde qui ne s'est pas achevée purement et simplement avec la fermeture de la Porte Sainte. Dans son écrit Misericordia et misera (20 novembre 2016), le pape François n'a pas laissé place au doute: «À l’heure où s’achève ce Jubilé, il est temps de regarder en avant et de comprendre comment continuer avec fidélité, joie et enthousiasme, à faire l’expérience de la richesse de la miséricorde divine. Nos communautés pourront rester vivantes et dynamiques dans la mission de nouvelle évangélisation dans la mesure où la «conversion pastorale» que nous sommes appelés à vivre sera imprégnée chaque jour de la force rénovatrice de la miséricorde.» Ainsi, la miséricorde doit être le credo de l'Église, et pas seulement de son pontificat! Comme il l'a souligné dans sa Bulle d'indiction du Jubilé extraordinaire de la miséricorde Misericordiae vultus (avril 2015): «La miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Église.»

Hérétique?
Revenant sur ces cinq dernières années, Thomas Assheuer a déclaré dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit (le 8 mars 2018 en page 54), à propos des débats entourant l'«orthodoxie» de Amoris laetitia: «Qu'il n'y ait pas d'erreur: ce conflit ne porte pas sur le nouveau style pastoral, ou sur les apparitions un peu familières du pape sur la scène mondiale. Il ne s'agit pas non plus d'un problème de manque de douceur chrétienne lorsqu'il punit ses critiques par son silence ou qu’il chapitre ses cardinaux comme de simples enfants de chœur qui auraient cassé l'encensoir pendant la messe. Il ne s'agit rien moins que d'une accusation de haute trahison théologique à l'encontre du chef de l'Église catholique. Plutôt que d’affronter un monde moderne s'étant détourné de Dieu à coup de clarté dogmatique et de dignité pontificale, le pape François prêche un Évangile de l'adaptation et de l'assouplissement. L'évêque de Rome serait un hérétique.»

C'est une évidence: ce pape a transformé le visage de l'Église. Les troubles qu'il a suscités sont éprouvants. Mais ils font du bien à l'Église, qui ne doit pas rester centrée sur elle-même, mais s'ouvrir aux Hommes. Et c'est pour eux qu'elle doit répondre présente!

Ce pape n'est pas sans rappeler Jean XXIII (1881-1863) qui a depuis été béatifié (2000) et canonisé (2014). À d'autres, le pape François rappelle les Évangiles et leur personnage principal: Jésus de Nazareth. En tant que jésuite imprégné des Exercices spirituels selon Ignace de Loyola (1491-1556) et ancré dans les méditations sur la vie de Jésus, François incarne une demande, celle de voir l'esprit des Évangiles illuminer l'Église, et que celle-ci exprime l'amour de Dieu pour les hommes dans ses actions, comme du temps de Jésus. «En jetant un pont vers nos origines», estime le cardinal allemand Walter Kasper, parlant du pape argentin, «il construit un pont vers notre avenir». L'avenir de l'Église est dans les Évangiles, ou bien elle n'aura pas d'avenir.


LivreBatloggFrancois2018Le Père Batlogg sj vient de faire paraître, en allemand, un livre sur le pape: Der evangelische Papst Hält Franziskus, was er verspricht? (François tient-il ses promesses?)

Son propos (note de l'éditeur): Qu'attendons-nous de ce pape?
La fumée blanche s'est levée le 13 mars 2013. L'Argentin et jésuite Jorge Mario Bergoglio fut le premier Sud-Américain à être élu pape. Après cinq ans au pouvoir, beaucoup de gens posent des questions: Qu'est-ce que Francis a vraiment fait, accompli? Au-delà des sermons sincères et des gestes spectaculaires, y a-t-il des résultats tangibles du changement dans l'Église? Ou s'agit-il simplement de politique symbolique?
Andreas R. Batlogg sj revient sur ces cinq années: sur ce qui a été; sur ce qui a été mis en marche et mis sur les rails. Un bilan, mais pas une exposition. L'enseignement va-t-il changer? Ou est-ce que le pape échoue? Démissionne-t-il parce que, comme certains observateurs l'ont dit au printemps et à l'été 2017, il est de plus en plus isolé? Le jésuite Andreas R. Batlogg donne des réponses surprenantes et dessine une nouvelle image du pape François.

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Dernier de Andreas R. Batlogg

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